Audition de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, par la Mission d’information sur la famille et les droits des enfants le 7 décembre 2005

Extrait.

Le deuxième point que je souhaitais évoquer devant vous est la question de la constitution du droit. Le droit peut-il se contenter de régler les contrats privés ? La législation sur la famille est-elle simplement un arbitrage offert pour éviter que les crises relationnelles de la famille ne deviennent excessivement violentes ou nocives pour les individus ? Je reconnais très volontiers que c’est une mission légitime du législateur que d’assurer les conditions de nature à éviter que les crises familiales ne se transforment en désastres. Mais je redouterais que la législation se contente d’être l’aménagement des états de fait. Dans une société démocratique comme la nôtre, le législateur n’a pas simplement une fonction d’enregistrement et de légalisation d’une multitude de cas particuliers, nécessairement impossibles à élever au cas général qui normalement relève seul de la loi. La loi vise à une certaine universalité et doit normalement viser à concerner le plus grand nombre des citoyens d’un pays. L’idée que la légalisation de situations particulières pourrait être un moyen de leur donner une reconnaissance me semble un abus législatif, en ce sens que le droit ne serait alors que l’habillage d’une promotion éthique. Il me semble qu’il conviendrait d’agir de manière très prudente dans ce domaine. On voit bien qu’un certain nombre de demandes ont pour but la reconnaissance officielle d’un statut particulier.

Je souhaitais attirer votre attention, en troisième lieu, sur la question du mariage. Il serait fastidieux de procéder à un parcours cavalier de l’histoire de l’institution matrimoniale à travers les âges. Mais on peut au moins, à titre conservatoire, reconnaître que le statut légal du mariage dans notre société est l’aboutissement d’une évolution qui s’étend sur plusieurs siècles, pour ne pas dire plusieurs millénaires. Faut-il considérer que cette évolution est sans signification ? Autrement dit, le mariage monogame stable et hétérosexuel doit-il être considéré comme une formule parmi d’autres, dont la prédominance au XXIe siècle serait purement contingente, une formule sur laquelle on pourrait revenir en estimant que, après tout, le statut du mariage dans la société romaine du Ier siècle, n’était pas si mauvais ? Le mariage était alors une réalité institutionnelle relativement forte, visant à assurer la stabilité de la cellule familiale dans l’intérêt de la société patricienne, laquelle permettait par ailleurs que l’on ait ses plaisirs.

Il serait assez surprenant que, après avoir considéré que l’histoire était un facteur de progrès, on considère aujourd’hui qu’elle est un facteur de régression. Si vraiment il y a progression dans l’histoire de l’humanité, il faudrait tenter de ne pas en perdre le bénéfice. Il me semble que l’intérêt bien compris de la société n’est pas de rassembler sous le même nom de "mariage " des situations complètement hétéroclites. Dans une langue aussi belle que le français, il devrait être possible d’appeler les choses par leur nom. On devrait tout de même être capable de définir le mariage. Si l’on n’était pas capable de le faire, le mot de "mariage " en viendrait à recouvrir des situations tellement différentes que l’on ne saurait plus ce qu’il représente. L’éventail des libres choix des personnes créerait ainsi un kaléidoscope de situations particulières dans lequel on renoncerait par avance à identifier des modèles qui diffèrent par leur valeur. Il serait ainsi indifférent d’être marié, concubin ou uni par un autre type quelconque de relation. Il serait indifférent de constituer un couple hétérosexuel ou homosexuel. Je pense que nous ne gagnons rien à cette confusion des réalités sous un même titre. Au contraire, nous avons intérêt à désigner des réalités par des termes propres. Qu’est-ce que le code civil veut dire quand il parle de mariage ? Peut-on mettre sous ce titre toute forme d’union plus ou moins stable, plus ou moins durable, et de composition a priori indéfinie ?

Notre société a-t-elle un intérêt quelconque dans ce débat ? Ou bien est-on simplement devant des préoccupations morales sans intérêt pour la vie collective ? Je crois profondément que notre société a intérêt que la stabilité du mariage soit favorisée. Différents aménagements législatifs de ces dernières décennies induisent l’idée que le mariage n’est qu’un contrat purement privé entre les individus, fondé sur leur seule affectivité et sur un désir d’union dont ils définiraient eux-mêmes les conditions et à laquelle ils mettraient un terme quand ils le souhaitent. Si l’on persévère dans cette vision d’une gestion législative de contrats privés, on vide toute possibilité d’expression de l’intérêt de la société dans le mariage. La société se prive de son droit légitime à dire en quoi le mariage importe à sa stabilité et à son renouvellement.

[…]

Les parlementaires, membres de la Mission d’information, ayant posé un grand nombre de questions à Mgr Vingt-Trois, celui-ci a pu brièvement apporter les réponses suivantes :

 Faut-il inscrire dans le code civil la définition du mariage ? Si l’on m’avait posé la question il y a quinze ans, j’aurais certainement répondu par la négative, en estimant que si le code civil n’a pas défini le mariage, c’est parce que c’est une évidence et qu’il n’y a pas lieu de définir les évidences. Mais il me semble que l’évidence de ce qu’est le mariage est discutée. Si l’évidence est discutée, et puisque le mariage est un acte civil, il faut bien le définir. Je me mets parfois, par la pensée, à la place d’un élu municipal qui préside à quinze mariages dans la même journée. Que peut-il dire, en essayant d’être authentique et de ne pas blesser les personnes qui se marient ? Je ne veux pas parler de ses opinions sur le mariage, mais de la vision dont il est porteur en tant qu’officier d’état civil. Il faut que les choses soient claires.

Même si le code civil du XIXe siècle peut appeler des corrections, je suis sûr qu’il n’est pas de l’intérêt ni de votre Mission d’information, ni du Parlement, ni du pays, d’ imaginer des mariages entre personnes de même sexe.

S’agissant de la connaissance des origines, il me semble que le problème se pose plus dans le cas de la procréation médicalement assistée, où la connaissance des origines est juridiquement interdite, que dans celui de l’accouchement sous X. Comment peut-on développer une certaine conception de l’être humain si ce qui fait l’originalité de la conception humaine, à savoir le lien d’unité biologique entre la mère et l’enfant, devient une question problématique ? La gestation est une communication indissociablement biologique, psychologique et affective ; elle est donc constitutive de l’identité de l’enfant. Si on le remet en cause, on se trouve confronté à des problèmes inextricables, surtout quand on sait l’importance de l’identité des parents et des grands-parents pour l’élaboration de la personnalité. La question de la connaissance des origines, c’est d’abord la question des conditions dans lesquelles s’envisage la procréation. Statistiquement, l’accouchement sous X n’est tout de même pas un phénomène massif.

 En ce qui concerne l’adoption, et à moins que les informations dont je dispose soient erronées, il me semble que le problème qui se pose n’est pas de trouver des couples pouvant adopter les enfants. La question qui doit être posée est celle de savoir ce qui est préférable pour l’enfant : vaut-il mieux pour lui qu’il soit adopté par un couple ou qu’il le soit par un adulte seul ? Si l’on se pose la question de l’adoption par des adultes seuls, c’est parce que des adultes seuls formulent des demandes. Mais ce qui est en cause, en l’occurrence, c’est leur désir d’enfant, et non le bien de l’enfant. Quand on voit la longueur des files d’attente de couples qui attendent de pouvoir adopter un enfant, on peut légitimement penser qu’il convient de se préoccuper avant tout de donner un foyer aux enfants adoptables. Le jour où tous les couples désireux d’adopter auront pu le faire, on pourra se préoccuper de savoir si l’on peut donner un parent isolé aux enfants qui resteraient orphelins. Mais, pour l’instant, je ne crois pas que ce soit le problème urgent. Le problème urgent est de faire en sorte que les couples en mal d’adoption qui réunissent les conditions d’équilibre familial puissent adopter.

 Je reviens sur la question du mariage homosexuel et de l’homoparentalité. Les personnes homosexuelles doivent recevoir la considération à laquelle tout un chacun a droit. Autre chose serait d’affirmer que la constitution d’une famille par le mariage est un droit universel. Toutes les situations sociologiques ne sont pas, de droit, ouvertes à tous les êtres humains. On peut et on doit définir qui est habile à contracter mariage ou pas. Une chose est de dire que les homosexuels méritent d’être respectés dans leur personnalité, dans leur sexualité et dans leur choix, pour autant que leur homosexualité soit un choix. Autre chose est d’affirmer que ce choix ou cette constitution psychosexuelle leur ouvrent nécessairement le droit au mariage. Je ne vois pas en quoi le droit au mariage serait une suite nécessaire de la considération qu’on leur doit. Ce que je dis ici du mariage vaut a fortiori pour l’homoparentalité, dont on ne voit pas très bien, tout de même, quelle figure elle donne de la relation d’engendrement. Car, à nouveau, se pose la question de savoir à quel point on peut dissocier les rôles parentaux et les rôles biologiques assumés dans la conception. En résumé, l’Eglise s’efforce autant qu’elle le peut d’adopter une attitude respectueuse des personnes. Elle s’efforce également, autant qu’elle le peut, de défendre des institutions définies par des missions qui font qu’elles ne sont pas nécessairement ouvertes à toute personne.

 Lire l’audition de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, par la Mission d’information sur la famille et les droits des enfants le 7 décembre 2005

Le mariage entre personnes de même sexe, points de réflexion