Homélie de Mgr André Vingt-Trois - 33e dimanche du temps ordinaire - année B

Cathédrale Notre-Dame de Paris - dimanche 19 novembre 2006

Frères et Soeurs, nous approchons de la fin de l’année liturgique, elle se terminera dimanche prochain par la célébration de la solennité du Christ-Roi ; nous approchons en même temps de la fin de l’histoire vécue par Jésus de Nazareth sur notre terre telle qu’elle nous est rapportée par l’Evangile et, cette année, à la fin de la lecture continue de l’évangile selon saint Marc. Il est donc tout naturel que, juste avant qu’il n’entre dans sa Passion et que l’évangile nous rapporte le récit de son arrestation, de son procès, de sa mort et de sa résurrection, le Christ s’adresse à ses disciples pour leur parler de son retour, puisque sa mort et sa glorification vont entraîner sa disparition physique du milieu d’eux et que, après l’Ascension, ils vont avoir à vivre l’expérience de l’Eglise sans la présence physique de Jésus. Ils vivront dans l’espérance de son retour, mais que veut dire l’espérance de son retour ? Quand faut-il compter qu’il reviendra ? A quel moment de l’histoire des hommes ? Faudra-t-il attendre plusieurs générations ou bien cet événement va-t-il se produire ici et maintenant, ou dans quelques mois ou dans quelques années ? L’Eglise est-elle appelée à vivre plusieurs siècles ou simplement à disposer de quelques années pour le retour du Christ ?

Ces questions, nous comprenons qu’elles aient travaillé le coeur et l’esprit des disciples de Jésus, d’autant plus qu’elles rejoignent des questions qui habitent le coeur de tout homme, sur la destinée de ce monde. Où va-t-il ? Que va-t-il devenir ? A travers la destinée de l’humanité, c’est aussi la destinée de chacun de nous qui est en cause. De combien de temps est-ce que je dispose encore ? Ces questions, beaucoup d’entre les hommes et d’entre nos contemporains les portent avec une certaine angoisse. Une telle angoisse même, qu’ils essaient de ne pas y penser et de n’en pas parler. Mais ce n’est pas parce qu’ils n’en parlent pas et qu’ils occultent ces questions dans leur vie habituelle, qu’elles perdent de leur importance objective et de leur influence subjective.

Ces questions sont présentes au coeur des hommes. Il n’est pour s’en convaincre que de penser à tous les groupuscules qui, siècle après siècle, - on peut dire : depuis le temps du Christ -, ont prospéré en annonçant la fin du monde pour une date précise. Ce fut vrai dans l’Antiquité, ce le fut au long des siècles, c’est vrai encore aujourd’hui. Combien de sectes attirent des adeptes en leur annonçant la date de la fin du monde, quitte, lorsque cette date arrive et qu’il ne se passe rien, à reporter l’événement à une date ultérieure. Peu importe, pourvu que l’on tienne les gens en haleine !

Cette perspective d’une sorte de prophétie datée qui permettrait de définir de combien de temps nous disposons, est exactement à l’inverse de la prédication évangélique qui refuse, comme nous venons de l’entendre dans l’évangile selon saint Marc, de donner la moindre indication sur le moment où les choses arriveront : "Personne ne le sait, pas même les anges, pas même le Fils, seul le Père le sait. " Jésus se refuse donc à définir une échéance, non par volonté de suspense, mais parce que l’avènement du Fils est un événement de l’histoire des hommes qui n’est pas fixé par les dates mais qui est fixé par les modalités de sa présence. Le passage de l’évangile que nous venons d’entendre nous aide à comprendre un peu mieux de quoi il s’agit dans ce retour du Christ. Je voudrais simplement retenir deux aspects.

Le premier, c’est que le retour du Christ, l’apparition du Fils de l’Homme dans sa puissance et dans sa gloire, sera l’avènement en même temps que l’accomplissement d’un univers nouveau. Les signes cosmiques qui sont évoqués par saint Marc : le soleil qui s’éteint, la lune qui perd de sa luminosité, les étoiles qui tombent du ciel,.. tous ces signes cosmiques sont des symboles de la décrépitude de l’univers dans lequel nous vivons, plus que des manifestations extraordinaires qui marqueraient le moment précis de l’avènement. Ce que l’évangile nous dit, c’est que le monde tel que nous le connaissons, depuis ces espaces infinis des étoiles et des planètes jusqu’à la réalité très limitée de nos expériences quotidiennes, tout ce qui est contenu entre la terre et le ciel, tout ce qui fait l’univers réel de ce monde, est un monde marqué par la mort et qui finit par la mort. Il finit par la mort dans différents éléments, il finira par la mort dans son ensemble, et il finit par la mort pour chacun d’entre nous.

L’avènement du Christ vient signifier que cette mort n’est pas le dernier mot de l’histoire de l’humanité et de la création. Au moment où tout paraît se désintégrer par l’éclatement du soleil, l’extinction de la lune, la chute des étoiles et tout autre signe extraordinaire auquel on peut penser, au moment où tout semble se désintégrer, c’est à ce moment-là qu’on voit apparaître le Fils de l’Homme dans la gloire de sa puissance et dans sa luminosité. L’avènement du Christ marque donc à la fois la fin de ce monde et l’ouverture d’un monde nouveau. C’est bien pourquoi les esprits des hommes sont si avides de savoir quand cela va se passer. D’abord parce que nous voudrions savoir quand toutes nos histoires vont s’arrêter, quand notre univers va être détruit, quand aura lieu le cataclysme, mais surtout parce que nous voudrions savoir ce que nous allons devenir.

Or, c’est le deuxième élément qui nous est indiqué par ce passage de saint Marc, l’avènement du Fils ne se laissera pas voir comme un événement de notre histoire humaine. Nous devons apprendre, nous essayons apprendre, nous apprenons peu à peu à découvrir qu’il y a une manière propre à l’humanité de comprendre les temps et les moments. Pour nous, l’événement se situe nécessairement à un jour du temps, à un lieu de l’espace, et il y a un avant et il y a un après. Ainsi connaissons-nous l’Incarnation du Christ : à un moment de l’histoire des hommes, en un lieu de la géographie humaine, nous datons sa mort, sa résurrection, sa montée auprès du Père et nous attendons son retour dans notre chronologie. Ce que l’Evangile nous suggère, c’est que cette chronologie n’est pas la chronologie de Dieu. Pour Lui, et c’est pourquoi seul le Père connaît le moment et personne de l’histoire humaine ne le connaît, la chronologie n’existe pas car Dieu est un éternel présent et non pas une durée éternelle. Dieu suscite la manifestation du Fils de l’Homme dans un moment unique, et c’est l’histoire humaine qui reçoit cette manifestation et qui la découvre dans la succession des époques et des histoires et des peuples et des pays et des siècles. Ainsi, nous sommes invités à comprendre que ce que nous vivons comme un événement futur est déjà une réalité pour Dieu. Ce que nous imaginons comme quelque chose qui va advenir est déjà quelque chose qui est advenu en Dieu. Ce que nous pouvons espérer ou craindre de la fin des temps est une réalité déjà présente au coeur de notre existence : il est tout proche, "à nos portes ", nous dit l’Evangile.

C’est à quoi nous conduit l’image du figuier pour comprendre le sens du temps. Quand vous voyez que le figuier commence à prendre des feuilles, vous savez que l’été s’annonce. Quand vous voyez se dérouler la chronologie de l’histoire humaine, ses usures, ses destructions, ses décrépitudes, les signes déjà inscrits dans la chair de chacun de nous que nous sommes voués à la mort, les signes de désintégration de l’univers, comment interprétez-vous cela ? L’interprétez-vous comme une vision désespérée du destin de l’humanité, ou au contraire comme le signe que l’été est proche, c’est-à -dire que le Christ est en train de revenir, qu’il est à nos portes. Cette certitude que la conception du délai n’est pas la même selon que nous nous plaçons à notre point de vue ou au point de vue de Dieu, aboutira à l’invitation que le Christ adressera à ses disciples et que nous entendrons de façon renouvelée pendant tout le temps de l’Avent de veiller et de prier puisque nous ne connaissons ni le jour ni l’heure. L’ignorance où la miséricorde de Dieu nous tient de savoir à quel moment les choses se passeront, n’est pas une source d’anxiété et de terreur, elle est au contraire le chemin pour découvrir que le Christ est à l’oeuvre au coeur de l’histoire des hommes, développer en nos coeurs la confiance et nous tenir en éveil.

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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