Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 3e dimanche du temps ordinaire - Année C

Notre-Dame de l’Assomption des Buttes Chaumont- dimanche 21 janvier 2007

« Si, même, j’ai l’impression de ne pas servir à grand-chose dans la vie du monde, alors dans la vie du Corps du Christ, je suis quelqu’un dont il a besoin, non pas parce que je peux produire beaucoup de choses, mais parce que je peux contribuer à la force et la vigueur de la charité du Christ répandue en nos cœurs. »

Évangile selon saint Luc, au chapitre1, versets 1-4 et au chapitre 4, versets 14-21.

Frères et Sœurs, vous venez de l’entendre, nous commençons ce dimanche la lecture continue de l’évangile selon saint Luc. Elle se poursuivra tout au long de notre année jusqu’à la fin du mois de novembre. Le prologue de l’évangile selon saint Luc nous indique les intentions de l’évangéliste, - il les partage d’ailleurs avec les autres évangélistes - : rassembler un récit des événements tel qu’ils ont pu le recueillir auprès des témoins oculaires de façon que ceux qui vont entendre ou lire cet évangile soient convaincus que ce qu’on leur a raconté au sujet de Jésus est vrai. Et il en est de même pour nous.

Notre connaissance du Christ, dans le meilleur des cas, commence par des histoires que nous avons entendues, des histoires que l’on nous a racontées, des images, des « flashs ». Noël, la crèche, Jésus qui multiplie les pains, Jésus qui change l’eau en vin,. un certain nombre de « photographies », de « clichées » sur la personne de Jésus traversent notre mémoire collective et se transmettent d’une génération à l’autre, ne serait-ce, lorsqu’on rentre dans une église, que de voir le Christ en croix. Cette connaissance rudimentaire de la personne de Jésus est le commencement par lequel on entre peu à peu dans un questionnement au sujet de Jésus. À quoi correspond-elle ? À quoi renvoie-t-elle ? Renvoie-t-elle à une sorte de légende dorée qui se transmettrait aux enfants et qui laisserait quelques résidus dans la mémoire ? Forme-t-elle une certaine « imagerie » de Jésus, ou correspond-elle réellement à ce qui s’est passé ? Autrement dit : ce que je pense, ce que je crois, ce que j’imagine du Christ, cela correspond-il à ce que Jésus de Nazareth avait dit ? Le Christ auquel je crois, est-il bien Jésus de Nazareth, fils de Marie, juif parmi les juifs, né à un moment donné de l’histoire des hommes, tel que des témoins l’ont vu et l’ont entendu et tel qu’ils ont rapporté leur expérience ?

Le ministère public de Jésus commence dans l’évangile selon saint Luc par cette visite à la synagogue où il va commenter le prophète Isaïe. Nous voyons déjà là un aspect de son ministère : annoncer la Parole de Dieu et la commenter. Nous comprenons un peu mieux le sens de notre liturgie dominicale car, quand nous sommes rassemblés comme nous le sommes aujourd’hui, « comme un seul homme » dit le Livre de Néhémie : « Le peuple était réuni comme un seul homme », quand nous sommes ainsi rassemblés, nous sommes d’abord rassemblés pour écouter la proclamation de la Parole de Dieu, comme elle a été faite par Esdras devant le peuple réuni, comme elle est faite dans l’office à la synagogue chaque sabbat, comme elle est faite chaque dimanche à la célébration eucharistique. Dieu rassemble son peuple pour s’adresser à lui, pour lui dire quelque chose, pour lui annoncer une bonne nouvelle. Cette bonne nouvelle, celle que Jésus commente dans le Livre d’Isaïe, c’est que Dieu a décidé une fois de plus de faire grâce. Une année de grâce s’ouvre devant nous, une année de bienfait, une année de miséricorde. Le prêtre qui a lu l’Evangile et qui essaye de vous l’expliquer est là lui aussi pour annoncer que cette année de bienfait, cet acte de miséricorde, cet acte de salut s’adresse à nous aujourd’hui. C’est ce que fait Jésus fait dans l’évangile de saint Luc : « Cette Parole s’est accomplie aujourd’hui pour nous ».

C’est donc l’acte de foi fondamental de toute notre communauté chrétienne que d’accueillir cette parole de Dieu comme une parole qui nous est adressée à nous. Voilà ce qu’est l’évangile selon saint Luc : nous allons le lire et le méditer tout au long de l’année liturgique comme une parole adressée à l’Église de notre temps. Dans cette année qui commence, la prophétie de la libération, de la délivrance, du salut, ce sont des nouvelles qui nous sont envoyées à nous pour nourrir notre foi, pour fortifier notre espérance. Qu’attendons-nous de notre participation à l’eucharistie du dimanche, sinon un renouveau de notre foi et de notre espérance, qu’attendons-nous sinon un renouveau de force et de joie dans la communion au Corps du Christ ?

Enfin il est une troisième chose que je voudrais vous dire. Puisque le Livre de Néhémie nous parle du peuple que Dieu a rassemblé « comme un seul homme », et que l’Épître aux Corinthiens de saint Paul est une méditation sur le Corps du Christ et ses différents membres, nous sommes appelés, évidemment, à partir de ces lectures, à nous regarder nous-mêmes quelques instants : Dieu nous rassemble aujourd’hui comme un seul, il fait de nous un seul corps et il nous invite à essayer de comprendre quelle est la place de chacun dans ce Corps. Il y a des places qui sont définies par les fonctions : il y a des apôtres, il y a des prophètes, il y a des docteurs, mais il y a aussi la place qui nous est confiée par notre propre existence de membres du Corps. Chaque membre, chacun et chacune d’entre nous, est différent des autres, par l’âge, par l’expérience, par la méditation, par la culture ; plus radicalement encore il est différent simplement parce qu’il est unique. Chacune et chacun d’entre nous participe à ce Corps en étant lui-même. Le Corps ecclésial n’est pas une machine à absorber les individus et à les détruire ; c’est, au contraire, une machine destinée à aider chacun à vivre ce qu’il est, ses talents, sa personnalité, sa force, ses dons et ses faiblesses. La bonne nouvelle que Dieu nous annonce, c’est qu’il a besoin de chacun de nous. La tête ne peut pas dire qu’elle n’a pas besoin des pieds, de la main, de l’œil ou de l’oreille. Or, la tête du Corps, c’est le Christ. Le Christ ne dit pas : je n’ai pas besoin de toi. Il dit : j’ai besoin de chacun et de chacune. Évidemment, il ne demande pas à chacune et à chacun de faire tous la même chose. Avoir besoin de chacune et de chacun, ce n’est pas vouloir que tout le monde soit pareil et que tout le monde fasse la même chose, mais c’est vouloir que ce que chacun et chacune vit entre dans la communion de l’Esprit pour contribuer à la croissance du Corps dans le monde.

Peut-être y en a-t-il parmi vous qui sont âgés, fatigués, qui se disent : « Moi, je ne peux plus faire grand-chose » ; d’autres sont jeunes, pas encore complètement éduqués et pensent : « Moi, je ne suis pas prêt pour faire quelque chose ». Certains ne sont pas complètement formés à la vie chrétienne et se sentent un peu incompétents, ils se disent : « Moi, je ne peux pas faire grand-chose ». Il y en a qui n’ont pas beaucoup de temps, il y en a qui se sentent faibles, il y en a qui se sentent pécheurs, il y en a qui se sentent incapables. La bonne nouvelle que Dieu nous annonce, c’est qu’il fait un peuple avec cette congrégation d’éclopés, de gens qui ne sont pas au mieux de leur forme, de gens qui ne sont pas les plus parfaits ni les plus savants, de gens qui ne sont pas les plus efficaces. Il fait un peuple avec les pauvres de ce monde. Si, même, j’ai l’impression de ne pas servir à grand-chose dans la vie du monde, alors dans la vie du Corps du Christ, je suis quelqu’un dont il a besoin, non pas parce que je peux produire beaucoup de choses, mais parce que je peux contribuer à la force et la vigueur de la charité du Christ répandue en nos cœurs. Je peux être quelqu’un qui aime. Je peux être quelqu’un qui aime si je suis immobilisé, malade, fatigué ; je peux être quelqu’un qui aime si je ne suis pas encore prêt à faire grand chose, je peux être quelqu’un qui aime dans ma faiblesse, dans ma timidité .Bref, chacune et chacun d’entre nous doit devenir, est appelé à devenir de plus en plus un membre actif de ce Corps, non par des actions extraordinaires mais par sa participation régulière, vivante et déterminée à la vie du Corps entier.

En entendant ces paroles, nous dit le Livre de Néhémie, « le peuple tout entier pleurait ». Ils ne pleuraient pas d’émotion, ils pleuraient parce que la cérémonie à laquelle ils participaient était la restauration de la Loi. Ils entendaient pour la première fois depuis très longtemps la proclamation de la Parole de Dieu. C’était tellement extraordinaire qu’ils ne comprenaient plus la langue hébraïque, il fallait la leur traduire pour qu’ils puissent comprendre. En entendant cette Parole de Dieu, et en particulier les commandements, ils se rendaient compte de tout le temps qu’ils avaient perdu, de ce qu’ils n’avaient pas fait, de leur infidélité envers Dieu. Ils versaient des larmes de douleur. Esdras en s’adressant à eux leur dit : « Ne prenez pas le deuil, ne pleurez », car cette parole que je vous annonce n’est pas une parole de jugement et de condamnation, c’est une parole d’espérance. « La joie du Seigneur est votre rempart », la joie du Seigneur est votre force. Alors, aujourd’hui, je veux vous dire à vous aussi : Ne doutez pas, ne soyez pas dans l’affliction, ne soyez pas dans la détresse, entendez la promesse du Christ : « L’Esprit de Dieu se pose sur moi et m’a envoyé proclamer la paix, la joie ».

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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