Another Year

Mike Leigh

Another Year, « Une autre année » : une année de plus ? Une année tout autre ? Le film de Mike Leigh joue sur ce paradoxe : en nous faisant voir une année banale, il nous donne de vivre des moments uniques d’humanité. Critique du père Denis Dupont-Fauville.

Tom est géologue, Gerri psychologue. Deux professions qui regardent sous l’écorce des choses, deux caractères qui se soutiennent en une complicité amusée [1] . Approchant de la retraite, ils se voient vieillir dans leur maison de la banlieue londonienne, tout en constituant un havre précieux pour ceux qui, autour d’eux, cherchent des raisons de vivre. Au long de quatre saisons, nous les suivrons de rencontre en rencontre, de repas en entretien, de séances de jardinage en rites familiaux.

Musique de chambre, donc, composée avec maestria. Les thèmes, très simples, s’entrelacent ; les visages sont filmés au plus près ; les caractères, bien campés, nous font retrouver ces personnalités paumées, isolées, que nous côtoyons sans les voir ; les mimiques succèdent aux tensions et les verres de bière aux remarques pleines d’humour. Toujours tendre, jamais mièvre, d’un réalisme délicieusement britannique, le film donne à chacun une place singulière.

Bien qu’une telle œuvre ne puisse se réduire à des thématiques, indiquons-en trois. D’abord le tragique d’une société qui n’a plus le temps de prendre son temps et où les individus courent après leurs illusions sans avoir les moyens d’assumer leurs choix : un fils arrive trop tard à l’enterrement de sa mère, des adultes se découvrent trop tard célibataires. Ensuite, la façon dont le train-train est à la fois la chose la plus précieuse, quand il prend la forme de rituels, et la plus dangereuse, quand il empêche d’accueillir la nouveauté : merveille des conversations autour d’une tasse de thé, douleur de ne pouvoir trouver les mots pour accueillir un nouveau-né [2] ou pour se réconforter lors d’un deuil. Enfin la capacité de l’homme à faire surgir l’espoir du néant : ainsi dans le face-à-face d’anthologie où Mary, célibataire instable, finit par obtenir un réconfort imperceptible de la part du frère veuf de Tom jusque là muré dans son silence, ou dans le pardon mutuel que se donnent Mary et Gerri après les rancœurs surgies lors des fiançailles du fils de Gerri.

Finalement, la dernière scène répond à la première. La psy, qui tentait d’abord de faire sortir de son mutisme une femme simple concédant ne rêver que d’une « vie différente », fera partie des convives indifférents à l’émotion qui submerge leur amie, sur laquelle la caméra s’arrête en un interminable plan fixe. Et le spectateur qui d’emblée appréciait les efforts de la professionnelle pour amener à la parole consent enfin à contempler avec amour celle qui se mure dans son silence. Il n’y a pas de vie différente : il y a la vie qu’il faut vivre, dire, aimer. « We’ll soon be off » dit Tom après un enterrement : nous partirons bientôt. Mais celui qui sait apprécier la musique parfois stridente des âmes n’aura pas perdu son temps.

P. Denis Dupont-Fauville +

[1Comme l’indiquent leurs prénoms !

[2Noir : moyen d’indiquer où est la vitalité, ou bien façon de désigner l’enfant comme notre « mouton noir » ? Il est vrai aussi que tout au long du film revient la mention du « black horse », celui qui est là et qu’on méconnaît.

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