Discours du cardinal André Vingt-Trois pour l’ouverture de la 47e Assemblée plénière des évêques de novembre 2008

Lourdes - 4 novembre 2008

Chers Frères et Amis,

Je salue très fraternellement les nouveaux évêques qui participent pour la première fois à nos travaux. Nous sommes tous heureux de leur arrivée dans notre assemblée et nous leur souhaitons d’y trouver autant de labeur et de joie que nous en trouvons nous-mêmes.

Avant d’ouvrir la session de notre assemblée, je voudrais vous partager quelques instants de la visite que je viens de faire à Moscou avec Mgr Thomazeau, Mgr Riocreux et Mgr de Moulins-Beaufort. A l’invitation du Patriarche Alexis II, je lui rendais la visite qu’il avait faite à Paris il y a un an. Nous avons passé quatre jours en Russie dont les moments forts ont été la visite de la Laure de la Trinité Saint Serge et de l’Académie de Théologie qui lui est jointe, une journée aux Iles Solovki qui fut le lieu du martyre de nombreux orthodoxes évêques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs unis avec des catholiques dans le témoignage de la foi et, évidemment la rencontre avec le Patriarche Alexis II. Nous avons pu constater le relèvement de l’Église orthodoxe russe, sa vitalité actuelle et le désir de nombre de ses responsables, dont le Patriarche Alexis, de nouer des contacts étroits avec l’Église catholique. Nous savons bien que ces relations sont marquées aussi par les tensions qui peuvent exister avec le Patriarcat de Constantinople et qu’elles ne sont pas sans opposition même parmi les évêques russes. Mais il me semble que ces relations peuvent aussi aider à un véritable rapprochement de notre Église avec l’orthodoxie. Nous serons à votre disposition pour en parler avec ceux qui le souhaiteront.

Cette session de notre assemblée est évidemment marquée par les deux grands événements ecclésiaux que nous venons de vivre. D’abord la visite pastorale du Pape Benoît XVI et ensuite la session du Synode des évêques.

Benoît XVI parmi nous.
La visite pastorale du Pape Benoît XVI a été un grand moment de la vie de notre Église. Les rassemblements de Paris et de Lourdes ont montré aux observateurs attentifs et impartiaux que l’image donnée trop souvent d’une Église en décadence et sans avenir ne correspond pas à la réalité. Nous avons vu une Église où les jeunes, adolescents, étudiants, jeunes professionnels jeunes familles avec leurs enfants, tenaient une place centrale et donnaient à nos rencontres un climat de joie, de sérénité et de recueillement tout-à-fait impressionnant. Beaucoup de personnes en ont été frappées à Rome et dans d’autres pays, nous en avons eu des témoignages nombreux au cours du récent synode.

La présence du Pape tout à la fois proche et accueillant, et totalement plongé dans la contemplation du Christ Sauveur a été un révélateur. Elle a manifesté la véritable personnalité de Benoît XVI, son espérance, sa confiance, et sa bonté. Elle a montré aussi l’affection que nous lui portons et notre profonde communion avec lui. La densité spirituelle des célébrations que nous avons vécues autour de lui a exprimé de manière sensible la richesse de notre unique liturgie commune quand on y apporte tout le soin qu’elle mérite.

La réunion qu’il a présidée ici même a été l’occasion de manifester clairement notre communion avec le Successeur de Pierre et la convergence de nos préoccupations et de nos recherches. Nous sortons fortifiés de cette rencontre pour nous engager et engager nos diocèses dans les voies de l’évangélisation. Les questions que le Pape a évoquées sont les mêmes questions qui font l’objet de nos préoccupations permanentes : les vocations, la famille, la catéchèse et la jeunesse, l’unité des communautés, l’engagement dans les relations œcuméniques et les relations avec nos frères juifs, la rencontre des religions non-chrétiennes. Ce sont autant de domaines dans lesquels nous nous efforçons de progresser chacun dans nos diocèses comme à l’échelon national.

L’appel de jeunes hommes et de moins jeunes au sacerdoce est évidemment au cœur de nos préoccupations comme le montrent les diverses initiatives prises dans les diocèses de France pour relancer sans cesse la pastorale des vocations et améliorer les conditions de la formation des prêtres. Les prêtres sont nos collaborateurs quotidiens et nous les recevons vraiment comme un « don de Dieu pour l’Église », « la couronne spirituelle de l’évêque. » Cette fois encore, nos travaux nous invitent à poursuivre notre réflexion sur les vocations, la formation et le ministère des prêtres.

Le Pape m’a fait part de sa grande satisfaction et de la joie qu’il avait éprouvée parmi nous. De son coté, chacun de nous a pu recueillir les échos positifs de ce voyage bien au-delà des limites des cercles ecclésiaux. Une nouvelle fois, au nom de l’ensemble de nos diocèses, je veux exprimer au Pape Benoît XVI notre reconnaissance pour tout ce qu’il nous a permis de vivre au cours des ces quelques jours. Nous nous emploierons à en récolter les fruits.


Synode des évêques.

Avec les délégués de la Conférence, nous rentrons tout juste de la XII° session générale du Synode des évêques. Nous aurons l’occasion tout à l’heure de partager nos réflexions sur le thème même du synode : « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église. » Mais avant d’entrer dans le contenu et les résultats de cette session, nous pouvons déjà saluer l’événement d’Église qu’elle a représenté. Près de 250 Pères synodaux entourés d’experts, d’auditeurs et de délégués des autres communautés chrétiennes ont vécu trois semaines d’échanges intenses sur la vitalité de l’Église à travers le monde et ont participé à une véritable expérience de la communion ecclésiale. Ils ont recueilli les fruits de la fécondité de la Parole de Dieu et ils ont partagé les espérances et les épreuves de l’évangélisation sur les cinq continents.

La mise en valeur de la Parole de Dieu dans la vie des communautés appelle certainement un renouveau de la diffusion de la Bible auprès des chrétiens et un développement des moyens de formation à la lecture priante des Saintes Écritures, à travers le monde et donc chez nous. Les risques de lectures fondamentalistes par des groupes à tendances sectaires supposent une meilleure capacité de la lecture de l’Écriture en Église et de son interprétation. Nous avons mesuré que la Constitution conciliaire Dei Verbum avait besoin d’être à nouveau étudiée et mise en œuvre, tout particulièrement dans la dimension théologique de l’interprétation biblique. Faut-il rappeler que quarante ans représentent une génération ? Pour beaucoup de chrétiens, le Concile fait partie des événements de l’histoire. Nous avons à actualiser son message. La formation des prêtres et des laïcs doit mieux s’appliquer à l’articulation entre une exégèse historique et une véritable lecture théologique des Écritures. Cet objectif suppose une recherche systématique dans l’élaboration pédagogique et une collaboration étroite et habituelle entre les exégètes et les théologiens. Le message des Pères synodaux est un vibrant appel à investir nos forces dans ce champ apostolique.

Sans doute l’écho médiatique de cet événement n’a-t-il pas été à la hauteur de l’expérience vécue autour de Benoît XVI. Les préoccupations de l’équilibre économique mondial ont éclipsé une réflexion qui débordait de toute part les cours de la bourse. Mais à l’échelle du temps, du monde et des attentes des hommes, qui saura ce qui aura le plus d’effet ? Dieu qui s’adresse à l’humanité lui apporte une espérance qui peut lui permettre de surmonter les péripéties de l’histoire et lui ouvrir un avenir plus assuré que les fluctuations économiques.

Notre société.
Ces événements de la vie de notre Église ne sont pas sans liens avec notre société à laquelle nous souhaitons apporter la Bonne Nouvelle et l’espérance qui nous habite.

Les soubresauts financiers qui marquent la période que nous vivons sont lourds de conséquences et de menaces, non seulement pour les revenus des grandes institutions financières ou pour les petits épargnants, mais aussi pour tous ceux dont les moyens de travailler et de vivre dépendent de la vitalité et de la production des entreprises, quelle que soit leur taille. L’implication forte et rapide des gouvernements européens a peut-être évité le pire. Il a montré en tout cas que la détermination permettait de faire face ensemble à une période de crise. Face à la précarité de l’emploi et à la baisse de nombreux revenus, nous sommes tous invités à développer notre réflexion sur l’organisation de la vie économique et sociale. Certes, notre Église n’a ni la mission ni la compétence pour apporter des solutions à ces problèmes. Mais elle a la mission et la compétence pour aider nos concitoyens à vivre humainement dans ce contexte économique et pour en mesurer les enjeux moraux.

Si la redistribution des revenus et des richesses peut séduire par son intention généreuse, nous ne pouvons pas éluder une question beaucoup plus radicale qui est celle de notre modèle de société. Partager des richesses est une attitude altruiste, mais le moment vient où nous devons prendre en compte les limites des richesses à partager. Comment pouvons-nous aider nos contemporains à intégrer dans leurs attentes le fait que notre planète n’est pas un réservoir indéfini de consommation possible ? Comment les aider à mieux admettre que nous ne devons pas seulement viser à la répartition des richesses entre pays développés, dans une société qui devrait assumer tous les risques particuliers ? Nous devons aussi assumer notre responsabilité dans le partage du travail et du développement avec les autres peuples de la terre. La France, comme l’Europe industrialisée, doit affronter cette réalité ou voir sa prospérité se dissoudre inéluctablement. Notre responsabilité est aussi engagée dans les attitudes à l’égard des ressources naturelles. Sans céder à un catastrophisme apocalyptique, dont les prévisions sont généralement démenties par les faits, nous devons affronter la question très réelle des coûts en ressources naturelles non renouvelables de notre modèle de consommation.

La gestion sociale du temps est confrontée elle aussi aux limites humaines. Les projets de dérogations nombreuses et légales au repos dominical s’inscrivent dans la perspective des mutations de notre société vers une norme du rendement maximum sans mesurer assez les coûts humains des changements envisagés. Nous n’oublions pas que déjà un nombre importants de nos concitoyens sont astreints au travail dominical, notamment dans certains services publics. Mais précisément, il s’agit d’une astreinte en faveur du service de tous. Etendre cette astreinte par une possibilité laissée au « libre choix » se réfère à un autre mobile : développer le rendement d’un certain nombre de secteurs d’activités économiques et miser sur l’appât du gain pour convaincre. Gagner plus doit-il devenir le principal objectif de l’existence ?

Que les chrétiens ne soient pas favorables à une extension du travail le dimanche ne surprendra personne. Pour eux, le Jour du Seigneur n’est pas un jour férié comme les autres. C’est le Jour de la Résurrection qu’ils célèbrent dans la joie et la fraternité. Cette obligation du repos dominical suppose de renoncer à d’autres activités, fussent-elles très rémunératrices. Le dimanche est aussi le jour d’une vie familiale plus intense et plus riche. Comment peut-on souhaiter que le tissu familial soit plus riche et plus structurant pour la vie sociale, si chacun des membres de la famille est retenu ailleurs par son travail ? Est-il normal que pour gagner honnêtement sa vie on soit invité à renoncer à la qualité de la vie ? Si des dispositions législatives généralisaient le champ du travail dominical, les dommages humains et sociaux qui en découleraient seraient sans commune mesure avec le profit économique qui peut en résulter. Ce serait une mesure supplémentaire dans la déstructuration de notre vie collective qui ne toucherait pas seulement les chrétiens.

De même, la révision des lois dites de bioéthique nous confronte à un réalisme incontournable. La recherche scientifique et ses applications médicales sont-elles faites pour le bien de l’homme et pour quel modèle d’humanité ? Voulons-nous laisser se développer, dans nos pays avancés, une course effrénée aux brevets, par tous les moyens disponibles ? Voulons-nous laisser instrumentaliser et commercialiser l’être humain sans aucune mesure ni aucune limite ? Il semble aujourd’hui que des personnes de plus en plus nombreuses commencent à entendre ces questions et acceptent d’y réfléchir. Elles savent que nous sommes attentifs à leurs réflexions et toujours disponibles pour y apporter notre contribution. Les avis que nous sommes invités à donner se situent toujours sur le plan qui est le nôtre, c’est-à-dire celui des enjeux humains et moraux des décisions à prendre. Nous préférons évidemment qu’ils ne soient pas sous-estimés devant l’autorité sans partage de spécialistes qui ont parfois tendance à négliger ces dimensions éthiques de la réalité, au moins jusqu’à ce qu’une crise grave les impose.

Notre programme.
L’assemblée que nous ouvrons aujourd’hui a un programme chargé qui vous a été communiqué avec les documents préparatoires. Nous ferons le point sur les groupes de travail du Comité Études et Projets et nous aviserons aux suites à donner pour les différents groupes. Tous concernent de quelque manière des questions déjà évoquées à l’instant. D’autre part, nous avons à valider les cahiers des charges des commissions et des conseils épiscopaux et ceux des services nationaux qui en dépendent. Dans ce travail d’évaluation sur la mise en place commencée il y a trois ans, nous ne négligerons pas non plus d’intégrer, nous aussi, ce que je disais précédemment sur l’ajustement des projets et des initiatives aux moyens dont nous disposons, notamment les moyens économiques dont les contraintes doivent impérativement être mieux assumées. Les élections des présidents de commissions ou de conseils qui suivront ce débat devront tenir compte de cette exigence d’une réduction de nos dépenses et d’une gestion plus rigoureuse, au moins aussi rigoureuse que celle que nous appliquons courageusement dans nos diocèses.

Il nous reste maintenant à nous mettre au travail et à faire en sorte qu’il soit fécond pour autant qu’il dépend de nous. Pour ce qui dépend de Dieu nous savons qu’Il ne nous fera pas défaut.

Hémicycle Sainte-Bernadette – Lourdes – 4 novembre 2008

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