Allocution du cardinal André Vingt Trois à l’occasion de son pèlerinage aux iles Solovki

Iles Solovki – Mardi 29 octobre 2008

En rendant cette visite à l’Église orthodoxe russe, j’ai tenu à venir m’incliner et prier en ce lieu, avec les évêques et ceux qui m’accompagnent. Ce pèlerinage ici aux Solovki est certainement un des moments les plus importants de mon voyage, tant ce lieu est important symboliquement, historiquement et spirituellement.

Le monastère de la Transfiguration qui s’y trouve depuis le XVe siècle appartient à la grande tradition du monachisme russe et a donné beaucoup de saints moines à l’Église orthodoxe. Nous nous réjouissons qu’il renaisse aujourd’hui après la tragédie dont ses murs ont été le théâtre.

Selon l’expression de Sa Sainteté le Patriarche Alexis II, les Solovki sont le « golgotha russe ». De nombreux évêques, prêtres, religieux et religieuses orthodoxes, avec d’innombrables laïcs connus et inconnus, y ont souffert, y ont été torturés, y ont été fusillés à cause de leur foi au Christ. Les Solovki sont ainsi étroitement liés aux néomartyrs, les martyrs orthodoxes du XXe siècle, dont le témoignage rappelle les pages glorieuses des persécutions des premiers siècles de l’histoire de l’Église.

En découvrant les descriptions de ce qu’ils ont subi, nous sommes remplis d’horreur, mais, en même temps, nous sommes confondus devant la force, la sérénité et le courage qui a pu les habiter pour qu’ils acceptent leurs souffrances sans faillir à la fidélité de leur baptême et en se confiant au Dieu qui sauve ceux qui croient en lui. Leur exemple conforte notre foi.

Nous n’oublions pas que le sang des martyrs est semence de chrétiens. Comme l’Église primitive, qui a puisé dans le témoignage de tant de ses fils, la force de porter l’Évangile jusqu’au bout de la terre, l’Église orthodoxe russe forte d’une liberté recouvrée trouve dans ses martyrs un puissant ferment de renaissance. Le monastère qui se trouve ici en est une lumineuse illustration. L’intuition du saint patriarche Tikhone se réalise aujourd’hui : les souffrances dont nous faisons mémoire dans ce lieu ne sont pas restées vaines. Elles portent du fruit et l’Évangile du Christ continue à transformer les cœurs de tant d’hommes et de femmes de Russie.
C’est pourquoi il est si important d’honorer la mémoire de ceux qui ont subi le martyre et de rendre grâce à Dieu pour le don qu’il fait à travers eux. Nous savons que c’est une tâche à laquelle l’Église orthodoxe russe s’emploie avec ardeur et qu’elle a déjà proclamé saints de nombreux néomartyrs que nous pouvons invoquer à présent. Nous leur confions l’Église orthodoxe russe et tous ses fidèles, nous nous confions nous même à leur prière, demandant à Dieu qu’il fasse grandir notre détermination à le servir sans faillir.

Mais nous leur confions aussi tous les hommes et les femmes anonymes qui ont trouvé la mort dans ces camps et dont Dieu seul connaît les noms. Car nous n’oublions pas non plus qu’aux Solovki a été installé le premier camp spécial à partir duquel s’est développé tout le réseau du goulag. Les Solovki sont le symbole du goulag lui-même et en venant ici nous nous inclinons avec respect dans le souvenir de toutes les victimes de cette idéologie athée, au nom de laquelle des multitudes d’hommes et de femmes été déportées et abandonnées. Le goulag, dont le défunt Alexandre Soljénitsyne a brossé un tableau si puissant, appartient aux grandes tragédies du XXe siècle. L’humanité doit en garder la mémoire, sans quoi elle s’expose à retomber dans les mêmes entreprises de déshumanisation des idéologies totalitaires.

Enfin, nous nous souvenons que parmi les victimes des Solovki figuraient aussi des prêtres, religieux, religieuses et fidèles catholiques. Nous rendons hommage à leur mémoire et rendons grâce à Dieu pour le témoignage qu’ils ont donné, selon le dessein de la Providence conjointement à leur frère chrétien de confession orthodoxe. Nous voulons voir un signe particulier dans le fait qu’orthodoxes et catholiques aient partagé les mêmes souffrances aux Solovki à cause de leur fidélité au Christ, Comme cela avait été souligné à Rome lors de la Commémoration œcuménique des témoins de la foi du XXe siècle présidée par le pape Jean-Paul II au Colisée en mai 2000 à l’occasion du jubilé de l’an 2000. Cette communion « dans le don de leur vie et dans le versement de leur sang est sans doute quelque chose de nouveau, un signe des temps qui devrait rapprocher les chrétiens de la pleine communion visible (…) un appel à progresser ultérieurement vers l’unité d’une foi professée dans la vie et proclamée dans la mission à toutes les nations . »

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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