Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Toussaint 2006

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mercredi 1er novembre 2006

Evangile selon saint Matthieu au chap. 5, versets 1-12

Frères et soeurs, la fête que nous célébrons aujourd’hui, la fête de tous les Saints, est d’abord pour nous une fête de l’Espérance. Nous évoquons la multitude innombrable des hommes et des femmes qui nous ont précédés et qui sont maintenant dans la vision de Dieu, dans la gloire du Père, avec le Christ, avec la Vierge Marie, avec tous les saints que nous connaissons, et cette multitude de saints inconnus nous donne le gage que la fidélité au Christ est possible dans la vie ordinaire d’un homme ou d’une femme. Il ne s’agit pas d’une sorte de réalisation exceptionnelle réservée à des gens particulièrement héroïques ou à des gens qui vivent dans des conditions tellement particulières que nul d’entre nous ne pourrait songer un instant à s’identifier à eux.

En nous invitant à célébrer cette multitude de bienheureux, l’Eglise jette une lumière sur chacune de nos existences. Elle adresse à chacun de nous un message d’espérance : "Toi, qui que tu sois, quelle que soit aujourd’hui ta situation de vie, l’Evangile s’adresse à toi et peut faire de toi un saint ". Bien sûr quand nous entendons les Béatitudes comme nous venons de les entendre, nous sommes plutôt tentés de mesurer l’écart qui nous sépare encore de cette sainteté. Cet écart, nous l’éprouvons par une sorte de recul, de réticence ou de résistance devant le bonheur tel qu’il est annoncé par le Christ, alors que nous avons spontanément tendance à reconnaître plutôt la souffrance et le malheur dans ce qu’il annonce. " Les pauvres de coeur, les doux, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif de justice, les miséricordieux, les coeurs purs, ceux qui sont persécutés pour la justice " : combien ces titres énoncés dans les Béatitudes sont éloignés des critères du bonheur tel que notre société l’envisage et tel que la publicité nous l’annonce.

Qui aujourd’hui a envie d’être doux et miséricordieux, quand la justice est instrumentalisée par les médias en instrument de vengeance ? Qui a envie d’être pauvre de coeur quand les fluctuations de la Bourse deviennent des baromètres plus importants que les événements les plus graves de notre existence ? Qui a faim et soif de la justice quand la loi commune propose comme mode d’existence l’accaparement plutôt que le partage ? Qui veut être pur de coeur, artisan de paix, quand la dramatisation suppose au contraire d’exacerber les conflits et de dénoncer les faiblesses ? Qui voudrait être persécuté pour la justice quand on a déjà tant de mal à accepter de ne pas trahir la justice pour préserver ses biens ? Qui acceptera d’être calomnié pour son attachement au Christ ? Oui, il suffit d’énoncer ce programme de bonheur et de sainteté pour éprouver combien nous avons encore de chemin à parcourir pour nous identifier vraiment à ce projet que Dieu propose pour nous rendre heureux.

Ce chemin, c’est le chemin qui nous sépare de notre être de fils de Dieu enfoui encore, pas complètement manifesté mais cependant déjà réel. Car enfant de Dieu nous le sommes, même si ce que nous sommes demeure caché, "ne paraît pas encore clairement ", comme nous dit la première épître de saint Jean. Enfants de Dieu, nous le sommes par notre naissance, par notre venue à la vie, enfants de Dieu nous le sommes par notre baptême, par notre identification au Christ ; enfants de Dieu, nous le sommes par la vocation que nous avons reçue de devenir des saints. Tout le travail de notre vie, ce travail de conversion que nous devons sans cesse renouveler et réactualiser, va nous conduire peu à peu à passer de cette filiation divine qui n’est pas encore clairement manifestée à une manifestation de plus en plus claire de notre véritable identité. Ce travail de conversion, ce long chemin par lequel nous nous identifions peu à peu à la personnalité profonde que Dieu a mise en nous, nous pouvons le parcourir avec constance et sérénité parce que nous avons les yeux fixés, non seulement sur la multitude de ceux qui entourent le trône et l’Agneau, mais plus encore sur le Christ livrant sa vie par amour pour les hommes et ouvrant son coeur pour en laisser jaillir des fleuves d’eau vive qui vont vivifier le monde.

Frères et soeurs, en ce jour, nous faisons mémoire de ceux qui nous ont précédés, mais nous posons surtout un acte de foi et d’espérance sur le chemin qui nous est ouvert, sur l’appel que le Christ nous adresse, sur la véritable joie dont Il veut combler ses amis. Prions-le : qu’Il nous apprenne jour après jour à renoncer à ce qui n’est pas notre véritable nature, pour devenir ce que nous sommes : des enfants de Dieu.

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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