Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de la Saint-Yves avec le groupe catholique du Palais de Justice

Sainte-Chapelle - 18 mai 2008

 Jn 3, 16-18

Le Dieu qui se révèle à nous à travers la parole adressée à Moïse, puis à travers les paroles du Christ que je viens de proclamer dans l’évangile selon saint Jean est un Dieu d’amour et de miséricorde.
Il est celui qui veut que l’homme vive et soit sauvé, qui veut corriger son peuple à la nuque raide pour en faire un peuple fidèle à l’alliance.
Il veut que les hommes qui croient au Fils unique de Dieu trouvent le chemin du salut. Ce Dieu est le Dieu trinitaire, Père, Fils et Esprit-Saint. Quand nous osons réfléchir quelques instants sur le mystère de la Trinité, nous avons la tentation quelquefois de penser que c’est un mystère essentiellement théologique qui n’a ni effet ni influence sur notre manière de vivre. Il ne faudrait pas nous pousser beaucoup dans nos retranchements pour que nous avouions n’y voir que quelque chose d’assez secondaire.
Que le Père, le Fils et l’Esprit soient tout à fait identiques en dignité et différents dans leur personne, cela change-t-il notre vie ? Nous n’allons pas nous laisser entraîner dans des discussions byzantines de théologiens qui ne touchent pas fondamentalement notre manière de vivre et d’être chrétiens.

Il me semble tout au contraire que, si nous nous laissions entraîner dans ce risque d’isoler le mystère de la Trinité à tel point qu’il n’ait plus d’effet ni d’influence sur notre conception de la vie et sur notre manière de vivre, nous passerions à côté d’un des fondements les plus solides de notre foi chrétienne qui se distingue précisément de beaucoup d’autres religions par cette conviction que Dieu, l’unique, un seul et unique Dieu, est à ce point attaché à l’humanité qu’il se révèle et qu’il se fait connaître dans la personne du Fils, différent et cependant complètement uni au Père.

La proximité de Dieu avec l’humanité n’est pas simplement une sorte de consolation réservée aux croyants pour traverser les difficultés de la vie, c’est aussi une vision de l’homme profondément originale. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils unique » : cela veut dire que le regard que Dieu porte sur le monde, et pas simplement sur l’univers dans sa globalité mais sur les hommes et les femmes qui peuplent ce monde, n’est pas un regard surplombant et sans intérêt pour nous, c’est le regard de quelqu’un qui est profondément compromis avec l’humanité.
Au point que, comme le Pape Jean-Paul II l’a merveilleusement expliqué dans sa première encyclique, il nous faut regarder l’humanité, les hommes et les femmes qui peuplent ce monde avec un regard nouveau, un regard rempli à la fois d’admiration et de compassion : d’admiration pour les merveilles que l’homme peut accomplir, et de compassion pour les souffrances qu’il est capable d’infliger à ses semblables et à lui-même.

Méditer sur cette admiration et cette compassion au cœur d’un ensemble architectural et institutionnel tout entier dédié à rendre la justice humaine dans les deux sens de ce terme ; justice des hommes et justice qui fait grandir l’homme, nous invite à méditer aussi sur la dignité qui marque l’existence humaine empreinte de cet amour que Dieu lui porte.
Le mystère des relations qui unissent le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, s’étend à la manière dont nous comprenons et dont nous essayons de vivre les relations qui unissent les hommes et les femmes entre eux au point que, si nous parlons de la dignité humaine, du respect de la personne humaine, des droits de l’homme, nous ne faisons pas une vague référence à une idéologie de la tolérance et du respect, nous faisons vraiment un acte de foi.
Ce qui nous attache au respect de la dignité de la personne humaine n’est pas simplement un souci de réciprocité, c’est la reconnaissance de la transcendance divine manifestée à travers la créature humaine que Dieu a voulue, qu’il accompagne de son alliance et qu’il sauve en envoyant son Fils unique et qu’il dynamise en répandant sur elle son Esprit.
Si nous sommes tellement attachés au respect des droits de l’homme, ce n’est pas par un effet de mode, c’est par la conviction profonde que chaque être humain, quels que soient ses handicaps, - ils peuvent être profonds : physiques, mentaux, sociaux, culturels -, est regardé par Dieu avec l’amour d’un Père.

Chaque être humain, quels que soient les actes qu’il a commis et qui peuvent aller jusqu’à des crimes abominables, demeure toujours fondamentalement, et plus profondément que le mal qu’il a fait, quelqu’un qui est appelé au Salut et que Dieu attend avec compassion.
Regarder les hommes et les femmes de notre temps avec ce regard d’amour et d’espérance ,c’est accepter de reprendre chaque jour le combat pour que ces hommes et ces femmes, non seulement surmontent l’esprit délirant qui a pu les habiter et les pousser à commettre des crimes, mais qu’ils aillent jusqu’à reconnaître que l’amour de Dieu est plus grand que le mal qu’ils ont pu faire.
Évoquer la miséricorde et la puissance du pardon n’est pas renoncer aux règles du droit public qui régissent toute société, pas plus que ce n’est renoncer au devoir de la justice à rendre.
C’est reconnaître humblement que notre justice et les règles qui régissent notre société sont infiniment relatives par rapport à ce qui fait le cœur de la dignité humaine.
Prions donc le Seigneur que, manifestant son amour infini de l’humanité à travers son Fils, il mette en nos cœurs l’esprit de miséricorde qui nous permet de reconnaître en tout être humain quelqu’un qui a non pas le mérite mais la grâce d’être connu par Dieu comme un enfant, comme son enfant.
Qu’il nous donne de ne pas céder à je ne sais quel laxisme, mais d’avoir la force de soutenir celles et ceux qui sont appelés à trouver le chemin de la vie et le chemin du Pardon à travers les misères de ce temps.

Que le Seigneur nous donne de connaître la joie profonde de reconnaître l’homme comme étant vraiment l’image de Dieu.
Amen.

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