Discours d’ouverture du cardinal André Vingt-Trois lors de l’assemblée plénière de mars 2012

Hémicycle Sainte-Bernadette (Sanctuaires Notre-Dame de Lourdes) – Lundi 26 mars 2012

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Chers amis,

Nous commençons cette assemblée juste après les événements tragiques de Toulouse et de Montauban qui ont bouleversé notre pays au cours des semaines écoulées. Nous avons eu à cœur d’exprimer aux familles endeuillées et à la communauté juive de France notre proximité et la part que nous avons prise à leur peine. Je profite de notre assemblée pour renouveler l’assurance de la prière de nos communautés catholiques. L’acte d’un homme fanatisé peut aussi exprimer des tentations de violence sociale. Nous souhaitons tous que cette violence ne se diffuse pas à l’égard des différentes communautés religieuses de notre pays.

Nous venons de vivre le rassemblement national des représentants des diocèses français qui inaugure chez nous les cérémonies du cinquantenaire de l’ouverture du Concile Vatican II. Avant que chacun de nos diocèses ne marque cette ouverture par un événement diocésain au mois d’octobre prochain, il était bon que notre Église en France vive ce temps de communion dans l’action de grâce pour tout ce qu’elle a reçu du Concile. Pour nous, il ne s’agit pas simplement des commémorations historiques. En promulguant une Année de la Foi, le Saint Père a voulu que le souvenir de l’événement majeur du Concile Vatican II soit pour les chrétiens l’occasion d’un renouveau de leur profession de foi ecclésiale au Christ ressuscité qui fut au cœur de la célébration du Concile, comme il est au cœur de notre foi.

La prière et la réflexion que nous avons vécues pendant ces deux journées avec les représentants de nos diocèses ont permis de mesurer combien le Concile a très profondément marqué la vie de notre Église en France. Il lui a permis d’entrer avec confiance et vigueur dans notre XXI° siècle. Le quart de siècle du pontificat du bienheureux Jean-Paul II a été comme une longue méditation sur l’apport du Concile à la vie de l’Église. Les sessions successives du synode des évêques ont monnayé cet apport pour la vie de l’Église universelle et toutes les catégories du peuple chrétien, depuis le ministère des évêques et des prêtres jusqu’à la mission des laïcs, en passant par la vie consacrée et la pratique des sacrements. « L’herméneutique de la réforme » a été une pratique patiente et persévérante de l’Église tout au long de ce quart de siècle. De même, la réflexion pastorale sur la pratique sacramentelle avec les synodes sur la catéchèse, la réconciliation et l’eucharistie a renouvelé l’élan de la célébration des mystères chrétiens.

Toute cette période, jalonnée par la succession des Journées Mondiales de la Jeunesse et par les années saintes, nous a préparés en profondeur à raviver notre sens de la mission à l’aube du XXI° siècle. Et ce renouveau se concrétise maintenant par une mise en œuvre plus systématique de la Nouvelle Évangélisation que Paul VI appelait de ses vœux à la fin de son pontificat par l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi. Si je me suis permis ce petit rappel historique, c’est pour nous éviter de nous laisser submerger par les inévitables difficultés quotidiennes de notre mission, éviter de nous laisser étouffer par la contrainte de chaque jour et mieux percevoir comment notre mission se situe dans une histoire longue qui est l’histoire du dynamisme de la Bonne Nouvelle.

La nouvelle évangélisation tiendra une place importante dans cette assemblée pour approfondir les pistes de travail du prochain synode et alimenter de quelque façon la contribution de nos délégués dont la désignation a été approuvée par le Saint Père. La question à laquelle nous sommes confrontés n’est plus un débat d’école sur le sens ou l’opportunité de la nouvelle évangélisation. Sur ce sujet, tout a été pensé et tout a été dit. Maintenant, il s’agit de le faire. Nous sommes invités à un travail de fond sur la mise en œuvre de la nouvelle évangélisation. Et, comme nous le savons, les premiers bénéficiaires de l’évangélisation sont ceux qui en ont reçu la mission. Par la nouvelle évangélisation, c’est d’abord nous-mêmes qui sommes entraînés à un nouvel accueil de la Bonne Nouvelle dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui. C’est dans la mesure où nous recevons l’Evangile de manière toujours nouvelle que nous pouvons réellement contribuer à son annonce.

L’Année de la Foi à laquelle nous sommes invités par le Pape ne vise pas seulement des initiatives diocésaines qui seront sans doute nombreuses ou une relance des mouvements d’évangélisation qui est toujours nécessaire. Elle est un appel adressé à chaque chrétien pour procéder en Église à une démarche de renouvellement de sa profession de foi. Ce renouveau concerne en même temps l’acte de liberté personnelle qui répond à l’appel de Dieu et le contenu spécifique de la foi chrétienne qui lui donne son identité propre. Il est le fondement de notre engagement dans la nouvelle évangélisation.

Dans notre pays de tradition chrétienne, la nouvelle évangélisation est souvent vécue comme un effort pour raviver chez beaucoup de nos contemporains la saveur de l’Evangile qu’ils ont souvent oubliée mais qui demeure comme une ressource latente. Cet appel adressé aux héritiers de la tradition chrétienne est souvent mieux entendu que nous ne l’imaginons. Et beaucoup des héritiers de cette tradition constituent les troupes des catéchumènes adultes et jeunes que nous accompagnons en ce temps de Carême. Mais la mobilité nouvelle des populations conduit dans notre pays des immigrés originaires d’autres traditions religieuses ou simplement des hommes de bonne volonté à qui la préoccupation religieuse est étrangère et qui ont ainsi une chance de découvrir chez nous une annonce de Jésus-Christ, même si elle est parfois maladroite ou insuffisante à nos propres yeux.

Les commencements de l’Église apostolique nous montrent que l’annonce du kérygme est indissociable des signes de l’amour de Dieu pour les hommes manifesté dans la vie des chrétiens. C’est notre capacité à servir nos frères qui attire leur attention sur le contenu de notre foi tel que nous pouvons le proposer dans une société sécularisée. Nous sommes bien convaincus que nos œuvres n’ajoutent rien à la splendeur de la vérité, mais nous savons aussi, comme nous le dit clairement l’épître de Jacques, que la foi sans les œuvres est inerte et imperceptible. C’est pourquoi, au cours des siècles l’élan missionnaire de l’Église a été constamment illustré par l’engagement des chrétiens dans les combats de ce monde. La préparation du rassemblement Diaconia 2013 est pour nous une occasion de nous rappeler le lien étroit qui unit la foi et la charité.

C’est dans cette tradition d’une confession de foi mise en pratique dans toutes les conditions de la vie quotidienne que s’est enracinée dans notre pays une vigueur missionnaire magnifique dans les deux siècles écoulés. La puissance de l’Esprit a suscité des hommes et des femmes capables de rendre témoignage à l’Évangile dans toutes les circonstances. Nous sommes les héritiers de ce dynamisme missionnaire incarné dans le quotidien au plus près de la vie des hommes. Notre mission aujourd’hui est de lui donner corps dans les circonstances actuelles qui ne sont plus celles du XIX° siècle, ni même du XX°.

Nul ne s’étonnera donc de voir aujourd’hui les chrétiens pleinement engagés dans le débat politique auquel notre pays est entraîné par les échéances électorales prochaines. Il est trop clair que la médiatisation effrénée de cette campagne provoque des sollicitations multiples pour engager l’Église dans une prise de position particulière. Le message du Conseil Permanent du mois d’octobre dernierlire le message du mois d’octobre et les points de vigilance qu’il a soulignés nous permettent de nous situer d’une façon juste dans ce débat. Nous ne sommes pas chargés de répondre quotidiennement aux déclarations variées et variables des candidats. C’est plutôt à eux de s’exprimer par rapport aux préoccupations que nous avons énoncées. La réponse à leurs propositions viendra des urnes et du vote des Français. Dans ce vote, les chrétiens auront à se déterminer en conscience devant les graves enjeux humains, anthropologiques et éthiques qu’il implique. Je voudrais seulement vous partager ici deux préoccupations par rapport au déroulement de cette campagne, du moins tel que nous le percevons à travers les informations diverses qui nous sont distillées.

Ma première préoccupation concerne le risque de scepticisme des électeurs à l’égard de l’action politique, du personnel politique en général et des candidats aux élections en particulier. La gravité de la crise de notre société, amplifiée encore par la dramatisation de l’information, pourrait susciter chez certains une sorte de fatalisme. La réduction des analyses aux éléments économiques, sociaux ou financiers de la crise risque de masquer ses dimensions culturelle, morale et spirituelle. Nous serions devant une situation impossible à maîtriser et qui échapperait à toute volonté politique des gouvernants. Cette impression ne peut que se fortifier dans la mesure où les propositions faites ou les projets annoncés ne semblent pas toujours à la hauteur des défis à relever.

Si la crise est vraiment aussi profonde, comment pourrait-on éviter de proposer des remèdes proportionnés ? Ce serait une défaite de la démocratie si les électeurs renonçaient à voter parce qu’ils doutent des solutions présentées. Dans une crise grave, il est important que chacun prenne sa part de responsabilité en votant. L’histoire, y compris contemporaine, nous montre que des hommes et des femmes décidés et qui déclarent ouvertement leurs projets peuvent changer quelque chose, même si c’est douloureux pour tous.

Ma seconde préoccupation concerne l’ambiance de notre société. La confrontation démocratique ne peut pas faire l’économie de débats vigoureux et musclés, et c’est sans doute sain. Mais quand la confrontation se transforme, plus ou moins, en appel à la haine envers d’autres candidats et à l’expression du mépris de l’autre, elle engage l’avenir de manière inquiétante. Dans une élection où les résultats sont nécessairement serrés, il n’est pas sain que les positions adverses soient diabolisées. Comment oublier que, derrière les candidats que l’on démolit, il y a des électeurs qui constituent un pourcentage important de la population et qui ne doivent pas être rejetés dans une sorte d’opprobre ? Le pays ne peut se rassembler dans un effort commun si sont semées la haine et la violence.

Sur ces deux préoccupations, je sais que les chrétiens sont attentifs et veillent à mener le combat politique dans le respect mutuel. Nous devons les y encourager et leur en rappeler les obligations quand besoin est. Notre Église n’est ni un parti politique, ni un groupe de pression qui défendrait des intérêts corporatistes. Ses membres sont simplement des citoyens sérieux et respectueux des institutions. Mais notre mission d’annoncer le Christ mort et ressuscité nous permet de contribuer efficacement au service du bien commun. En annonçant que les institutions sont au service du respect de la personne humaine, nous rappelons le sens des fonctions sociales. En invitant les chrétiens à prier et approfondir leur vie intérieure, nous contribuons à former des citoyens libres à l’égard des idoles du moment, notamment la frénésie financière. En invitant les personnes à servir comme le Christ a servi, nous développons le sens de la responsabilité, nous encourageons l’émergence de militants bénévoles, d’élus dignes de confiance.

Les travaux que nous allons ouvrir maintenant se situent dans le cadre de cette mission au service du bien commun. Notre travail sur le statut de l’Enseignement Catholique, la publication prochaine du rapport du groupe de travail sur l’environnement, la poursuite de notre recherche sur la culture Internet ou les débuts du groupe de travail sur la présence des catholiques dans la société sont autant de contributions pour éclairer la mission des chrétiens dans le temps que nous vivons. Nous ne doutons pas que ces contributions apportent des éléments de réflexion à tous nos concitoyens.

+André cardinal Vingt-Trois,
Archevêque de Paris,
Président de la Conférence des évêques de France

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