Homélie de Mgr André Vingt-Trois – 150e anniversaire de l’Œuvre d’Orient

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 20 mai 2006

Éminences,
Béatitudes,
Excellences,
Frères et Sœurs dans le Christ,

Depuis la Glorification du Seigneur et son Ascension auprès du Père, les disciples du Christ vivent de sa présence spirituelle et de sa grâce sacramentelle. Tout au long de son ministère public, – et spécialement dans les derniers entretiens que nous rapporte l’évangile selon saint Jean –, il a préparé les siens à cette nouvelle modalité de sa présence. Il les a instruits de la manière dont ils pouvaient rester en communion avec lui.

Cet enseignement culmine dans le Discours après la Cène où sont récapitulés les éléments fondateurs de la vie de l’Eglise que sont les Sacrements et la fidélité aux commandements du Christ. Et son commandement, le voici : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Nous comprenons bien que ce commandement de l’amour, laissé par Jésus à ses disciples, dépasse de loin une simple recommandation de circonstance pour les inciter à vivre en bonne intelligence après son départ. Il inclut une double dimension théologale : on ne peut pas espérer vivre en communion avec le Christ si nous ne vivons pas en communion les uns avec les autres ; on ne peut pas espérer témoigner de l’amour de Dieu pour l’humanité et le manifester dans l’histoire des hommes si nous ne nous engageons pas dans le service de nos frères, nos frères dans la foi et nos frères en humanité.

Or ce commandement de l’amour est assorti, dans la première épître de Jean, d’une précision simple : « N’aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité ». (I Jean 3, 18). Si bien que la réalité de notre foi au Christ est vérifiée par la manière dont nous aimons nos frères. Trop souvent nous nous représentons la foi chrétienne comme une simple opinion personnelle, un système particulier de croyances. Nous oublions trop facilement que la foi au Christ est d’abord une manière de vivre, elle consiste à faire la volonté du Père à entrer dans l’offrande que Jésus fait de sa vie par obéissance et par amour, à aller jusqu’au don de nous-mêmes, bref, aimer « comme il nous a aimés ».

Le 150e anniversaire de l’Œuvre d’Orient que nous avons la joie de célébrer aujourd’hui est une occasion providentielle pour nous de mieux comprendre ce commandement de l’amour et d’approfondir notre manière de le mettre en pratique. Il ouvre notre compréhension de l’Église à sa véritable dimension catholique. En accueillant les éminents patriarches et évêques des communautés d’Orient, nous prenons mieux conscience que la catholicité de notre Eglise ne consiste évidemment pas en une extension de l’Eglise de tradition latine, ni non plus dans la simple juxtaposition d’Eglises nationales dans une communion aux contours indécis. Elle est une véritable communion dans la même foi au Christ qui respecte les traditions particulières sans renoncer à l’unité voulue par le Christ sous la conduite du Pasteur commun, successeur de Pierre.

Selon la grande tradition inaugurée par saint Paul dans les temps difficiles des premières communautés, les collectes organisées pour le soutien des Eglises à travers le monde sont une manière concrète de mettre en œuvre cette communion.

Éminences, Béatitudes, Excellences, votre présence aujourd’hui dans cette célébration solennelle est le témoignage vivant de la catholicité de notre Eglise. Au nom des catholiques de France et des amis de l’Œuvre d’Orient, je veux vous exprimer notre gratitude pour le don spirituel qui nous est fait à travers vous. Que vous veniez du Moyen-Orient, de l’Inde ou de l’Europe orientale, vous nous rappelez les dimensions universelles de l’amour de Dieu et de l’annonce de l’évangile : sa longueur, sa largeur, sa hauteur et sa profondeur, pour reprendre les expressions de Paul.

Mais notre communion ouvre encore pour nous un champ immense de réflexion et d’action. Qu’il s’agisse des relations œcuméniques ou de la cohabitation quotidienne avec d’autres religions, notamment l’Islam, vous êtes pour nous des pionniers et des guides.

Avec les Églises de l’Orthodoxie, vous partagez largement des traditions théologiques, spirituelles et liturgiques qui nous sont trop souvent étrangères ou mal connues. Vous nous ouvrez des chemins pour une meilleure connaissance et une plus juste appréciation de ce qui nous unit malgré les ruptures de l’histoire.

Avec l’Islam, certaines de vos Eglises ont une expérience séculaire qui connaît les possibilités de cohabitation et de collaboration sans ignorer les embûches ou les impasses irréalistes. En assumant votre vocation dans vos différents pays, vous nous indiquez aussi une voie de coexistence et de lucidité.

Les conditions économiques et politiques peuvent conduire certains de vos fidèles à quitter leur terre pour venir parmi nous. Nous sommes heureux et fiers de pouvoir les accueillir et les aider à rester fidèles à leurs Eglises respectives en même temps que nous souhaitons qu’ils participent aussi à la vie de notre Eglise. Mais nous sommes très conscients que la vitalité de la foi catholique dans beaucoup de vos pays dépend de la possibilité de persévérer sur place, non seulement dans une attitude de survie, mais en manifestant la vitalité de l’Évangile à travers les œuvres nombreuses que vous animez : œuvres éducatives et œuvres sociales.

En contribuant financièrement à leur développement, les amis de l’Œuvre d’Orient permettent que le témoignage de l’amour de Dieu pour les hommes prenne sa pleine dimension.

C’est avec une grande joie spirituelle que nous sommes donc invités à rendre grâce pour la générosité manifestée depuis 150 ans par les donateurs de l’Œuvre d’Orient et pour les liens d’une communion renforcée qui se sont développés entre nos Eglises. Que Dieu accorde sa bénédiction à tous et qu’Il nous garde dans la communion de son amour.

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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