Décès du Père Antoine Germain, vicaire à Saint-Jean-Baptiste de Grenelle

Décédé le jeudi 7 mars 2013 à l’âge de 37 ans, le cardinal André Vingt-Trois confie à votre prière le Père Antoine Germain, ordonné en juin 2007 à Paris.

 Témoignage du P. Hervé Géniteau curé de Saint-Jean-Baptiste de Grenelle :
« Ordonné le 23 juin 2007, le P. Antoine Germain est décédé ce jeudi, des suites d’un arrêt cardiaque qui s’est produit le lundi 11 février, en la fête de Notre-Dame de Lourdes. Il avait 37 ans.
J’ai connu Antoine alors qu’il avait 19 ans, au sein du mouvement des Équipes Notre-Dame Jeunes (ENDJ). Témoin de la naissance de sa vocation, je peux témoigner de deux événements décisifs dans son parcours : le rassemblement international des ENDJ en Colombie, en 1995, et un pèlerinage à pied qu’il a fait vers Saint-Jacques de Compostelle, deux ans plus tard. Clairement, l’appel de Dieu se fit entendre. Entré au séminaire de Paris, il a été nommé en 2007 à Saint-Jean-Baptiste de Grenelle. En septembre 2011, je deviens son curé. Je découvre alors ses qualités de pasteur dans cette paroisse du 15e arrondissement, qui aura été finalement sa seule paroisse. Son ministère, essentiellement tourné vers les enfants et les adolescents, fut très fructueux. Les témoignages qui affluent depuis le début de sa maladie le montrent bien. Son attachement à la belle liturgie, la place centrale de l’Eucharistie qu’il célébrait chaque jour, son goût de la Parole de Dieu qu’il commentait dans ses homélies, son amour de l’Église, mais aussi son sens de l’humour et ses capacités sportives (il disait : « Pour parler de Dieu aux ados, il faut d’abord jouer au foot avec eux ») faisaient de lui un prêtre aimé par ceux qu’il rencontrait. Il portait en lui un vrai souci missionnaire : je venais de lui confier la préparation d’une mission dans le quartier, ce qui le réjouissait.
Aujourd’hui, il contemple son Seigneur. Il prie pour chacun de nous. Que Dieu qui nous aime nous donne la force de la foi et de l’espérance. »

 Lire le portrait réalisé par Paris Notre-Dame à l’occasion de son ordination en 2007.

 Ses obsèques ont été célébrées par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, le lundi 11 mars à 14h30 à l’église Saint-Jean-Baptiste de Grenelle (15e).

Homélie de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris, pour la Messe de funérailles du P. Antoine Germain, prêtre du diocèse de Paris, le lundi 11 mars 2013, en l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle.

Un prêtre est mort, un prêtre de 37 ans. Et nous crions vers le Seigneur : « Pourquoi, Seigneur, pourquoi ? Ton Église a tant besoin de prêtres, nous avons besoin de prêtres, nous avions besoin, j’avais besoin de ce prêtre-là ! » Tous, frères et sœurs, nous avons, plus ou moins expressément, prié ainsi, et tous en ce jour nous portons encore cette interrogation. Tous, nous avons supplié, vous, bien sûr, ses parents, ses oncles et tantes et ses cousins, vous, ses amis, vous paroissiens de Saint-Jean-Baptiste, les jeunes et les moins jeunes, et vous, à travers tout le diocèse et bien au-delà, et vous les prêtres ses amis et ses confrères dans le sacerdoce, et notre Archevêque et ses auxiliaires et vicaires généraux avec lui. Nous avons prié, nous avons invoqué tous les saints du ciel, et avec ardeur sans doute le bienheureux Jean-Paul II et quelques autres encore ; tous, nous avons espéré, et jusqu’au dernier jour, avouons-le, un miracle. Un prêtre jeune, donné pour perdu et ramené à la vie, en cette « Année de la foi », c’eût été un beau cadeau !

Nous n’avons pas reçu ce cadeau-là. Et pourtant, nous pouvons nous le dire aujourd’hui les uns aux autres, aucune de nos prières, aucune de nos supplications, n’a été vaine. Nous avons reçu ce que nous n’attendions pas et qu’il nous faudra désormais apprendre à voir. Cela demandera à chacun de nous un peu de temps, à certains sans doute plus qu’à d’autres, mais nous nous portons les uns et les autres dans la communion de l’Église.

Car ce n’est pas la mort qui l’a emporté. La mort ne l’emporte jamais. Qu’est-ce qu’un prêtre en effet, sinon celui qui célèbre chaque jour le mystère du seul grain de blé tombé en terre qui meurt pour porter beaucoup de fruits ? Qu’est-ce qu’un prêtre, sinon celui qui, chaque jour, célèbre le grand bouleversement de Jésus et sa décision acquise par-delà toute angoisse : « Père, glorifie ton nom ! » et la réponse du Père : « Je l’ai glorifié et le je glorifierai encore. » Un prêtre ne fait rien d’autre que cela : proclamer que Jésus le Crucifié est vraiment venu pour cette heure-là et est mort pour nous et est ressuscité pour notre vie, proclamer que le pain et le vin deviennent son Corps et son Sang, corps livré pour nous, sang versé pour nous et pour la multitude, proclamer que le pardon est donné aux pécheurs qui le demandent, que tout enfant des hommes peut devenir enfant de Dieu, que le Fils glorifie le Père en lui donnant de nombreux fils et filles en lui et que le Père glorifie le Fils en le faisant source de vie nouvelle pour beaucoup. Notre frère Antoine a été prêtre, il a voulu l’être de tout son cœur, de toutes les fibres de son être, depuis le jour où il avait compris la volonté de Dieu pour lui, comment il était appelé, lui, à glorifier le Père. Il nous entraîne aujourd’hui, tous, avec notre chagrin, avec nos illusions défaites, avec notre douleur et notre espérance, à consentir avec lui à l’appel du seul Seigneur : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. »

Nous aurions besoin du service du P. Antoine, nous aurions besoin de son zèle, de son ardeur, de son goût de la Parole de Dieu et de la célébration des mystères de la foi. Nous en aurions besoin, nous, les évêques, pour le bien du diocèse de Paris ; vous en auriez besoin, vous, frères et sœurs, pour le bon déploiement de la vie de cette paroisse, vous, les jeunes professionnels, les étudiants, les scouts, les jeunes de l’aumônerie et de Saint-Joseph, pour l’enseignement et les encouragements et les conseils et l’exemple qu’il pouvait vous donner, et tant d’autres encore en auraient besoin qu’il a aidés, déjà, plus personnellement, dans les quelques années de son ministère, ces derniers jours ont permis de le constater. Mais tous nous avons besoin, et l’Eglise entière, et l’humanité, que lui, avec beaucoup d’autres, suive le Christ jusqu’au bout. Vous l’avez accompagné pendant ces presque 4 semaines, depuis ce fatal 11 février, jour béni cependant par la douce Vierge Marie, notre Mère, l’Immaculée, vous l’avez accompagné, par vos visites, par vos prières, par votre disponibilité multipliée à lui rendre ce qu’il avait pu vous apporter et au-delà encore. Il en a eu besoin, de cet accompagnement. Ne doutons pas qu’il a été aidé, qu’il en est aidé, pour cette ultime étape où finalement il nous précède, lorsqu’il faut tout remettre au seul Jésus pour que notre vie serve pleinement à la gloire du Père, c’est-à-dire aussi à la vie de tous.

C’est un prêtre qui est mort, et il est mort en prêtre. Ces quatre semaines ont permis qu’il meure en pasteur, vous tirant, nous tirant vers le mystère de Pâques que nous allons célébrer avec l’Église entière, non plus comme un rite seulement mais comme le drame réel qui fait déboucher la vie des hommes. Paroissiens de Saint-Jean-Baptiste-de-Grenelle, parmi vous sans doute certains ont été séduits très vite par son énergie, son humour, sa capacité d’amitié ; d’autres ont été surpris et agacés par le style qu’il avait choisi, par sa manière à lui d’être prêtre jusqu’au bout qui a pu le conduire parfois à imposer ce qui peut passer pour des lubies, comme le désir qu’il a exprimé que les célébrants de la messe de ses funérailles portent des ornements noirs. Peut-être nous faut-il comprendre qu’Antoine appartient à une génération où quelques-uns sont soucieux, inquiets même, de ne rien laisser perdre du patrimoine de l’Église, pas une miette de ce qui s’est accumulé au long des siècles. Le Père Antoine, l’abbé Antoine, a eu à apprendre sans doute, et il continuait à l’apprendre, que l’unique grain qui donne sa vie le fait pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés, pour que les grains dispersés sur les collines deviennent l’unique Corps uni dans la charité de Dieu.

Une des grandeurs d’Antoine, ce qui, dès le début, a été consolant chez lui pour son évêque, a été sa capacité d’estimer les prêtres avec lesquels il avait à travailler. Par-delà les différences de style et de pensée, il a su reconnaître la vérité sacerdotale et chrétienne aussi bien du P. Olivier Ribadeau Dumas, son premier curé, que du Père Claude Navarre, décédé l’an passé. Je voudrais, frères et sœurs, remercier aujourd’hui le P. Ribadeau Dumas qui a su accueillir ce jeune prêtre qui lui était confié avec confiance, avec patience, avec exigence aussi mais dans la douceur, dans un véritable amour de charité, qui a su ne pas douter qu’Antoine, même à travers ses raideurs, cherchait à être prêtre de Jésus-Christ et qu’il valait la peine de l’aider à mûrir. Il y a un an et demi Antoine avait reçu avec surprise et joie le P. Hervé Géniteau comme curé : il l’avait connu, étant encore jeune professionnel, il lui devait beaucoup pour ses progrès dans la vie chrétienne et pour sa réponse à l’appel du sacerdoce ministériel. Il en a reçu encore pendant ses dernières semaines plus qu’il n’aurait pu imaginer. Ce ne sont pas les prêtres seulement qui se font les uns les autres : l’Église entière enfante les prêtres. Antoine, frères et sœurs, a su reconnaître l’œuvre de la grâce de Dieu en vous, même en ceux qui ne le comprenaient pas bien ; il a su s’émerveiller de l’ouverture du cœur de beaucoup d’entre vous, de la fécondité du don de Dieu entre vos mains. Il en a été formé. Il a vu de ses yeux parmi vous ce que veut dire « se détacher de sa vie en ce monde et la garder pour la vie éternelle ». A votre école, il a tâché d’y correspondre.

Un homme est mort. Un homme de 37 ans. Quelques-uns parmi vous savent déjà qu’Antoine s’était levé, une nuit, celle du 17 au 18 décembre très précisément, pour rédiger un testament et fixer quelques choix pour la messe de ses funérailles. Dans la paix de cette nuit, il avait choisi de nous faire chanter en ce jour le psaume 115. Nul ne sait, sauf, peut-être, je ne sais, tel ami proche, quel verset l’attachait à ce psaume-là. C’est sa prière cependant qu’il nous partage ainsi, la prière secrète qui montait de son âme devenue inaccessible pour nous pendant ces dernières semaines mais qui emplissait et emplit aujourd’hui et à jamais le sanctuaire du ciel.
« Je crois et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert, moi qui ai dit dans mon trouble : ‘’L’homme n’est que mensonge’’ ». « L’homme n’est que mensonge » : avec quelle expérience intime de notre frère Antoine ce cri consonne-t-il ? Antoine ne semblait pas neurasthénique ni cynique. « Omnis homo mendax », dit la Vulgate : tout homme est menteur. Antoine a écrit de lui-même qu’il n’était pas un mystique. Soit. Il a perçu tout de même cette grande vérité, qu’un homme ne tient jamais complètement la promesse qu’il est. Il l’a perçue pour les autres peut-être, mais le choix de ce psaume nous invite à penser qu’il l’a perçue pour lui d’abord. Non pas du tout qu’il ait été un grand pécheur, un grand dissimulateur. Il avait plutôt le sens de la sainteté de Dieu, de la sainteté que Dieu nous donne, et il a mesuré en lui ce mystère d’iniquité qui a rendu nécessaire, qui rend nécessaire rien de moins que l’incarnation du Fils bien-aimé et sa passion pour que nous soyons libérés et vivants. Entendons surtout, frères et sœurs, le contraste : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » et encore : « J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur. » On peut entendre ces versets du prêtre qui célèbre le sacrifice d’action de grâce, celui de l’Église qui est celui du Christ à elle remis, mais on peut l’entendre non moins de tout homme, vraiment homme, qui ose regarder cette réalité mystérieuse du péché en lui et qui découvre avec émerveillement le bien que Dieu lui donne de faire.

Écoutons plus loin encore ce que notre frère nous confie, ce qu’avec le psalmiste il ose dire pour nous : « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens ! » La mort n’est jamais l’alliée de Dieu. La mort d’un homme n’est jamais en elle-même l’instrument du Créateur, elle est un ennemi que Dieu par le Christ a dompté, elle est une ultime négation de la bonté du Père que Jésus a traversée pour nous arracher à elle. Le Christ est pour nous dans la mort comme le poisson qui avala Jonas et lui épargna d’être noyé avant de le déposer sur un rivage. Il nous recueille et il nous conduit à la liberté. Notre frère Antoine est conduit à la patrie, et il sait de quel prix Dieu a payé et paie tout ce qui nous rattache à la mort : « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens ! Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, ton serviteur, le fils de ta servante, moi, dont tu brisas les chaînes ? ».

Madame, vous le savez bien, il n’y avait en votre fils aucun goût pour la mort. Il voulait vivre et il voulait, il veut vivre toujours. Il avait reçu de vous, de vous et de son père, votre époux, le don de la vie, il savait que vous le lui aviez donné avec joie, il savait que vous ne lui aviez pas donné une vie faite pour la mort mais une vie vivifiante et que vous étiez prête à beaucoup donner, beaucoup vraiment, pour qu’il vive. L’humour et un certain non-conformisme qui faisaient son charme venaient assurément de ce qu’il avait pu reconnaître que la vie lui avait été donnée selon une mesure pleine et débordante. Il savait aussi, il le confesse et il nous fait le confesser avec lui par le choix de ce psaume, que votre joie de lui avoir donné la vie à lui était le signe de la joie de Dieu à cause de lui. En choisissant de devenir prêtre, de répondre à l’appel de Dieu, il vous avait déjà entraîné avec lui dans son offrande, et il savait que vous y entreriez en vérité pour lui, pour sa joie à lui. Par sa mort inattendue, vous voilà conduite encore plus loin, et votre époux avec lui, et vous, Monsieur, avec votre femme, là où jamais vous n’auriez pensé à aller. Vous savez que le cri du psalmiste : « Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, ton serviteur, le fils de ta servante ? » fut celui du Seigneur Jésus lui-même entrant dans la mort en entraînant avec lui sa mère, la servante du Seigneur. Vous savez que, pas plus qu’elle, vous ne pourrez saisir le Ressuscité sur cette terre, et vous entendez jusqu’au bout ce que dit le psalmiste : « Moi, dont tu brisas les chaînes ? Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, j’invoquerai le nom du Seigneur. »

J’avais rencontré votre fils le 11 janvier dernier, vous le savez. Il m’avait raconté avec une joie belle le voyage que vous veniez de faire avec lui tous les trois, dans les pays nordiques, pour votre anniversaire de mariage. Vous avez dit à plusieurs reprises, Madame, Monsieur, ces derniers jours, que vous aviez vécu avec votre fils chaque moment dans sa plénitude : « Nous goûtions le bonheur et nous le savions », disiez-vous. Voilà, frères et sœurs, une belle manière de dire la grâce de la vie chrétienne, de la vie dans le Christ, avec ce qu’elle demande de choix, de déterminations, de renoncements, et surtout de décentrement de soi, voilà une belle manière de dire ce qui rend belle et bonne la vie d’un homme : vivre chaque moment selon la plénitude qu’il porte. « ‘’L’homme n’est que mensonge’’. Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » Chers amis, jeunes et moins jeunes, à quelque âge de la vie que vous soyez, que cette mort venue trop tôt à nos yeux vous encourage à jamais, qu’elle nous encourage à jamais, à vivre pleinement, à répondre à la grâce de chaque instant, à accueillir le don de Dieu, malgré nos faiblesses, à travers nos faiblesses, et à élever la « coupe du salut » en chacun de nos actes, à être des hommes et des femmes, des créatures pleines de gratitude pour le Père qui nous a appelés à l’être.

Un chrétien est mort et il est mort en chrétien, en disciple du Christ. Il s’était préparé, certainement sans prévoir quelque moment que ce soit ; il s’était confessé ce matin-là, selon son rythme sans doute. Autrefois, au XIXème siècle, lorsque mourait un enfant, un des lieux communs de la prédication était : Dieu lui a épargné bien des dangers de cette vie terrestre. Et pourquoi pas en effet ? Notre ami Antoine aura eu la grâce de vivre intensément. Il n’aura pas eu à connaître les lassitudes, les désillusions, à affronter les amertumes qui viennent parfois troubler la joie de vivre sous le regard de Dieu, à cause des médiocrités des hommes toujours sensibles, même dans l’Église bien sûr, à cause aussi de l’expérience où nous courons le risque de nous laisser enfermer des duretés, des scléroses de notre cœur, de ces ténèbres auxquelles il nous semble que nous ne pourrons pas échapper complètement. Mais ne nous complaisons pas à envier son sort. Écoutons avec lui la forte leçon de l’Apôtre : « Si, par le baptême (c’est-à-dire la plongée) dans la mort du Christ, nous avons été mis au tombeau avec lui, le Christ, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts ». « Pour que nous menions une vie nouvelle », le texte grec dit même : pour que nous marchions dans une nouveauté de vie. Voilà ce qu’est être chrétien, et en quoi être chrétien accomplit notre humanité : être chrétien, c’est marcher. Non pas comme des esclaves ou des condamnés, non pas comme des ouvriers accablés par un labeur trop rude, mais marcher dans une « nouveauté de vie » qui nous est acquise par la victoire du Christ, marcher comme des soldats qui affrontent parfois de rudes combats, comme des pèlerins surtout qui doivent traverser des zones parfois hostiles ou désertiques, supporter la pluie et le froid ou la chaleur trop forte, qui rencontrent parfois des dangers, qui reçoivent aussi des secours inattendus, qui bénéficient de l’hospitalité et de la générosité d’hommes et de femmes de toutes sortes, parfois les moins attendus, qui connaissent en marchant des joies bouleversantes. Marcher les yeux fixés sur le but, puisque nous avons la grâce de le connaître. Parce que nous avons été libérés par la mort du Christ de l’esclavage du péché et que nous pouvons avancer, même laborieusement, vers l’homme ressuscité, portés que nous sommes, nourris que nous sommes, encouragés que nous sommes, par le Christ lui-même, et sa Parole et son Corps et par tous les saints.

Vous, jeunes gens qu’Antoine a eu à servir, vous savez comme il était soucieux que l’Église soit visible en ce monde. Osez vivre du Christ au milieu des autres. Vous porterez au bénéfice de tous ceux que la Providence mettra sur votre route la promesse formidable de Dieu que la mort et surtout, plus important encore, le péché, ne peuvent nous priver d’avancer vers la vie en plénitude, si seulement nous nous confions au Seigneur Jésus. Vous aurez à faire des choix qui vous distinguerons des autres. Mais vous les ferez non pas à la force de vos poignets mais grâce à la liberté intérieure que le Christ par son Esprit met en nous. Dans des générations qui s’agitent et qui s’excitent en tous sens, ne sachant où aller, vous brillerez comme des astres. Gardez-vous de l’orgueil. Vous vous étiez habitués à l’aide du Père Antoine, de l’abbé Germain, vous avez ressenti son accident, ses semaines de coma, sa mort pour finir, comme un arrachement. Vous en restez blessés et vous le resterez. Ne laissez pas cette blessure se décomposer en amertume, en ressentiment ou en cynisme. Qu’elle soit en vous désormais, avec quelques autres que les années vous feront porter, comme les plaies du Christ, glorifiées en sa résurrection. Que le souvenir du ministère du Père Antoine, de l’abbé Germain, et son intercession vous stimulent à vous engager pour de vrai dans l’existence tout en vous gardant précieusement au cœur la mémoire que ce qui nous rend vivants, à travers l’œuvre de nos mains, est ce qui vient du Plus grand que nous et que nous avons à lui retourner en action de grâce chaque jour, - et nous-mêmes un jour, pour finir et pour commencer enfin.

Vous, paroissiens ou personnes de tous âges qui êtes ici parce qu’Antoine vous a accompagnés sur une partie de votre route ou parce que vous l’avez accompagné un moment de la sienne, osez marcher avec plus de détermination, osez accélérer votre pas, vous débarrasser de ce qui vous encombre encore, de ce qui ralentit votre pas. Que cette vie intense encourage ceux qui se seraient assis, épuisés, sur le bord du chemin, à se saisir de nouveau de la croix, le vrai bâton de notre route.

Et vous, jeunes prêtres amis d’Antoine, vous que sa mort secoue au profond de votre âme alors que vous avez à être chaque jour, en tant d’actes, les garants du Ressuscité, n’oubliez jamais que vous l’êtes dans l’unité de l’Église, assurée par la communion hiérarchique des Apôtres et de leurs successeurs dont Pierre est la tête. Ce n’est jamais à notre mesure à chacun que nous sommes garants du Ressuscité et de sa puissance salvifique et bienfaisante, mais à la mesure de l’Église entière et selon ce qu’elle nous donne ou nous demande. Sachez vous reposer sur la foi de l’Église, sachez refaire vos forces en estimant « ceux qui vous ont précédés ». Vous avez eu la grâce de connaître l’amitié. C’est un grand don de Dieu. Cette amitié entre prêtres a été remarquée, elle a réjoui bien des cœurs. Qu’elle vous conduise toujours, au-delà d’elle-même, à la pleine fraternité sacerdotale et jusqu’à la pleine fraternité chrétienne. A jamais la mémoire d’Antoine Germain vous invitera à être prêtres jusqu’au bout, jusque par la dernière fibre de votre être, ce qui veut dire aussi avec vos faiblesses et le sens de votre péché et l’immense émerveillement de pouvoir donner ce qui ne vous appartient pas, ce que vous ne mesurez pas, ce dont seule l’Église dans la gloire connaîtra toute l’ampleur et dont tant de croyants humbles mais réels, imparfaits mais abandonnés, nous donnent de percevoir la vérité.

Cher Monsieur, chère Madame, en ces semaines dernières, beaucoup ont appris à vous connaître. Vous nous avez édifiés, et tant de membres de vos familles qui ont su être présents pendant les nuits et les jours. Nous ne canonisons pas votre fils. Nous le remettons, pleins de confiance, au jugement de Dieu. Il vous a été donné, comme un don précieux fait à votre amour mutuel. Il vous tire hors de vous-mêmes, plus que jamais non vers l’avant mais vers le haut, la douleur creusant en vous des profondeurs nouvelles, engendré par vous et vous engendrant en retour. Vous voilà remis l’un à l’autre, l’époux et l’épouse, « une seule chair » scellée par l’amour et le chagrin et l’espérance gagnée contre toute espérance, et pour quelle fécondité nouvelle ? Vous serez désormais au milieu de notre humanité désemparée des témoins de la foi qui sauve. Entraînés par vous et communiant avec vous, nous tous, rassemblés ici, les forts et les faibles mêlés, nous aidant mutuellement, nous redisons d’un seul cœur à la suite de l’Apôtre : « Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui, la mort n’a plus aucun pouvoir ».
Amen.

Mgr Éric de Moulins-Beaufort,
évêque auxiliaire de Paris

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