Homélie de Mgr André Vingt-Trois - 27e dimanche du temps ordinaire - année B

Saint-Eustache - dimanche 8 octobre 2006

Evangile selon saint Marc au chap. 10, versets 2-16

La page de l’évangile selon saint Marc que nous venons d’entendre met en vis-à -vis deux attitudes à l’égard du Christ. L’attitude des enfants, dont on suppose, puisque Jésus les donne en exemple pour l’accueil du Royaume, qu’ils sont sans détours, et qu’ils se donnent généreusement à celui qui vient à eux. Et l’attitude des Pharisiens qui cherchent à mettre Jésus à l’épreuve. D’un côté la disponibilité, l’ouverture, la droiture ; de l’autre la ruse, le désir de pinailler. Je crois que ces deux attitudes contrastées mises en relief par saint Marc, nous invitent à faire un retour sur nous-mêmes et à nous demander comment nous accueillons la Parole du Christ. L’accueillons-nous avec droiture et générosité ? Ou bien essayons-nous de la mettre à l’épreuve, voire même de la mettre en contradiction ou en difficulté. Autrement dit, prenons-nous la Parole du Christ pour ce qu’elle dit ou la soumettons-nous à notre casuistique pour essayer de lui faire dire ce que nous pensons ?

Cette différence d’attitude dans l’accueil de la Parole de Dieu est illustrée par la question posée par les pharisiens au sujet du divorce et de la répudiation. Car la discussion qui s’engage entre Jésus et les pharisiens fait apparaître la clarté de la fondation, telle que nous la rapporte l’Ecriture à l’origine, c’est-à -dire avant même l’histoire. Adam et Eve, c’est avant que se déroule l’histoire humaine : à l’origine. L’Ecriture veut nous faire comprendre que la différence sexuelle et l’union de l’homme et de la femme ne sont pas simplement des productions culturelles qui se sont développées au cours de l’histoire, mais sont des éléments constitutifs, originels, sans lesquels il n’y aurait pas d’humanité. Face à cette donnée fondatrice, l’histoire des hommes, et il faut bien le dire, notre faiblesse amènent, génération après génération, à trouver des procédures de contournements. Ces procédures peuvent être multiples, elles ne sont pas toutes perverses, mais elles ont toutes cette caractéristique de chercher à d’éviter ce que l’aspect fondateur et constitutif a d’abrupt et d’absolu. C’est ce que Jésus désigne comme l’ "endurcissement ". Parce que nous sommes endurcis dans nos rêves, dans nos illusions, dans nos pratiques, nous voudrions que Dieu définisse les choses à la manière dont nous les vivons. Or précisément, c’est à quoi le Christ se refuse. Il ne refuse pas la miséricorde, il ne refuse pas le chemin de conversion, il refuse d’identifier des procédures de miséricorde, de conversion, d’accompagnement avec la loi originelle.

Prenons une image dans une expérience qui nous est très familière : nous savons aujourd’hui qu’un diabétique profond est capable de mener une vie normale avec un accompagnement adapté. Cela ne veut pas dire que le diabète c’est la santé. Cela veut dire que nous avons la capacité d’accompagner des situations difficiles, de les conduire à une relative harmonie. Mais nous ne pouvons pas dire que quelqu’un qui est malade est en bonne santé parce que l’on a des remèdes pour l’aider à vivre. De même on ne peut pas dire que la polygamie soit un modèle de vie conjugale, cela n’empêche que la polygamie existe. Que la polygamie soit simultanée ou successive ne change pas grand chose à l’affaire. C’est ce que Jésus souligne en particulier avec les disciples : "Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère ".

Je voudrais vous proposer enfin de mesurer à quel point l’acuité de cette Parole du Christ nous touche à un point sensible. Nous avons besoin de nous interroger : quel crédit faisons-nous à la Parole du Christ ? Combien de fois, vous-mêmes, comme moi, n’avons-nous pas entendu dire que notre définition des conditions normales de la vie conjugale était une invention tardive de l’Eglise. Mais je ne vois ici ni l’intervention de l’Eglise, ni son aspect tardif : nous sommes dans l’Evangile. Le Christ parle, et je dirais même qu’il parle avec une certaine solennité. Ce n’est pas moi qui définis ce que dit le Christ, c’est le Christ qui définit ce qu’il veut me dire. Moi, mon travail, la mission qui est la nôtre comme Eglise du Christ, c’est d’essayer de mettre en pratique sa Parole. "Ce ne sont pas ceux qui disent : ‘‘Seigneur, Seigneur’’ qui entreront dans le Royaume, mais ceux qui font la volonté de mon Père ", ce sont ceux qui mettent ma Parole en pratique qui sont mes véritables amis, dit le Seigneur. Que nous ayons des difficultés, que nous connaissions des chutes, que nous commettions des erreurs par rapport à la mise en pratique du Christ, c’est malheureusement notre expérience à tous. Mais ce n’est pas parce que la mise en pratique de sa Parole est difficile que nous devons lui substituer des arrangements de notre façon.

Ainsi, il me semble que dans le cheminement que l’évangile selon saint Marc nous invite à faire dimanche après dimanche, après avoir mesuré dans les semaines passées l’écart qui existait entre l’image que les disciples se faisaient du Messie et de sa mission, et le véritable chemin du Christ, l’Evangile nous invite, à partir d’aujourd’hui, à mesurer l’écart qui existe entre l’appel à la sainteté que le Christ nous adresse, et notre manière de comprendre notre existence. Cet écart n’est pas une cause de désespoir, il est une cause d’espérance, car il ouvre devant nous le chemin par lequel nous sommes invités à rejoindre la plénitude du Christ, à laisser sa parole convertir notre vie, à le laisser renouveler en nous la vie baptismale qu’il nous a donnée. Nos péchés, nos erreurs, nos fautes, ne sont pas des causes de désespoir, ce sont des motifs de nous tourner vers Dieu et d’accueillir avec confiance sa miséricorde qui nous remet debout.

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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