Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 28e dimanche du temps ordinaire - Installation du Père Olivier Teilhard de Chardin à Ste-Marie des Batignoles

Sainte-Marie des Batignoles - dimanche 12 octobre 2008

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 22,1-14.

Homélie du cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs, Dieu a préparé pour l’humanité un festin de noces, de mets succulents, de viandes grasses, de vins fins avec des chants de fête.
Et pourtant, il peine à trouver des hommes et des femmes pour venir partager ce banquet. Le jugement qui s’exerce alors sur les invités qui se dérobent, ne vient-il pas plutôt de la timidité de nos cœurs que de la sévérité de Dieu : tant d’hommes et de femmes ignorent que le festin est prêt !
Comme la multitude des appelés, ils sont invités à prendre leur place à la table du Royaume. Ils sont attendus avec amour et impatience par le roi qui a tout préparé. Peut-être, tout simplement, ne connaissent-ils pas le menu.
Ils savent bien qu’il y a une fête, mais ils peinent à en percevoir les signes. Ils ont du mal à entendre les chants et les rires, à voir la joie qui saisit les invités. Ils n’arrivent pas à croire que passer la porte et franchir le seuil de cette église, c’est vraiment entrer dans une salle des noces pour une fête. Peut-être se trompent-ils ? Peut-être ont-ils gardé de leurs souvenirs lointains l’idée d’un rassemblement funèbre et triste ? Peut-être seraient-ils tout surpris s’ils franchissaient le seuil ?
Mais voilà, ils ne savent pas et n’entrent pas. Et comment pourraient-ils entrer s’ils ne savent pas ? Il y aurait une sorte de fatalité à dire que tout le monde est content ainsi : ceux du dedans à cause de la joie qu’ils trouvent à participer à la fête, et ceux du dehors parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils perdent.
Et tout pourrait continuer comme cela. Mais le Christ nous dit qu’il ne peut en être ainsi ! L’amour de Dieu ne s’accommode pas des barrières qui ont été posées, des écrans qui se sont interposés, des ignorances qui se sont accumulées et des refus qui se sont endurcis.
Il veut que tous les hommes participent au festin de son Royaume et il attend de nous que la générosité de notre cœur soit à la hauteur de l’abondance du festin qu’il offre.

Tous ces jours je participe à la réunion du Synode des évêques à Rome sur la Parole de Dieu. A longueur de journée, des évêques du monde entier nous racontent comment la place de la Parole de Dieu dans la vie chrétienne est vécue dans leur pays. J’entends parler de pays où on ne sait pas lire, de pays où il n’y a pas de Bible, de pays où il y a très peu de chrétiens pour témoigner de la Parole.
A mesure que j’entends énumérer ces situations de détresses et de misère, je pense à vous, au diocèse de Paris, à l’Europe et à l’immense richesse que nous avons accumulée au cours des âges, au merveilleux trésor qui nous a été confié. _ Et je me demande : « Ne sommes-nous pas rassasiés ? Avons-nous encore un peu faim de cette Parole ? Sommes-nous encore désireux de trouver notre place au festin du Père ?
Ne tournons-nous pas la tête devant une invitation qui va nous apporter infiniment plus que nous désirons, mais qui va aussi nous demander plus que ce que nous sommes prêts à donner ?
Plutôt que d’entrer dans ce jeu de la générosité ne préférons-nous pas garder nos distances et rester des chrétiens médiocres ou des chrétiens du seuil ? » La table est prête, elle est dressée : laisserez-vous votre place vide ou viendrez-vous l’occuper ?

Il y a plus. Cette fête n’est pas seulement pour nous. Il faut aussi qu’elle soit ouverte à tous et que nous soyons capables de communiquer la joie du banquet des noces que nous partageons ensemble, rassemblés autour du Seigneur, nourris de sa Parole et de son pain. Une solution est de s’installer aux carrefours pour faire des discours enflammés.
Peut-être quelqu’un l’attend-t’il de nous ? On ne perd rien d’essayer. Mais la joie de notre cœur se transmet surtout par notre manière d’être et de vivre, par la façon dont nous affrontons toutes les conditions de notre existence : le travail, ou l’absence de travail, la richesse et la pauvreté, la santé ou la maladie, l’amour ou la trahison, la joie d’une famille ou la détresse d’une solitude.
C’est là le quotidien de notre vie, dans lequel nous devons apprendre à être des hommes et des femmes libres et responsables. Le fait que nous soyons chrétiens nous permet-il d’assumer et d’affronter cette réalité d’une façon originale ou en tout cas suffisamment étonnante pour que les gens qui nous entourent se demandent : « D’où vient cette joie qui les habite ?
D’où vient que ni la maladie, ni la trahison -ni l’écroulement de la bourse- n’arrivent à les décrocher de la certitude qui habite leur cœur qu’ils sont aimés de Dieu pour toujours. »
Si notre vie est illuminée de cette joie, si jour après jour, dans toutes les circonstances, nous apportons le témoignage de la sérénité de ceux qui sont aimés, alors certainement, beaucoup seront prêts à accueillir notre invitation, à venir voir et peut-être même à goûter au vin des noces pour entrer aussi dans la joie.

En invitant le diocèse de Paris à prolonger, développer et diversifier son effort missionnaire, je n’ai pas d’autre but que de stimuler au cœur de tous ceux qui participent à la vie de notre Église, le désir de partager le trésor qu’ils ont reçu.
Je voudrais qu’ainsi grandisse en eux la conviction qu’ils peuvent apporter quelque chose à l’humanité, la force pour surmonter leurs craintes ou leur timidité et au fond leur capacité à vivre en témoin de l’Évangile par la puissance de l’Esprit.

Comme vous l’avez vu à l’instant, en installant votre nouveau curé, je lui confie la mission d’annoncer l’Evangile sans crainte, avec joie et sérénité, et d’en être témoin, non seulement au milieu de vous, mais avec vous au milieu de ce quartier. Au milieu de vous, je lui donne la mission d’être garant de la foi catholique de cette communauté. C’est pourquoi tout à l’heure je vais l’inviter à renouveler la profession de foi de son baptême. Au milieu de vous, je lui confie la mission de sanctifier le peuple chrétien par la prière et les sacrements. Je lui donne la responsabilité d’être au milieu de vous celui qui exerce le discernement et l’autorité pour que règne la paix entre les membres de la communauté. Frères et sœurs laissons-nous porter par la joie de Dieu qui nous invite à son festin, laissons nos vies s’ouvrir à cette joie pour qu’elles deviennent un signe aux yeux de tous les hommes. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois

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