Accompagner ses proches vers la fin

Paris Notre-Dame du 24 janvier 2013

Avec la remise, le 18 décembre dernier, du rapport Sicard, les questions
autour de la fin de vie ressurgissent. Infirmière en centre de soins
palliatifs, Nolwenn de Lesquen nous donne son éclairage sur le rôle que
peut tenir la famille auprès du malade.

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Paris Notre-Dame : Que conseillez-vous aux proches du malade quand ce dernier arrive en soins palliatifs ?

Nolwenn de Lesquen – L’arrivée en soins palliatifs est déstabilisante pour les familles. Souvent, elles y arrivent après un long parcours à l’hôpital, lors duquel elles ont accompagné le malade à travers une approche curative. Mais ici, il n’y a plus d’examen ni de bilan sanguin. Les familles doivent accepter d’entrer dans une nouvelle dimension : comprendre que la médecine a joué tout son rôle pour guérir, mais que désormais, loin d’abandonner le malade, il faut préférer le « prendre soin », c’est-à-dire l’accompagnement vers les derniers instants. Pour cela, nous encourageons les familles à changer de regard sur leur parent malade, à laisser tomber le rôle d’infirmier qu’elles peuvent avoir revêtu pour retrouver leur place, légitime et irremplaçable, d’époux ou d’enfants. Lorsque les choses sont ainsi rétablies, les familles peuvent entamer le sain processus de deuil.

P. N.-D. : Comment être présent auprès du malade de la meilleure façon possible ?

N.de L. – Être présent auprès du malade demande de continuer à écouter ses questions, ses désirs et d’accepter que ce dernier change d’avis. L’ambivalence est caractéristique des personnes en fin de vie. Un malade peut soudain réclamer d’aller marcher, alors qu’il n’a plus la force musculaire de le faire, puis avoir envie d’autre chose. Rester humain, c’est tout simple, mais les familles, qui peuvent se sentir désemparées, ont tendance à oublier que la fin de vie se joue dans le savoir-être. Il s’agit par exemple de frapper à la porte de la chambre du malade avant d’y entrer, puis de lui offrir une attention sereine, déchargée de ses propres soucis. C’est aussi apprendre à décrypter, à l’aide des soignants, le regard et les gestes, même infimes, du malade. Aux côtés d’une personne au seuil de la mort, la présence silencieuse du proche est aussi un cadeau ; l’occasion de redécouvrir la beauté de la présence, sereine et féconde.

P. N.-D. : Comment faire pour tenir dans la durée ?

N. de L. – Il est nécessaire, pour tenir, d’aller se reposer. Quand les familles sont trop fatiguées, nous leur disons d’aller manger et dormir. De plus, les personnes en fin de vie sont épuisées et supportent difficilement les longues visites. Il est aussi important de se relayer entre frères et sœurs au chevet du malade. L’entourage pourra alors lui exprimer ce qu’il vit : « Je suis fatigué, je pars me reposer. Tu veux bien ? » Les équipes soignantes soulignent aussi la nécessité pour les proches de s’appuyer sur leur entourage. Ils pourront par exemple demander quelques services à ceux en qui ils ont confiance. Et ne pas hésiter à leur raconter ce qu’ils vivent. Enfin, peu connu, le congé de solidarité familiale permet aux enfants, frères, sœurs et conjoint salariés de décrocher de leur travail pour être davantage disponibles à leur famille. Cela peut être un bon moyen pour accompagner au mieux son parent.

P. N.-D. : Que peut-on dire à propos des demandes d’euthanasie ?

N. de L. – Ce sont le plus souvent les proches du malade qui demandent l’euthanasie. Incapables de supporter l’agonie de leur parent, ils projettent sur ce dernier leurs souffrances alors que, bien souvent, après avoir traversé les étapes de la révolte, du déni, du « marchandage » ou de la tristesse, le malade est passé à autre chose. En fait, nous devons bien comprendre que le temps de l’agonie ne nous appartient pas. Il s’y passe quelque chose qui nous dépasse. Il y a par exemple des personnes qui profitent de quelques minutes où plus personne n’est dans leur chambre, ni famille, ni soignant, pour mourir. Et il y a celles qui attendent, au-delà de ce que leur corps semble disposé à tenir, la visite d’un petit-enfant qui rentre de l’étranger et qui meurent juste après. C’est pour cela que nous n’avons pas le droit d’abréger ce moment si primordial. En cela, le rapport Sicard nous inquiète. Il ouvre en effet la voie à la sédation profonde ou « terminale », laquelle permet d’endormir le patient pour le faire mourir. Or, nous ne sommes là que pour soulager la douleur et la solitude. C’est ce que permet la sédation continue qui, dans les cas exceptionnels, endort le patient le temps nécessaire pour l’aider à supporter la souffrance. • Propos recueillis par Agnès de Rivière

Témoignages

Pascale Poulain, responsable adjointe de l’association AIM (Accompagner ici et maintenant) - Bénévoles Jeanne Garnier (15e) « La présence humaine, remède contre la douleur »

« 115 bénévoles se relaient du lundi au samedi à Jeanne Garnier. Nous assurons l’accueil des malades et de leurs familles ainsi que leur accompagnement et leur écoute pendant tout leur séjour. Nous sommes étroitement liés à l’équipe médicale avec qui nous collaborons pour soulager la douleur. Nous sommes toujours attentifs à un patient qui grimace ou qui dit avoir mal : nous nous asseyons à côté de lui pour lui parler et lui prendre la main. Si la douleur persiste, nous appelons un soignant qui s’occupe de lui. Car il existe des douleurs physiques et des douleurs psychologiques. Dans ce dernier cas, la présence humaine est le meilleur remède. Régulièrement, les soignants nous demandent de venir passer du temps auprès d’un malade qui traverse un moment de détresse morale. Notre présence peut apaiser et aider un malade à retrouver une certaine confiance. Il est quelquefois plus facile à un malade de se confier à une personne extérieure qu’à sa famille ou à l’équipe soignante. »

Michel Moreau a accompagné sa mère pendant ses dernières années à l’hôpital Ste-Périne (16e). « J’ai compris la force de la faiblesse »

« Je crois que l’accompagnement passe par des choses simples. Je ne faisais rien de particulier, je priais, je lui tenais la main. Chaque instant vécu avec ma mère pouvait être douloureux. J’ai vu son visage changer, marqué de plus en plus par la maladie. Mais cela m’a fait comprendre petit à petit la force de la faiblesse. Lorsqu’elle disait, avec culpabilité, qu’elle ne pouvait rien faire pour moi, je lui répondais qu’elle pouvait prier, et c’est ce qu’elle faisait. J’ai aussi vu des lumières dans cet hôpital : des personnes qui s’entraidaient, se consolaient. J’ai vu pleurer ma mère quand un membre de l’équipe soignante avait une attention particulière pour elle. La simplicité des paroles et des gestes des membres de l’équipe soignante m’ont rappelé que face à notre société où seule la performance compte, la vie humaine a de la valeur, quelles que soient les situations. Cela m’a permis de reconsidérer autrement les choses, de percevoir la dignité des personnes, même lorsqu’elles sont affaiblies physiquement ou psychologiquement. J’ai enfin compris que nous étions tous, même quand nous ne sommes pas malades, dépendants les uns des autres. » • Propos recueillis par Agnès de Rivière

Journées d’études sur la fin de vie au Collège des Bernardins le samedi 2 février, de 8h30 à 17h

Lire aussi la Note du Père Brice de Malherbe sur le rapport Sicard

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