Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe avec les gens de la rue 2006

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Dimanche 14 mai 2006

Messe avec les gens de la rue, à l’occasion du 25e anniversaire de l’association « Aux captifs, la libération ».

 5e dimanche de Pâques, année B

Frères et sœurs, tout au long de ces dimanches après Pâques, - et nous célébrons aujourd’hui le 5e dimanche de Pâques -, les paroles que nous entendons pendant la liturgie nous conduisent peu à peu à découvrir comment Jésus prépare ses disciples à son absence. Ressuscité, il leur est apparu plusieurs fois, dans sa chair. Ils l’ont reconnu, ils ont pu parler avec lui, le toucher de leurs mains. Et, en même temps, les évangiles nous font comprendre que le Christ ressuscité qui leur apparaît, qu’ils peuvent toucher, avec qui ils mangent, avec qui ils parlent, n’est déjà plus tout à fait le même que celui qu’ils ont connu avant sa mort. Dans quelques jours, une dizaine de jours, nous célébrerons l’Ascension, le retour du Christ auprès du Père. Il ne sera plus au milieu d’eux. Comment vont-ils vivre ce départ du Christ ? Que vont-ils devenir ? Vont-ils découvrir qu’ils sont devenus orphelins, abandonnés au long des chemins, parce que le Christ n’est plus visible ?

Jésus les prépare à vivre ce moment en les aidant à comprendre qu’il a maintenant une manière nouvelle d’être avec eux, une manière qui ne se laisse pas percevoir par les sens mais qu’il désigne par le mot : “demeurer”. Il va demeurer en eux, il va être au-dedans d’eux-mêmes, vivant, présent, agissant. Comment cette présence se réalise-t-elle pour nous qui suivons le chemin des disciples ? Est-il présent aussi pour nous aujourd’hui, en nos cours ? Il nous dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » ; il nous dit que nous sommes comme les sarments attachés au pied de vigne, au cep, que nous recevons notre vie de lui comme le sarment reçoit la vie du cep et la sève qui monte en ses feuilles. Il nous dit que nous ne pouvons pas vivre et porter du fruit si nous ne sommes pas dans cette communion étroite avec lui. Alors, il nous donne aussi le moyen de vivre cette communion.

Le premier signe, la première forme de la présence du Christ en nous, sera le don de l’Esprit-Saint qui aura lieu à la Pentecôte. Il sera répandu sur les Apôtres et il leur apportera la force du Christ. Nous verrons ce petit groupe d’hommes qui vivaient enfermés dans la crainte, ouvrir les portes et les fenêtres et aller au-devant des autres, « pleins d’assurance » nous disait saint Paul tout à l’heure.

Il nous dit aussi que sa présence en nous dépend de la parole qu’il nous a donnée. Si nous gardons sa parole, il demeure en nous. Que veut dire : « garder sa parole » ? Que peut vouloir dire pour moi : « garder sa parole » ? Au moins déjà l’entendre, car je ne peux pas garder la parole du Christ si je ne la reçois pas. Nous recevons sa parole chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous venons de l’entendre. Mais la parole du Christ n’est pas seulement donnée par la proclamation liturgique que nous venons de faire, ou plus exactement cette proclamation liturgique est destinée à pénétrer au dedans de nous, dans nos cours, dans nos esprits, pour travailler notre liberté.

Il est bon pour nous d’avoir en notre mémoire quelques phrases de l’évangile que nous connaissons par cour. Les mots ne sont pas difficiles. « Sans moi vous ne pouvez rien faire » : ce sont des mots qu’on emploie tous les jours ; « Aimez-vous les uns les autres » : ce sont des mots qu’on emploie tous les jours ; « Ne rendez pas le mal pour le mal » : ce sont des mots qu’on entend tous les jours. Ces phrases, nous les connaissons par cour. Cette parole du Christ habite en nous par notre mémoire et nous pouvons la faire vivre en nous en répétant ces phrases, en les redisant dans notre cour : « Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier » ; « Seigneur, fais que je voie » ; « Fais que je marche ». Ces prières que l’Évangile lui-même nous a données, peuvent habiter chacune de nos journées. A chaque moment nous pouvons évoquer cette parole de Dieu, la faire monter à nos lèvres, la prononcer silencieusement, parfois la partager avec d’autres.

Mais garder la parole de Dieu, ce n’est seulement l’entendre, ce n’est pas seulement en faire mémoire, ce n’est pas seulement la répéter. C’est aussi, c’est d’abord la mettre en pratique. La première épître de saint Jean nous disait à l’instant : « Nous devons aimer mais non pas en discours, avec des actes et en vérité ». « Voici son commandement : avoir foi en son Fils Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé ». Si nous voulons vraiment vivre en communion avec le Christ, nous devons apprendre chaque jour à mettre mieux en pratique ces deux commandements : avoir foi en Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé.

En entendant ces deux commandements, vous vous rappelez que ce sont les commandements que Jésus donne à celui qui lui demande ce qu’il faut faire pour avoir la vie éternelle. Jésus lui répond : « Quels sont les commandements ? Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cour, de toute ta force et de tout ton esprit et tu aimeras ton prochain comme toi-même » (voir Lc 10, 26). Ce sont les mêmes commandements qui sont maintenant appliqués à Jésus lui-même.

Avoir foi en Jésus-Christ, nous savons bien que ce n’est pas facile tous les jours, nous savons bien que des événements, des circonstances, des accidents, des paroles, des gestes, des signes, de mépris, d’agressivité, nous font douter, mettent en notre cour la question radicale : « Seigneur, m’as-tu abandonné ? » Avoir foi en Jésus-Christ, ce n’est pas seulement croire que Jésus fait pour nous ce qui nous convient, ce n’est pas seulement croire qu’il est présent quand tout va bien. C’est croire qu’il est vivant et agissant dans notre vie, alors même que tout semble aller mal. Quand les disciples dans la barque sont pris dans la tempête, tandis que Jésus semble dormir, ils le secouent : « Seigneur, nous périssons ! » (voir Mc 4, 36) Combien de fois avons-nous dans notre vie l’impression que Jésus dort. Il est comme absent, on a envie de le secouer, et de lui dire : « Seigneur, fais quelque chose ». Il ne faut pas avoir honte d’appeler le Christ au secours, car l’appeler au secours, c’est déjà croire qu’il peut faire quelque chose.

Avoir foi en Jésus-Christ n’est pas seulement avoir des idées, ou son opinion, sur Jésus-Christ : « Certains pensent ceci, d’autres pensent cela ». Les évangiles connaissent cette manière de faire : « Que disent les gens qu’est le Fils de l’homme ? — Un prophète, Élie. » (voir Mt 16, 13-14), tout le monde a une idée sur Jésus, mais avoir foi en Jésus-Christ n’est pas simplement avoir une idée de plus, c’est vivre d’une manière nouvelle en nous aimant les uns les autres, comme il nous l’a commandé.

Nous sommes vraiment les disciples du Christ, nous sommes vraiment comme les sarments branchés sur le cep, nous sommes vraiment en communion avec lui quand nous essayons d’aimer nos frères comme il nous le commande. Les aimer dans notre Église qui doit grandir comme une famille ; aimer les chrétiens rassemblés dans cette famille et aimer ceux qui ne connaissent pas le Christ, aller au devant d’eux, leur tendre la main, les écouter, les respecter, les connaître, les aimer. Aimer comme le Christ nous l’a commandé, c’est sortir de nos histoires personnelles, de nos problèmes particuliers, sortir de nos inquiétudes à chacun, pour nous tourner vers ceux qui sont plus inquiets que nous, moins bien entourés, détruits parfois.

Alors, frères et sœurs, si nous voulons vraiment être en communion avec le Christ, si nous voulons vraiment que le Christ habite en nos cours, il nous faut nous aussi ouvrir notre vie, ouvrir notre cour, aller à la rencontre de nos frères partout où ils attendent, non seulement une aide pratique, mais surtout un regard de respect et d’amour. Alors le Christ ressuscité, toujours invisible à nos yeux, deviendra sacramentellement présent à l’histoire des hommes, si l’Église est fidèle à la mission qu’elle a reçue, si elle met en pratique jour après jour le commandement du Seigneur : « Avoir foi en Jésus-Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé. »

Amen.

+ André Vingt-Trois
Archevêque de Paris

Homélies

Homélies