Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 5e dimanche du temps ordinaire - Année B

Notre-Dame de Paris, dimanche 8 février 2009

Jb 7, 1-4.6-7 ; Ps 146, 13-7 ; 1 Co 9, 16-19.22-23 ;
Evangile selon saint Marc au chapître 1 versets 29-39

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et Sœurs,

Nous poursuivons la lecture du début de l’évangile de saint Marc, qui nous présente le ministère public de Jésus. Dimanche dernier nous avons entendu le récit du jour du sabbat à la synagogue de Capharnaüm. Jésus y enseigne avec autorité et délivre un homme de l’esprit mauvais qui habitait son cœur.
Les auditeurs et les témoins de cette scène ont été impressionnés et, comme le souligne l’évangile, « la nouvelle s’est répandue » (Mc 1,28). C’est pourquoi, lorsqu’arrive le soir et la fin des contraintes liées au jour du sabbat, dès le moment où chacun peut reprendre ses activités, tous apportent les malades et les estropiés auprès de la maison où se trouve Jésus.
« Toute la ville était là » (Mc 1,33) nous dit l’évangile. Cette foule qui se presse autour de la maison de Simon et d’André rappelle cette humanité accablée par la misère évoquée dans le passage de livre de Job lu tout à l’heure.
Nous y retrouvons aussi tous les hommes et les femmes qui, aujourd’hui encore, sont écrasés par la vie, qu’ils soient blessés dans leur corps, malades, infirmes ou handicapés, qu’ils soient atteints dans leur cœur, victimes de ruptures affectives et de trahison de leur amour, ou qu’ils soient encore affaiblis dans leur esprit et dans leur âme, quand ils perdent courage, qu’ils renoncent ou n’ont plus la force d’assumer leur vie.

Cette foule peut évoquer ces visages inconnus que nous croisons tous les jours, et aussi nos propres existences, quand il nous arrive le matin lorsque commence notre journée, d’être impressionnés par ce que nous avons à faire et ce qui va arriver. Nous formons cette foule accablée présente tout au long de l’évangile, ces « brebis sans berger » (Mc 6,34) sur lesquelles Jésus porte un regard de pitié.

Ce soir-là, à Capharnaüm, ils espèrent tous en Jésus. Ils viennent à lui et présentent leurs malades, leurs souffrances et leurs blessures. Ils attendent de lui un geste qui les soulagera ou les guérira. Et l’évangile nous dit : « Il guérit toutes sortes de maladies et il chassa beaucoup d’esprits mauvais » (Mc 1, 34).
Le geste prophétique que Jésus avait fait dans la synagogue de Capharnaüm en délivrant un homme de l’esprit mauvais qui l’habitait n’était donc pas destiné à être sans suite. Jésus poursuit son œuvre de Salut : il est vraiment celui qui guérit et délivre.

La suite de l’évangile introduit deux éléments de rupture qui vont marquer le comportement de Jésus tout au long de son ministère. Premièrement, alors qu’il est entouré de cette foule et pressé de toutes parts, il se retire : « le lendemain, bien avant l’aube, il sortit dans un endroit désert et là il priait » (Mc 1, 35). D’une part « Jésus est sorti » (Mc 1, 38) comme nous dit l’évangile. Il est sorti de la communion trinitaire, il est venu dans le monde et s’est plongé dans l’histoire humaine. Il a voulu se laisser approcher et se rendre accessible à tous.

Mais en même temps, nous le voyons constamment se retirer, se mettre à l’écart pour prier, lui seul ou avec ses disciples qu’il entraîne à distance pour leur faire comprendre certaines choses que tout le monde ne peut encore recevoir.
Dans l’évangile de Marc se déploie cette tension entre la présence du Christ au cœur de la vie des hommes et cette distance qu’il prend pour revenir au cœur de sa mission, qui est communion avec le Père. Les versets suivants nous enseignent que cette manière du Christ n’est pas simplement un procédé pour bénéficier d’un peu de calme pour prier, mais l’occasion de montrer qu’il ne peut se laisser enfermer ou emprisonner par tel ou tel groupe.
Aux disciples qui lui annoncent : « tout le monde - c’est-à-dire tous les habitants de Capharnaüm -te cherche » (Mc 1, 37), Jésus répond : « partons ailleurs dans les villages afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle » (Mc 1, 38). Jésus ne se laisse pas posséder par la communauté dans laquelle il était immergé mais poursuit plus loin sa mission. C’est la seconde rupture introduite dans ce premier chapitre de l’évangile de saint Marc.

Dans la synagogue de Capharnaüm, il avait livré le cœur de son ministère : annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile et guérir. Mais cette mission ne peut se réduire à une celle d’un guérisseur ou à une fonction de service qui ne serait pas animée par l’annonce de l’Évangile.

Il va quitter Capharnaüm pour prier dans un endroit désert et de là aller annoncer l’Évangile aux autres villages : « il parcourut donc toute la Galilée proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues et chassant les esprits mauvais » (Mc 1, 39). Jésus accomplit son ministère d’annonce et de libération non pas simplement dans la petit ville de Capharnaüm, ni seulement pour le village de Nazareth qu’il a quitté pour aller à Capharnaüm, mais dans toute la Galilée, puis à Jérusalem et en Judée.
Ainsi, dès le début de son ministère, perce cette dimension universelle qui sera proclamée à la fin de l’évangile quand Jésus enverra ses disciples annoncer l’Évangile à toute la création (Mc 16, 15).

Le Christ est envoyé pour l’humanité toute entière. Il ne se laisse pas enfermer par un groupe particulier, ni même par la communauté de ses disciples. Au contraire il les entraîne avec lui et les fait sortir des lieux qui sont les leurs, de leurs préoccupations et de leurs habitudes. Il les entraîne dans la mission que le Père lui a confiée et qu’il leur transmettra.
Dès le début du ministère public de Jésus, cette mission universelle est comme l’horizon de sa mission d’annonce de l’Evangile et de guérison.

Pour terminer je voudrais vous inviter à prier ce soir plus particulièrement pour l’Église. Vous savez que nous sommes secoués par des réactions en tout genre, après la décision du Pape Benoît XVI d’ouvrir une porte à ceux qui voudraient rejoindre la communion ecclésiale. Cette décision prise par le Pape a d’abord a été mal comprise, peut-être aussi mal expliquée.
Beaucoup ont compris que cette ouverture était une réintégration pleine et entière, ce qui n’est pas le cas. Plus gravement encore, nous voyons depuis une semaine que l’un des évêques concernés par cette mesure de clémence et de miséricorde fait non seulement des déclarations abjectes mais de plus les renouvelle et il s’y enferre après que le Pape ait demandé explicitement qu’il les rejette sans équivoque.
Il manifeste ainsi sa prise de position par rapport à la proposition faite. C’est une tristesse pour nous, c’est une tristesse pour les hommes et les femmes qui nous entourent, c’est une tristesse évidemment pour nos frères juifs.
Je voudrais que nous priions pour que l’Esprit Saint éclaire le cœur des hommes et les fasse progresser dans le chemin de la conversion et de l’unité et non pas dans les errements de la division.

Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris

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