Le cardinal André Vingt-Trois s’exprime sur le travail du dimanche sur RTL

RTL – Vendredi 12 décembre 2008

Interview réalisée par Jean-Michel Aphatie.

Bonjour, André Vingt-Trois.

Bonjour, monsieur Aphatie.

L’Assemblée nationale va examiner la semaine prochaine, à la demande du président de la République, la libéralisation du travail dans les grandes agglomérations et dans les zones touristiques. Êtes-vous partisan du travail le dimanche, Monseigneur Vingt-Trois ?

J’aurais un peu tendance à dire que ce sont deux questions différentes. C’est-à-dire que le projet de loi qui va être en discussion la semaine prochaine est un projet qui a une portée limitée et variable, si je puis dire, puisque depuis quelques mois, son champ d’application a beaucoup bougé, peut-être pas sans rapport avec un certain nombre de réactions...

Grandes agglomérations et zones touristiques...

Oui... Et moi, mon propos n’importe pas sur ce projet de loi. Il porte sur le sens du dimanche lui même, et sur le risque pour une société de banaliser l’ensemble des jours de la semaine, et de ne plus avoir de repères fixes pour les jours de repos et pour les activités qui permettent à une société de se constituer autrement que par le travail et le commerce.

De réfléchir, de se consacrer aux activités associatives, aux activités spirituelles, par exemple ?

Voila, par exemple et à la famille et aux relations...

Bien sûr... Donc, peut-on dire, sans forcer votre pensée que vous êtes opposé au travail le dimanche ?

Je suis opposé à la généralisation des dérogations du repos hebdomadaire, car je sais très bien déjà aujourd’hui en France que plusieurs millions de personnes sont astreintes à travailler le dimanche. Mais précisément, la différence c’est que ceux là sont astreints pour des motifs de service public ou pour des motifs de services commerciaux de base, mais ils ne sont pas dans un système où on leur propose de travailler. Ils ont une contrainte qui est justifiée par le service public. Là, les dérogations qui sont en perspective, sont des dérogations purement économiques et qui n’ont pas de fonction propre de service public.

Donc ca vous parait être une évolution non souhaitée ?...

Malsaine...

Malsaine, carrément ?...

Malsaine, parce que je pense qu’une société qui n’a pas de repères dans le temps est une société qui se déstructure. J’imagine et je pense très bien qu’un certain nombre de familles, par exemple, dont on sait très bien aujourd’hui qu’elles sont des familles décomposées et recomposées, sont des familles pour qui le week-end où des enfants vont retrouver l’un ou l’autre parent. Bon ! Ils vont retrouver qui ? Ca veut dire qu’il y a un jour, il y a un repère qui permet de construire et d’organiser la vie sociale. Que ce repère soit le dimanche dans un système de culture chrétienne, c’est tout à fait normal...

Alors justement, Gérard Larcher, le président du Sénat disait ceci hier : « Dans une république laïque, on peut imaginer le droit au repos hebdomadaire qui ne soit pas automatiquement le dimanche... »

Mais ça, c’est une vision un peu simple de la situation. Il y a beaucoup de chrétiens qui vivent en Israël. Ils savent très bien que le jour de repos commun, c’est le Shabbat. Et beaucoup de chrétiens qui vivent dans des pays musulmans savent que le jour de repos commun c’est le vendredi. Ça ne les empêche pas d’être chrétiens. Donc je veux dire que nous, notre revendication, n’est pas du tout une revendication spécifiquement confessionnelle. C’est une revendication sur la structure et l’équilibre de la société...

Ce message-là, vous avez eu l’occasion de le faire passer à des responsables politiques, ou peut être d’en discuter directement avec le président de la République ?

Je n’en ai pas discuté directement avec le président de la République... Mais j’en ai parlé avec un certain nombre de responsables politiques, et j’ai eu l’occasion de le dire à l’assemblée plénière des évêques à Lourdes au mois de novembre dans le discours d’ouverture, et je crois que j’ai été entendu...

Le message est effectivement passé. C’est comme ça que nous avons nous par exemple à RTL pris conscience de votre réflexion sur le sujet. À Lourdes, vous n’avez pas dit que ça. C’était au début novembre. On se souvient que travailler pour gagner plus était le slogan fétiche du candidat Sarkozy au printemps 2007. Et vous, vous dites, gagner plus doit il devenir le principal objectif de l’existence ? Seriez-vous entré dans l’opposition ?

Ah pas du tout, parce que je pense de fait que le slogan du président Sarkozy avait un double avantage. Le premier, c’est de permettre aux gens de réaliser que pour gagner de l’argent, il fallait travailler... Et le deuxième, c’était d’avoir...

On s’en était rendu compte avant...

Oui, oui... Mais quelquefois on nourrit quelques illusions aussi. On s’imagine qu’il y a des moyens de gagner des sous autrement. Et puis je crois aussi que ça avait le mérite d’avoir un aspect mobilisateur. Mais moi, mon objectif n’était pas de critiquer une phrase de campagne électorale. Mon objectif, c’était de dire : est-ce que la vie de l’homme doit s’organiser comme principe de référence sur l’idée de gagner plus. Je pense évidemment qu’un certain nombre de gens sont dans une situation où ils souhaiteraient beaucoup gagner plus et où ils auraient besoin de gagner plus. Mais est-ce que pour gagner plus il faut renoncer à ce qui fait l’équilibre de la vie humaine ? Est-ce qu’une femme qui vit seule et qui élève deux enfants et qui est caissière dans un supermarché pourra nourrir ses deux enfants, être obligée de travailler le dimanche, et de laisser ses gosses tout seuls devant la télévision. C’est ça ma question...

La crise économique, dites-vous aussi, peut entrainer une remise en cause de la surconsommation et l’invention de nouvelles aspirations. Vive la crise pour l’Église française ?

Non, c’est pas ça, mais un des aspects du réalisme de la foi, c’est de partir de la réalité. On est dans la réalité d’une crise et mon regard d’espérance c’est de me dire peut être que cette crise peut avoir quelque chose de bon, et il faut essayer d’en tirer profit. Il faut pas... C’est pas parce qu’il y a une crise économique que le monde va s’écrouler. Le monde continue de tourner. Alors comment est ce qu’on va vivre dans ce monde qui tourne ?

Bonne question. La crise touche aussi l’église semble-t-il... On a vu l’évêque d’Évry, Monseigneur Dubost, en appeler sur internet à la générosité des fidèles parce que pour parler simplement, il n’arrive pas à boucler les fins de mois...

C’est possible oui. c’est normal... Je veux dire que l’Église est dans le même contexte économique que le reste de la société. C’est évident qu’au moment où les gens sont obligés de se restreindre dans leurs dépenses, ils sont obligés de faire des choix et donc de savoir si le choix de financer leur église est un choix prioritaire ou si c’est un choix annexe au même titre que d’autres générosités qu’ils peuvent avoir...

Et vous même, à Paris par exemple, vous avez aussi ce type de difficulté financière ?...

On n’a pas de difficulté financière particulière, mais nous sommes très attentifs à suivre l’évolution des dons dans ces mois qui sont en train de s’écouler...

Donc le travail du dimanche, ce sera l’un des grands sujets de débat la semaine prochaine. Peut être que votre intervention sur RTL fera réfléchir certains députés, notamment ceux de la Majorité...

Mais je ne vise pas à influencer le débat parlementaire.

Un petit peu quand même, sinon...

À aider les gens à réfléchir...

Voilà, sinon vous ne seriez pas venu ce matin sur RTL si vous ne visiez pas...

Je suis venu pour le plaisir d’être avec vous et puis pour vous remercier de m’avoir invité...

Et bien le plaisir était réciproque. « Le travail du dimanche, ça peut être malsain. » On retiendra le qualificatif...

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