Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe du Mercredi des Cendres

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mercredi 25 mars 2009

Evangile selon St Matthieu au chapitre 6, 1-6. 16-18

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs,

« C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du Salut ! » (2 Co 6, 2). Voilà pourquoi l’Église nous convoque. Selon les mots du prophète Joël, le Peuple de Dieu est rassemblé pour entrer dans le chemin de la conversion. C’est l’Esprit Saint lui-même qui nous constitue aujourd’hui comme assemblée sainte et qui nous conduit à entendre l’appel à la conversion et à y répondre. « C’est maintenant le temps favorable, c’est maintenant le jour du Salut ! » Chacun d’entre-nous est invité personnellement à changer sa vie et son cœur pendant ce temps du Carême. Mais cet appel est d’abord adressé à toute l’Église.
Le Peuple de Dieu tout entier entre dans ce chemin et accompagne son Seigneur au long de ces quarante jours, qui évoquent le séjour du Christ au désert et l’exode du peuple saint pendant quarante années. Ce chemin qui nous prépare à la célébration de la mort et de la résurrection du Christ est une aventure communautaire, dans laquelle nous accueillons et nous accompagnons les catéchumènes qui recevront les sacrements de l’initiation au cours de la Vigile pascale.
Samedi après-midi je célébrerai ici-même l’appel décisif de près de trois-cents catéchumènes adultes, et la semaine prochaine, j’accueillerai de même les jeunes adolescents qui se préparent au baptême.
Ces futurs chrétiens sont au milieu de nous pour nous rappeler la force de notre baptême, mais aussi pour que nous les soutenions dans leur chemin de conversion. Avec eux, nous revenons à la source de notre foi afin que notre vie baptismale prenne à nouveau toute sa vigueur.

L’évangile de saint Matthieu nous donne les trois accents de ce temps du carême - la prière, le partage et le jeune - et l’esprit dans lequel nous devons les vivre.

Pendant ces semaines qui nous préparent à la célébration de Pâques, nous sommes invités à prier avec plus de régularité, avec plus de conviction, avec plus de recueillement.
Nous cherchons aussi à partager avec ceux qui manquent du nécessaire. Pour eux nous pouvons ouvrir nos richesses afin de rétablir un peu plus d’équité dans les relations entre les hommes. Enfin nous sommes invités au jeûne, c’est-à-dire précisément à faire l’expérience d’une privation dans notre propre vie.
Le Saint Père dans son message pour le carême insiste davantage sur ce point. Il explique que le jeûne ne peut être simplement vécu comme une diète hygiénique servant à rétablir un peu de sobriété dans une existence souvent marquée par l’excès.
Au-delà même de la privation volontaire pratiquée dans beaucoup de religions, le jeûne est surtout une expérience de foi puisqu’il nous donne l’occasion d’expérimenter que la puissance sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour construire et dynamiser notre vie de sainteté ne vient pas de ce que nous mangeons et buvons mais de la grâce de Dieu.
Et pour faire l‘expérience physique de cette grâce invisible, nous sommes invités à vivre une privation bien visible, que nous ressentons dans notre chair comme un manque.
Cette expérience du manque nous ouvre à la compréhension de l’infini miséricorde du Père et de la richesse prodigieuse de ce qu’il peut nous donner, qui dépasse infiniment la satisfaction que produirait ce que nous renonçons à manger ou à boire.

En ces temps où notre société est confrontée à une crise profonde de ses moyens de production, cette expérience du jeûne nous permet certainement aussi de réviser notre rapport à la consommation.
Les plus anciens d’entre-nous peuvent mesurer qu’en l’espace de quelques dizaines d’années (au plus un demi siècle), l’évolution des modes de vie a entrainé un développement exponentiel de la consommation, sur laquelle repose désormais l’équilibre général de notre civilisation et de notre culture, toutes consacrées à convaincre tout un chacun de ses besoins à assouvir. Mais au lieu d’apaiser et de satisfaire les désirs, ce système ne fait que les rendre plus vifs et plus exigeants.
Manger ne rassasie plus mais provoque l’envie de manger plus. Faire l’expérience du jeûne, c’est expérimenter qu’il y a un autre équilibre de vie, qu’à travers le monde des millions et des millions d’hommes et de femmes vivent perpétuellement dans le manque, en-deçà du minimum nécessaire à l’équilibre biologique, dépendant d’autrui, non seulement pour leur existence quotidienne mais même pour leur survie. Le jeûne nous est l’occasion de prendre conscience de ce qu’il y a d’illusoire et d’artificiel dans l’équilibre de notre mode de vie.

Le critère d’authenticité proposé par l’évangile, selon lequel nous devons vivre ce chemin de conversion, repose sur l’opposition entre l’ostentation et le secret. Nous ne posons pas des actes de conversion pour la galerie, pour démontrer notre capacité à nous convertir.
Nous ne sommes pas invités à éblouir les gens qui nous entourent. Dans la force de la foi, nous sommes invités à dévoiler notre cœur devant Dieu et à faire un travail de conversion intérieure. Celui-ci permet certainement des changements extérieurs.
Mais ceux-ci jaillissent de ce qui est vécu au secret de notre cœur, là où nous sommes seuls devant Dieu, et non pas des signes et des pratiques extérieurs. A travers la multitude de ces conversions intérieures et inconnues, la sainteté de l’Église se développe et porte du fruit. Prions le Seigneur qu’il nous en donne la motivation, le courage, et la joie. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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