Homélie du cardinal André Vingt-Trois à l’occasion des JMJ de Sydney

Sydney – 14 juillet 2008

Messe avec tous les français participant aux JMJ, présidée par le Cardinal André Vingt-Trois, dans le Convention Center de Sydney.

Première lecture, dans le livre d’Isaïe chapitre 1, versets 11-17.
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu au chapitre 10, versets 34-42 et au chapitre 11 verset 1.

Nous avons entendu par la dernière phrase de cet évangile de quelle façon nous devons accueillir la Parole que le Christ délivre dans ce passage de l’évangile selon saint Matthieu. Il s’agit des instructions qu’il donne aux douze disciples. Pendant tout un chapitre, il leur a expliqué comment ils allaient devoir accomplir leur mission, avec une sorte de référence permanente au long de ses instructions : le disciple n’est pas au dessus du Maître. Il leur explique donc ce que signifie être comme lui. Il faut donc entendre ces paroles du Christ d’abord comme destinées à ses Apôtres.

Dans leur brutalité, dans leur violence même, car vous avez entendu, si du moins les mots simples que j’ai dits ont percé votre oreille pour atteindre votre intelligence, que ce ne sont pas des instructions de guimauve : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suis pas n’est pas digne de moi, celui qui voudra garder sa vie, la perdra ; celui qui perdra sa vie à cause de moi la gardera ». Ce sont des paroles très fortes, comme si Jésus, alors qu’il est en train de monter à Jérusalem et que le conflit qui a commencé à l’opposer à d’autres va monter et que l’on va assister bientôt au drame qui conduit à sa passion, sa condamnation et sa mise à mort, comme si le Christ voulait préparer les disciples à être témoins de ces événements, non pas comme des événements exceptionnels ne pouvant arriver qu’à Jésus mais comme des événements appartenant à sa mission, que donc il transmet en même temps qu’il transmet sa mission.

Nous entendons cela avec un petit peu d’inquiétude, mais en même temps avec suffisamment de distance pour ne pas prendre tout cela avec trop de sérieux quand même. « Ça n’était que pour les Apôtres ! ». Mais l’Évangile n’était pas que pour les Apôtres, l’Évangile était pour le monde entier, pour tous les hommes.
La Bonne Nouvelle n’est pas que pour les Apôtres, elle est pour tous les hommes. La mission confiée par Jésus aux Douze n’est pas que pour les Apôtres, elle est pour tous ceux qui entendront son appel et se mettront à sa suite. La mission n’est pas forcément pour tous : il en est qui préféreront avoir moins d’embêtements et ne pas se lancer dans la bagarre. Il est des hommes qui préféreront arranger leur vie pour avoir le moins d’embêtements possibles, plutôt que la laisser perdre, plutôt que de la donner. L’appel de Jésus ne s’adresse pas à ceux que cela n’intéresse pas.

Mais entre l’inquiétude et le désintérêt, l’espace est large, chacun peut trouver sa place. Peut-être ne sommes-nous forcément prêts, aujourd’hui, à entendre ces paroles chacun pour soi-même. C’est normal. Il m’a fallu à moi un tas d’années avant que je crois sérieusement que Jésus disait cela pour moi. En attendant, je m’arrangeais un peu.
Je m’arrangeais dans tous les sens du terme, bien sûr : je m’arrangeais avec ces paroles et je m’arrangeais, je m’améliorais quand même en tant que chrétien, un peu, un peu plus, un petit plus… Mais vous avez entendu dans ces paroles du Christ qu’il ne s’agit plus de l’ordre de la quantité ou du degré mais de la qualité. Il ne s’agit plus d’être un peu plus ceci ou un peu moins cela, d’en donner un petit peu plus ou un petit peu moins, il s’agit de tout donner, de se donner tout entier.

En attendant, car nous ne sommes les seuls à prendre notre temps et les délais nécessaires pour prendre les grandes décisions, on organise des fêtes. Vous l’avez entendu dans le livre du prophète Isaïe : à défaut de convertir les cœurs, on convertit les chants, les cantiques. On organise de grandes fêtes, des fêtes monstres, où l’on fait étalage de nos bons sentiments. Si cela peut passer à la télévision, c’est encore mieux.
A défaut, on fait confiance à Dieu qu’il jette un œil là-dessus quand même et se dise : « C’est pour moi qu’ils font tout cela ». Seulement, vous l’avez entendu : « Très bien, profitez de vos fêtes, mais ce que je veux, ce qui me plaît, ce ne sont pas vos fêtes, ce sont vos cœurs. Si, en plus, vous êtes en fête, tant mieux ; si vous êtes heureux de donner votre cœur, c’est très bien. Mais essayez de ne pas donner les chansons à la place du cœur ».
Dieu veut bien recevoir nos fêtes et nos chants et nos danses et nos offrandes, à condition que nous ne lui refusions pas la seule offrande qui lui plaise, c’est-à-dire nous-mêmes.
Vous savez : quand on fait des promesses de don, on ne les réalise pas toujours. Faire des promesses de don nous fait du bien : je ne suis pas mal, j’ai promis un don.
Si je suis un peu mieux encore, je fais le don que j’ai promis. Dieu ne demande pas des promesses, il demande le don réel, tout de suite, dès qu’on entend sa Parole et qu’on la comprend, dès qu’on est prêt. Il nous demande tout.
Alors, je trouve qu’entendre tout cela la veille de l’ouverture officielle des Journées Mondiales de la Jeunesse est une chance formidable. Pendant plusieurs jours, vous avez vécu des choses fortes, des découvertes. Vous vous êtes découverts les uns les autres : même si vous venez des mêmes diocèses, des mêmes groupes, des mêmes mouvements, vous ne vous connaissiez pas forcément.
Vous avez découvert la joie d’être accueillis par des frères australiens ou d’autres pays, vous avez découvert la joie de vous accueillir mutuellement les uns les autres, avec des moments où sans doute où ce fut moins joyeux : il faut de tout pour faire la vie d’un homme et il faut retenir surtout la joie : joie de construire un groupe où règne une certaine cohésion, avec ses rites, ses symboles, son cri de ralliement, ses totems…
A travers tout cela, peu à peu, vous avez découvert que votre décision de venir aux Journées mondiales qui était une décision très personnelle était habitée par plus que vous ne pensiez. C’était plus riche que d’être venus tout seuls à la rencontre du Pape. D’ailleurs, il ne vous aurait pas reçus tout seuls ; il valait mieux venir à plusieurs. Vous découvrez petit à petit que le chemin à la suite du Christ on le vit ensemble, si bien que, lorsque l’un de vous est fatigué, quelqu’un peut porter son sac et que lorsqu’un autre n’en peut plus, vous pouvez le soutenir, comme on le fait dans la vie humaine où nous avons nos moments de basse pression ou de haute pression qui, heureusement, ne coïncident jamais tout à fait, de sorte que l’un est en forme lorsque les autres ne le sont pas. Nous apprenons ainsi que cheminer en Église, c’est nous appuyer les uns sur les autres et ainsi être capables d’aller plus loin.

Maintenant, nous y sommes. Nous avons fait ensemble une partie du chemin qui nous conduit à la porte sainte. Quand on va en pèlerinage à Jérusalem, on arrive à la porte sainte ; quand on va en pèlerinage à Rome, on arrive à la porte sainte.
Là, il ne s’agit plus des préparatifs, des prises de contact, des découvertes, il ne s’agit plus de mettre notre corps social en mouvement : il se trouve devant la porte. La porte s’ouvre : à celui qui frappe, on ouvre, et le Seigneur dit : « Entre, si tu veux ».
Si tu veux, tu entres, mais entrer, cela veut dire que tu vas faire un pas de plus, que cette parole du Christ va devenir un peu plus vraie pour toi ; que tu vas accepter, peut-être pas ce soir, ni demain matin ou la semaine prochaine, mais à partir d’hier, de demain, de ce soir, de la semaine que nous allons vivre, tu vas accepter d’entendre la question : « Que veux-tu faire de ta vie ?
Veux-tu la garder, la défendre, la protéger, ou es-tu prêt à la donner ? »

Si tu es prêt à la donner, tu vas vivre une belle aventure dont nous ne savons pas ce qu’elle sera mais que tu découvriras jour après jour, une aventure d’amour et de joie. Je vous propose que, ce soir, nous prions les uns pour les autres pour que nos cœurs soient ouverts à cet appel du Christ à donner, non pas seulement notre joie, nos chants et nos fêtes, mais à donner nos cœurs qui sont le vrai cadeau qui plaît à Dieu. En donnant nos cœurs, nous ouvrons notre vie pour qu’il la conduise, là où il veut, comme il le veut, avec qui il veut, pour la joie du monde. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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