Discours de clôture du cardinal André Vingt-Trois lors de l’assemblée plenière des évêques

Lourdes – 9 novembre 2011

Nous voici au terme de cette assemblée et il est temps d’en récolter les premiers fruits. Les colloques Familles 2011 se sont conclus par une série de propositions pastorales que nous mettrons en œuvre dans nos diocèses. Les questions liées à la famille sont trop centrales et trop décisives pour se régler en une seule série de travaux, même de grande qualité. Elles sont au centre de tout notre dispositif pastoral puisqu’elles touchent tous les âges de la vie. Elles sont aussi au centre des préoccupations de nos contemporains puisqu’elles touchent à la fois à leur vie la plus intime et à leurs responsabilités sociales de parents et d’éducateurs. Elles sont surtout au centre de la Révélation chrétienne pour exprimer quelque chose de la relation d’alliance entre Dieu et l’humanité. Nous savons que les attentes à l’égard de l’Église en ce domaine sont paradoxales et, parfois, contradictoires. Il est d’autant plus important que notre témoignage soit clair dans sa dimension prophétique et que notre relation pastorale soit pédagogique dans l’accueil des différentes situations auxquelles nous sommes confrontés. Mais les bouleversements sociologiques qui marquent notre époque nous invitent à un investissement sérieux pour exprimer les fondements anthropologiques des orientations dont nous sommes les témoins dans une société où la référence chrétienne risque d’être perçue comme un particularisme. Nous avons pu mener ce travail à bon port pour les questions de bioéthique. Les questions liées à la conjugalité sont aussi importantes et demandent aujourd’hui un fort investissement.

Le groupe de travail sur la culture internet a commencé à nous introduire dans une réflexion de fond sur un phénomène qui tient une place de plus en plus importante dans notre vie sociale. L’usage des réseaux donne à tous un sentiment de liberté par leur décentralisation et par le pouvoir accru des individus dans une forme de communication sans régulateur connu. Les deux conférences que nous avons entendues nous ont guidés dans un dédale où nous sommes souvent encore des novices. Elles ont dévoilé des substrats anthropologiques et des aperçus théologiques sur lesquels nous reviendrons au cours des prochaines assemblées.

La nouvelle écriture des statuts nationaux de l’Enseignement Catholique appelle une participation directe des évêques à la rédaction avant qu’ils n’approuvent ces statuts et les confient aux acteurs des communautés éducatives. Nous avons pris connaissance de l’état des travaux et défini les modalités de notre participation à la phase rédactionnelle. C’est aussi une occasion pour dire notre estime et nos encouragements à tous les membres de l’enseignement catholique. Nous mesurons chaque jour combien son apport est important pour le service national de l’éducation et comment il constitue un véritable lieu de croissance humaine et chrétienne pour beaucoup de jeunes.

Nous avons consacré un temps important à une réflexion sur la vie consacrée avec l’aide des représentants des religieux, des religieuses et des membres des instituts séculiers. Nous avons été heureux de ce temps de partage qui nous a permis de mieux connaître les conditions dans lesquelles ces hommes et ces femmes vivent leur consécration à Dieu, les difficultés qu’ils rencontrent, mais aussi leur espérance. Nous voulons saisir cette occasion pour redire à tous la reconnaissance de l’Église pour leur présence dans nos diocèses, spécialement auprès des plus pauvres, comme notre espérance dans la prière des moines et des moniales qui soutient la vie du corps entier de l’Église. Nous connaissons les difficultés rencontrées en raison du faible recrutement de beaucoup d’instituts et nous voulons poursuivre nos efforts pour appeler des jeunes à accueillir l’appel à la vie consacrée soutenus par une plus grande visibilité des consacrés en tous lieux.

Les travaux accomplis sur les Rassemblements dominicaux nous ont permis de réaffirmer le sens de la célébration du dimanche par la participation effective à la Messe. Nous savons que les membres de notre Église n’ont pas encore tous pris également la mesure des contraintes nouvelles qui découlent de la baisse de population dans certains secteurs ruraux et de la surcharge excessive du service dominical pour beaucoup de prêtres. C’est pourquoi nous nous réjouissons de constater que dans de nombreux diocèses la Messe célébrée en un lieu central (un lieu fixe, à heure fixe) pour plusieurs communautés locales permet une meilleure qualité de célébration et développe une expérience communautaire plus riche. Nous appelons tous ceux qui le peuvent à proposer leur aide pour assurer les déplacements nécessaires et nous encourageons les équipes qui préparent ces liturgies à poursuivre leurs efforts pour en améliorer la beauté et la qualité spirituelle.

C’est dans l’offrande sacramentelle du sacrifice du Christ que se fonde et se fortifie la vie d’une communauté chrétienne. C’est par notre participation régulière à la Messe du dimanche que nous exprimons notre appartenance à notre Église et que nous unissons tous les aspects de notre existence à l’amour de Dieu. Nous y recevons sa Parole comme lumière sur notre route et nous y accueillons le Pain de Vie offert par le Christ pour nous unir à lui. Sans cette assemblée dominicale, l’Église dépérit et faillit à sa mission envers tous les hommes. La fête du dimanche en un lieu central ne doit pas se traduire par un abandon des églises de nos villages. Elle rend d’autant plus importante notre capacité à « habiter » toutes nos églises. Nous appelons les chrétiens de chaque village qui en ont la possibilité pratique au cours des jours ouvrables à les rendre vivantes par des réunions de prière fréquentes à leur initiative.

En appelant à un renouveau du dimanche, nous contribuons à libérer l’homme de l’idolâtrie de la consommation, nous l’invitons à renforcer les liens familiaux et sociaux, nous travaillons à la défense et à la promotion d’un rythme commun dans la société. Sur ces objectifs, nous nous retrouvons avec beaucoup de gens qui ne partagent pas notre foi. Pour notre part, en célébrant le Créateur, nous avons conscience de rappeler à tous le sens de la modération et de la responsabilité vis-à-vis de la création dont nous sommes gérants et non pas possesseurs.

L’Écologie et l’environnement est un thème sur lequel nous travaillons depuis deux ans. Au cours de cette assemblée nous avons approfondi notre réflexion sur la responsabilité de l’homme à l’égard du monde dont il a reçu la gérance. Contrairement à certaines visions catastrophistes qui dépeignent l’homme comme le principal ennemi de la nature, nous vivons dans la confiance. Nous savons que les comportements humains peuvent compromettre ou même détruire des équilibres fragiles de l’univers. Mais nous croyons aussi que l’humanité est dotée des moyens de surmonter de grandes difficultés. Elle l’a montré dans le passé. Elle peut encore le faire dans l’avenir. Cela dépend de notre capacité à maîtriser l’usage que nous faisons des biens dont nous disposons. Cela dépend aussi de notre capacité à ouvrir notre réflexion au-delà de nos débats hexagonaux. Ne laissons pas croire que le souci de l’environnement serait un esthétisme de luxe pour pays développés. Faisons de notre recherche d’un développement durable un vecteur de notre volonté de partager les biens de la terre entre tous les hommes. La responsabilité à l’égard de l’environnement est aujourd’hui indissociable de la crise dans sa dimension universelle.

L’accident nucléaire consécutif au raz-de-marée japonais a donné une acuité particulière au débat sur les centrales nucléaires dans nos pays avec des enjeux économiques et politiques dont nous avons bien conscience. Nous souhaitons que la réflexion sur les choix à venir dépasse chez nous le niveau de la surenchère électorale. Il n’est pas certain que les informations nécessaires soient totalement fournies, si elles ont été sérieusement établies et vérifiées. Quelles seraient les énergies alternatives ? Seraient-elles réellement moins polluantes ? Pour combien de temps et à quel prix ? Qu’en est-il dans les pays émergents à très fortes populations et dont le développement économique suppose une forte consommation d’énergie ? Autant de questions sur lesquelles il serait intéressant d’avoir des réponses. En tout cas, la raréfaction des sources d’énergie non-renouvelable nous acculera à des choix de consommation. Lesquels ? Nul n’ignore que, derrière l’angoisse nucléaire, rôde la question des armes atomiques, de leur dispersion et de leur dangerosité. Où en sommes-nous de la régulation internationale dans ce domaine ?

Si l’écologie est une œuvre spécifiquement humaine qui ressortit à la responsabilité singulière de l’homme dans l’univers, elle doit être aussi une œuvre au service de l’homme. Elle est un des éléments du développement intégral de l’homme comme le Saint Père l’a rappelé à plusieurs reprises. L’écologie au service de l’homme n’est pas un vague naturalisme, c’est un engagement pour défendre la qualité de la vie des hommes. La qualité de la vie de tous les hommes, la qualité de vie de tout l’homme dans toutes les dimensions de son existence, non seulement physique, mais aussi psychique, morale et spirituelle. C’est dans cette ampleur que se déploie l’implication des chrétiens dans la défense de la vie.

Depuis plus de dix ans, les évêques de France ont invité les fidèles à unir leurs prières et leurs efforts pour la défense de la vie humaine depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. A proximité du dernier dimanche du mois de mai, beaucoup de communautés chrétiennes prennent des initiatives dans ce sens. L’an dernier, le Pape Benoît XVI nous a invités à nous joindre à sa prière pour la vie naissante la veille du premier dimanche de l’Avent. Nous avons répondu à ce appel dans nos diocèses par des propositions diverses. Un certain nombre de chrétiens se joignent aussi à des manifestations non-confessionnelles comme la Marche pour la Vie du mois de janvier.

Deux spectacles, différents dans leur intention et dans leur réalisation, ont suscité un vif émoi parmi les chrétiens. Nous comprenons le trouble de beaucoup devant des œuvres difficiles à interpréter. Nous devons aborder ces événements, qui reviennent périodiquement, sans nous laisser enfermer dans une forme de débat où l’Église se défendrait elle-même comme un groupe minoritaire dans une société pluriculturelle ou même hostile. Nous ne pouvons pas oublier qu’il y a une logique de l’Incarnation qui est spécifique à la foi chrétienne. En Jésus, Dieu s’est livré aux mains des hommes. Notre foi au Christ nous appelle à le suivre dans la manière dont lui-même a affronté l’adversité, la violence, la haine. Plus largement que les deux spectacles en question, nous sommes donc invités à une réflexion sérieuse sur notre rapport avec des créations culturelles dont les intentions ou les réalisations offusquent notre amour du Christ.

Des œuvres évoquent explicitement le Christ, Fils de Dieu. Souvent, il s’agit du Crucifié sur le mont Golgotha. Elles ne manquent pas d’interroger. Pourquoi le visage du Crucifié questionne-t-il tant ? De quelle force est-il porteur ? Quelle lumière nos contemporains y cherchent-ils avec tant d’assiduité ? Quel sens veulent-ils donner à la violence ou à l’outrance des images qu’ils produisent ? Aucun spectateur ne peut rester indifférent. Il est amené à se prononcer dans sa quête du vrai, du beau, de la transcendance, et pour tout dire de l’amour qui ne contourne pas les souffrances et les misères humaines. Ces œuvres obligent aussi les chrétiens à s’interroger et à chercher quels appels elles expriment, quelles recherches de Dieu s’y manifestent.

Certaines œuvres sont provocantes et leurs provocations blessent bon nombre de spectateurs, chrétiens ou non. L’artiste doit expliquer son intention. Ne doit-il pas aussi prêter attention à la foi des humbles, l’écouter et se laisser toucher en voyant qu’elle se traduit le plus souvent par un amour réel des plus souffrants parmi nous ? Dans ce dialogue entre l’art et la foi, se situe l’énigme de la souffrance humaine. Celle-ci est vive aujourd’hui : où trouver l’espérance ? Le Crucifié de Jérusalem a-t-il une parole à dire ? Comment sa croix annonce-t-elle quelque chose de bon pour l’homme : le salut. Reconnaître ces questions et entrer dans le dialogue est la première tâche des chrétiens. Que ceux-ci ne se trompent pas de combat. C’est d’abord un combat sur eux-mêmes. Être toujours plus fidèles à leur foi dans la société contemporaine en proie à la crise de sens que nous connaissons tous, tel est le véritable combat que les chrétiens ont à vivre. Ils ne le mèneront jamais mieux qu’en s’efforçant d’imiter au plus près leur Seigneur, en vivant de son inépuisable pardon. Voilà le témoignage auquel nous, chrétiens, nous sommes tous conviés. Car le visage du Christ, mieux que nulle part ailleurs, se laisse voir en ses disciples, aujourd’hui comme hier.

L’indifférence, l’incompréhension, la méconnaissance ou le rejet qui s’expriment à l’égard du Christ et de la foi nous touchent tous dans notre amour du Seigneur et notre amour des hommes. Cette blessure ne doit pas et ne peut pas se transformer en violence verbale, et moins encore physique. Elle doit nourrir notre prière, prière personnelle et prière communautaire. Elle doit motiver notre désir de faire connaître le vrai visage du Christ, tel qu’il s’est révélé dans sa Passion et sa crucifixion. À Pierre il a fait rengainer son glaive. Aux femmes de Jérusalem, il a enjoint de pleurer sur elles-mêmes et leurs enfants. Devant les puissants qui allaient le juger et devant les agressions des soldats il s’est tu. Sur la croix, il a prié pour ses bourreaux. Suivons donc son exemple et prions pour ceux qui ne le reconnaissent pas ou qui le maltraitent et pour ceux qui sont blessés dans leur amour pour lui. C’est ainsi que nous communions au Christ.

Nous allons maintenant regagner nos diocèses et retrouver nos tâches habituelles. Que ce temps fraternellement vécu ensemble soit une ressource pour notre mission. En terminant, je veux remercier tous ceux qui contribuent au bon déroulement de nos assemblées. Tout d’abord, évidemment, notre frère l’évêque de Lourdes et, avec lui, tout les personnels des sanctuaires dont l’accueil ne se dément jamais. Je remercie les Secrétaires Généraux et tout le personnel de la Conférence dont nous apprécions la disponibilité et la discrétion. Et je nous remercie tous !

Cardinal André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris
Président de la Conférence des évêques de France

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