Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe de Noël en la cathédrale Notre-Dame

Notre-Dame de Paris, Jeudi 25 décembre 2008

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Chers frères et sœurs,

Permettez-moi d’abord de souhaiter à chacun et à chacune un très joyeux et un très saint Noël, à vous qui êtes venus ce matin dans cette cathédrale pour célébrer la fête de la Nativité du Seigneur et à toutes celles et tous ceux qui participent à notre prière grâce à la radio et à la télévision KTO. Que ce Noël soit vraiment un temps de joie et de paix ! Pour qu’il en soit ainsi, il nous faut recevoir la paix et la joie qui viennent de Dieu, c’est-à-dire reconnaître dans cet enfant couché dans une mangeoire non pas simplement un nouveau né attendrissant comme tous les bébés, mais Celui qui manifeste parmi nous la présence du Dieu invisible.
Autour de nous, nous voyons se déployer tous les signes d’une fête païenne qui n’a gardé de la Nativité que la nostalgie de l’enfance, une sorte de conte de Noël qui s’apparente d’avantage à la culture du new-age qu’à la foi chrétienne. Mais le Verbe éternel de Dieu, Celui qui « était auprès de Dieu » (Jn 1, 2) avant le commencement du monde, Celui par qui tout ce qui existe a été créé, Celui qui est la vie et qui est venu prendre chair dans notre chair jusqu’à endurer la mort, celui-ci n’est pas une espèce de père Noël de pacotille. Dans la naissance de Jésus, il nous est donné quelque chose d’infiniment plus grandiose et plus grave que ce que, faute d’avoir compris ou même connu, nos contemporains ont tendance à considérer comme une fête parmi les fêtes.
Mais quel est cet évènement caché au cœur de la nuit de Bethléem, dont personne ne s’aperçoit, sinon quelques bergers rattroupés à la hâte par les anges pour venir les premiers reconnaître le Messie de Dieu, qu’arrive-t’il de si extraordinaire et de si dur à admettre pour l’intelligence humaine ? Il se passe une chose pourtant très simple et que nous pouvons d’une certaine façon comprendre facilement : si Dieu est Dieu alors il n’est pas comme nous, et si nous sommes des êtres humains alors nous ne sommes pas comme Dieu. Comme nous le savons par le récit de la Genèse au début de la Bible, entre Dieu et nous il y a une différence tellement considérable, que l’intelligence humaine s’épuiserait à vouloir saisir l’identité de Dieu. Dieu est Celui dont nous sortons, Celui qui nous a donné la vie, Celui qui a suscité le monde, Celui qui met en œuvre à travers les siècles et les univers la puissance de son amour. Mais il est aussi Celui que nous ne pouvons ni connaitre, ni saisir, Celui que « nul n’a jamais vu » comme nous venons de l’entendre dans le prologue de l’évangile de saint Jean (Jn 1, 18). Si Dieu est vraiment Dieu, s’il est le Dieu unique, alors il n’est pas de notre monde. Et si nous sommes vraiment des êtres humains lancés sur la terre, nous ne sommes pas du monde de Dieu. Or dans la nuit de Noël, cette incommunicabilité, ce fossé, cet abime, qui séparent la réalité de Dieu de la réalité de l’homme sont brusquement comblés et abolis, non parce que nous serions devenus Dieu, mais parce que Dieu est devenu homme. Certes, devant ce mystère l’intelligence humaine se bloque : Comment Dieu peut-il continuer d’être Dieu s’il est vraiment devenu homme ? Comment peut-il continuer d’être Celui que personne n’a jamais vu s’il s’est rendu visible à nos yeux ? Comment peut-il être celui que l’intelligence de l’homme ne peut pas connaître s’il s’est révélé et s’il s’est donné à connaître ? Comment peut-il être la source de toute vie et le but de l’histoire humaine s’il devient un membre de l’humanité en un temps et un lieu et pour une durée déterminé ? Comment peut-il être l’éternel s’il est dans le temps ? Comment peut-il être vraiment Dieu s’il rejoint en nous l’image qu’il y a déposée par la création lorsqu’il fait l’homme à son image ? Car dans la personne de cet enfant nouveau né ce n’est plus en effet simplement le souvenir de l’image de Dieu qui persiste, c’est Dieu lui même qui se rend présent et devient l’un d’entre nous. Dieu ne visite pas les hommes par vaine curiosité ou pour venir découvrir ce qui se passe sur la terre comme dans les mythologies anciennes, mais il vient pour assumer notre condition humaine et pour l’entraîner dans la communion de la vie divine.
Ce qui était incompatible, incommunicable et inconnaissable devient accessible, compatible et communicable. Ce que Dieu a révélé aux homes à travers une longue histoire dans les siècles sous des formes qui restaient déléguées et prophétiques, comme nous le dit l’épitre aux hébreux, tout cela s’est révélé en plénitude, dans la naissance et la vie de Jésus de Nazareth, le Fils unique de Dieu venu dans le monde.
C’est pourquoi ce jour est un jour de joie et d’espérance : nous contemplons dans la personne de cet enfant nouveau né l’amour de Dieu qui vient épouser la condition humaine, nous voyons Celui qui est au delà de toute mesure se présenter parmi nous dans les limites et la faiblesse d’un nourrisson, nous adorons le tout puissant venu parmi les hommes dans les signes de la faiblesse, nous célébrons l’Eternel venu partager notre temps, nous accueillons Celui qui est toute gloire (le gloire de Dieu s’est manifestée aux hommes) qui s’enfouit dans la misère de l’humanité. Bien sûr, ce qui s’est passé dans la nuit de Bethléem ne concerne pas simplement les habitants de ce village ni même les seuls contemporains de Jésus, mais touche l’humanité toute entière. Dieu s’est fait l’un de nous pour que tous les hommes puissent être entraînés dans la vie trinitaire. Comme le dit le même évangile de Saint Jean, Jésus « attire à lui tous les hommes, quand il est dressé de terre » (Jn 3, 14) et saint Paul écrit : « il récapitulera toute chose en Lui » (Ep 1, 10) pour les unir dans la gloire de Dieu. Voilà notre espérance, notre joie et notre lumière ! Nous savons combien chacune de vie est limitée et fragile, et combien la vie de l’humanité est précaire. Mais dans le mystère de Noël, nous savons aussi que l’amour de Dieu est plus puissant que nos fragilités et nos faiblesses et que Dieu les partage pour les habiter de sa puissance et nous entraîner avec Lui dans la vie éternelle.
Amen.

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