Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 2e dimanche de l’Avent 2006

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 10 décembre 2006

Evangile selon saint Luc au chap. 3 versets 1-6

Frères et Soeurs, la prophétie du Livre de Baruch qui annonce le retour d’Israël dans sa Terre et dans sa ville saintes s’accompagne d’une promesse de Dieu : c’est Lui, Dieu lui-même, qui va tracer à travers le désert le chemin du retour ; c’est Lui, Dieu lui-même, qui va combler les ravins, araser les obstacles, redresser les chemins tortueux de façon que son peuple puisse cheminer en sécurité dans la gloire de Dieu. Nous le savons bien : historiquement, dans les événements tels qu’ils se sont déroulés, cette volonté et cette intervention de Dieu se sont accomplies à travers des moyens humains. Dieu est la cause du retour de son peuple, mais les décisions politiques qui ont rendu possible ce retour ont été prises par des responsables humains. Dieu trace le chemin et le rend praticable, mais le retour des groupes successifs qui vont revenir à Jérusalem se passera selon les moyens habituels du nomadisme dans le désert. Ce sont les Juifs eux-mêmes qui auront à surmonter les obstacles, à combler les ravins, et à retrouver leur route.

Le prophète n’annonce pas une sorte de transport miraculeux du peuple d’Israël que Dieu mènerait directement à Jérusalem. Ce qu’il veut nous faire comprendre, c’est que ce retour annoncé est l’oeuvre de Dieu lui-même, comme le monde que nous connaissons, la création et tout ce qui compose notre univers, est l’oeuvre de Dieu, même si l’homme a été mis par Dieu au coeur de cette création pour la transformer et la faire vivre.

Ce chemin que Dieu va donc tracer à travers le désert pour ramener son peuple à Jérusalem, s’accompagne, dans l’enseignement des prophètes, de l’annonce d’un autre chemin, le chemin par lequel le Messie viendra au milieu de son peuple. Là aussi, pour que cette venue du Messie au milieu de son peuple se déroule de manière conforme à la volonté de Dieu, il y a des ravins à combler, des obstacles à abaisser, des collines et des montagnes à araser, une route à aplanir, des passages tortueux à redresser. C’est ce que le prophète Isaïe avait annoncé et qui est repris par la prédication de Jean-Baptiste au désert.

Nous comprenons bien évidemment, à la lumière de la première prophétie sur le retour d’Israël dans sa terre, qu’a fortiori, la venue du Messie dans l’humanité va être conduite par Dieu lui-même. Mais de même que Dieu a conduit à son peuple vers Jérusalem à travers des interventions humaines, il va tracer le chemin du Messie à travers l’humanité en mettant en oeuvre nos capacités humaines de préparer ce chemin. C’est pourquoi la prédication de Jean-Baptiste, qui précède immédiatement l’entrée de Jésus dans son ministère public, va insister sur le travail de conversion qui est nécessaire pour que le peuple puisse accueillir le Messie qui vient. Il ne s’agit plus ici, comme dans le retour du peuple à Jérusalem, de frayer un chemin à travers le désert. Il s’agit de frayer un chemin à travers le peuple lui-même, pour que le Messie fasse son entrée triomphale. Il s’agit de frayer un chemin dans le coeur des hommes pour que la venue du Sauveur soit reconnue.

A partir de cette image du chemin tracé à travers le désert, transformée en image du chemin tracé à travers le peuple, nous pouvons comprendre la prophétie d’Isaïe reprise par Jean-Baptiste, quand il invite le peuple à un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Nous pouvons appliquer cette prophétie de Jean-Baptiste de deux manières à notre situation présente.

La première consiste à comprendre à travers la liturgie qui nous est proposée que dans la réflexion, dans la méditation de l’Eglise, la nativité du Christ, la naissance de Jésus à Bethléem, doit être comprise comme une annonce de sa mission et de la vie publique qu’il va entreprendre plusieurs d’années plus tard. En fait, sa naissance et sa vie cachée à Nazareth font un tout avec sa manifestation publique, les discours qu’il tiendra, les signes qu’il posera, si bien que, pour nous préparer à reconnaître le Messie dans le signe de l’enfant présenté emmailloté dans une mangeoire, la liturgie adopte la prédication de Jean-Baptiste qui appelle le peuple à la conversion. Car pour reconnaître Jésus Sauveur dans l’Enfant de Bethléem, il faut la même attitude et le même état d’esprit qui sera nécessaire pour reconnaître le Messie à travers la mission de Jésus de Nazareth. De même que pour reconnaître le Messie à travers la mission de Jésus de Nazareth, il est nécessaire de préparer son chemin dans le coeur des hommes par la conversion et le pardon des péchés, de même pour vivre pleinement la célébration de la Nativité, nous avons besoin de vivre la conversion et de recevoir le pardon des péchés. Nous avons besoin d’araser ce qui fait obstacle à la venue du Christ, de combler les abîmes qui nous séparent de Lui, de redresser dans nos vies ce qui est tortueux.

C’est le deuxième message de cette prédication de Jean-Baptiste. Elle nous fournit toute une série d’images pour comprendre de quoi il retourne quand nous parlons du péché. Il ne désigne pas principalement ici des fautes morales, il ne désigne pas spécialement tel ou tel acte mauvais, dont nous savons pourtant que ce sont des péchés. Ce qu’il veut faire entendre à ses auditeurs et, à travers eux, à nous, c’est la nature même du péché : faire obstacle à l’accomplissement du projet de Dieu, faire obstacle à la venue du Messie en ce monde. Le péché, ce sont les obstacles qui se dressent sur le chemin du Seigneur, ce sont les ravins qui se creusent sous ses pas, ce sont les chemins tortueux par lesquels sa Parole peut s’égarer au milieu du monde. Le péché dans notre vie est toujours une rupture dans notre relation avec Dieu, il creuse un abîme entre Lui et nous. Le péché dans notre vie est toujours une montagne ou une colline qui se présente devant notre marche pour nous empêcher de suivre le Christ. Le péché chez nous, c’est toujours une façon de détourner les chemins droits et de nous faire errer à droite et à gauche sans savoir très bien où nous allons.

Accueillir le Christ dans sa nativité, c’est redresser ce qui est tortueux, abaisser les obstacles, combler les ravins. C’est nous délivrer du péché. Cette délivrance, nous le savons, est l’oeuvre du Christ dans notre vie. En venant, il nous délivre du péché, mais il ne peut nous délivrer du péché que si nous entendons l’appel à la conversion que nous adresse Jean-Baptiste, si nous acceptons de recevoir ce pardon, si nous acceptons finalement de nous reconnaître pécheurs.

Alors, la plénitude de la Promesse s’accomplira dans l’humanité : "Tout homme verra le salut de Dieu ". Comprenons-le bien : pour que tout homme voit le salut de Dieu, il est nécessaire que chacun de nous laisse Dieu tracer son chemin dans nos vies, que chacun de nous laisse restructurer en nous le chemin de la Parole, que chacun laisse transformer sa vie pour que Dieu puisse advenir et que nous puissions reconnaître le Messie. Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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