Dimanche 4 mars : « Nouveau modèle de développement, nouveau mode de vie ? »

Conférences de carême à Notre-Dame de Paris : « La solidarité, une exigence et une espérance »

Paris Notre-Dame du 1er mars 2012

Deuxième des six conférences sur la solidarité, celle du 4 mars fait intervenir deux spécialistes de l’entreprise et du développement. Sr Cécile Renouard, philosophe et directrice du programme de recherche « Entreprise et développement des pays émergents » à l’Essec, et Emmanuel Faber, vice-président du Groupe Danone, pionnier de l’engagement social de l’entreprise. L’enjeu de leurs interventions : réfléchir à un nouveau mode de vie.

P. N.-D. – Qu’est-ce qui vous a conduit à participer aux Conférences de carême à Notre-Dame ?

Sr Cécile Renouard – Je travaille sur des sujets qui rejoignent le thème de la conférence de dimanche. Dans le cadre du programme de recherche que je pilote à l’Essec, je me penche en effet sur nos modèles de production et de consommation et sur leurs effets dans les pays du Sud. Mon autre casquette – comme enseignante en Éthique sociale au Centre Sèvres – me conduit aussi à réfléchir à l’évolution du capitalisme.
Enfin, comme membre d’une congrégation internationale, je me sens très concernée par ces questions ; et, clin d’œil de la Providence, c’est en entendant la parole du P. Lacordaire à Notre-Dame en 1836, que la fondatrice de ma congrégation s’est convertie lorsqu’elle avait 17 ans.

P.N.-D. – Quel message souhaitez-vous transmettre ?

Sr Cécile Renouard – Je partirai du constat qu’on ne peut étendre notre modèle économique et notre mode de vie à toute l’humanité. Des chercheurs canadiens ont montré qu’il faudrait l’équivalent de trois planètes pour répondre aux besoins de toute l’humanité si le monde entier consommait autant de ressources naturelles par habitant que chaque Européen.

Il nous faut aujourd’hui trouver les moyens de favoriser le développement humain et social « de tout l’homme et de tous les hommes », comme le souligne le discours social de l’Eglise, mais sans suivre le modèle de croissance connu jusqu’aujourd’hui. Il en va des conditions d’existence des plus vulnérables et des générations futures. Il y a ici un vaste champ : pour mettre en œuvre des plans de transition écologique et énergétique – vers une économie “décarbonée” – et pour réduire les inégalités.

P.N.-D. – Comment peut-on faire évoluer ce modèle ?

Sr Cécile Renouard – Il est d’abord nécessaire qu’il y ait une prise de conscience, à tous les niveaux, de la nécessité d’une telle réforme. Cela demande aussi une révolution mentale pour les plus riches et pour nous – consommateurs du Nord –, afin que nous transformions radicalement nos comportements prédateurs. Il y a aujourd’hui une contradiction entre la logique de court terme dans laquelle se situe l’entreprise – l’exigence de retours sur investissement rapides et élevés vis-à-vis des actionnaires – et la logique du long terme – la responsabilité sociale et sociétale – qu’il faudrait intégrer davantage. Quel modèle alternatif proposer ? Celui de la frugalité heureuse, de ce que j’appelle la « tempérance solidaire »,en valorisant la sobriété, en renforçant la solidarité, et en mettant la qualité de la relation au cœur du projet de développement, avec la devise suivante : « Moins de biens, plus de liens ».

P.N.-D. – Y a-t-il un texte de l’Écriture qui peut être une source d’inspiration pour ce changement ?

Sr Cécile Renouard – Je pense au passage de l’Évangile de Luc sur Zachée. De la curiosité, du désir de ce dernier naît la rencontre avec Jésus. Le Christ ouvre alors un espace de dialogue et de réflexion qui permet à ce publicain collecteur d’impôts de changer – librement et joyeusement – de comportement et de rendre au quadruple les biens mal acquis. • Propos recueillis par Ariane Rollier

L’éclairage de… Emmanuel Faber, vice-président du Groupe Danone

P. N.-D. : Qu’avez-vous à dire sur le thème ?

E. F. – Je me méfie du terme de"modèle"et trouve celui de"développement" ambigu, mais je suis prêt à partager le tâtonnement qui est le mien à la recherche d’une réconciliation du social et de l’économique.

Croyez-vous que la mise en place d’un nouveau système soit aujourd’hui possible ?

E. F. –Un nouveau système, sûrement pas. Je pense que notre vivre-ensemble meurt de la pensée"systémique."Il y a justement une urgence à l’éveil des consciences à notre responsabilité personnelle d’acteur de l’économie dans laquelle nous vivons.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire votre dernier livre ?

E. F. – L’envie de dire qu’un "autre monde est possible", en parcourant des chemins de traverse au cœur de l’économie. Cette envie est née d’une conviction : la limite entre la gratuité et l’intérêt ne passe pas entre le social et l’économique, ou entre le public et le privé. Elle passe au cœur de la conscience de chacun, nulle part ailleurs. • Propos recueillis par A. R.

Témoignage
Jean-Pierre Chaussade, diacre, auprès du groupe de travail des évêques “Écologie et environnement”

« Le sujet de cette conférence est fondamental : nous vivons une crise écologique liée à la crise économique et financière. Les modes de vie des pays développés ont pour conséquences le changement de climat, l’épuisement des ressources et l’appauvrissement de la biodiversité. Cela nous amène à mener une vraie réflexion sur le sens de la vie, sur ce qui fait le bonheur dans notre manière de consommer, de produire, d’habiter… Cette réflexion, qui habite les pays industriels, ne doit pas se faire indépendamment du développement nécessaire des pays pauvres. L’Église est concernée par ces sujets, car ils sont inscrits dans la foi chrétienne, dans son histoire. La création nous est confiée par Dieu, nous en avons la responsabilité. Il y a une attente forte pour une parole d’Église sur le sujet. » • Propos recueillis par A.R.

REPÈRES

Deux ouvrages pour aller plus loin :.

  20 Propositions pour réformer le capitalisme
Dir. G. Giraud et C. Renouard (Éd. Flammarion)

En 2008, les auteurs de cet ouvrage se réunissent pour une première proposition de réformes. Trois ans plus tard, ils remettent en chantier leur programme. Ce livre trace un chemin pour une société sobre, définanciarisée et solidaire.

  Chemins de traverse. Vivre l’économie autrement
E. Faber (Éd. Albin Michel)

Artisan de la promotion du social business auprès d’autres grandes
entreprises, Emmanuel Faber livre ici ses questionnements liés à son
expérience de vice-président de multinationale.

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