Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Messe de rentrée des étudiants d’Île-de-France 2006

Cathédrale Notre-Dame de Paris - Mercredi 15 novembre 2006

Évangile selon saint Luc au chapitre 17, versets 11-19

Que veut dire être chrétien ?

Que veut dire être chrétien dans ce monde tel que nous le connaissons ? Ce monde qui est le nôtre, ce monde que nous voyons bien sûr par certains côtés avec un œil critique, - car nous pensons bien que beaucoup de choses pourraient aller autrement qu’elles ne vont -, mais en même temps ce monde que Dieu nous donne à aimer. Celui-là , maintenant, celui de cette année 2006, pas celui d’il y a 25 ans et pas celui qui aura sa place dans 25 ans. Dieu ne vous demande pas d’aimer le monde de la génération précédente, Il ne vous demande pas d’attendre la génération suivante pour aimer le monde, Il nous demande de l’aimer ici et maintenant.

Nous savons bien pourtant que, pour beaucoup de nos contemporains, de celles et de ceux qui nous entourent, la foi chrétienne ne tient pas une place très importante dans ce monde. On s’est tellement habitué pendant un peu plus d’un siècle à croire que l’on savait faire marcher le monde ! On a cru que, si on y arrivait pas tout à fait, c’était à cause de problèmes particuliers, mais que, dès que l’on aurait surmonté les problèmes particuliers, cela irait beaucoup mieux : petit à petit, après avoir vaincu la tuberculose, on vaincrait le cancer, et après avoir vaincu le cancer, on vaincrait le sida. Mais je ne peux pas vous garantir qu’après le sida il n’y aura pas autre chose. Après avoir fait une première guerre mondiale, on a pensé que c’était fini, et il y en a eu une deuxième, encore plus terrible que la première, et puis 60 ans après la deuxième il y a encore des gens qui meurent sur la terre par les armes. Nous savons désormais qu’on ne va pas y arriver comme cela.

Que peut-on espérer pour l’avenir ? Nous, qui essayons d’être chrétiens, de croire que Jésus-Christ a apporté quelque chose dans ce monde, que pouvons-nous faire ? Que pouvons-nous apporter de particulier ? Avons-nous une petite musique à jouer à travers tout cela ?

On s’imagine quelquefois qu’il y a des gens qui savent ce qu’il faut faire. Que nous nous ne sommes peut-être pas très au courant, mais que certains savent. Il suffirait d’aller les voir et de leur poser la question. Vous aurez peut-être dans votre vie une période comme cela, une période de la course au projet. Cela peut vous conduire dans des tas d’endroits, de Saint-Germain-des-Près à Paray-le-Monial ou à Taizé, ou à Katmandou. Mais le principe est le même. C’est l’idée que quelque part il y a un secret et qu’il faut y aller. Quel est le secret ? C’est ce que l’Évangile nous dit aujourd’hui : sur les dix lépreux qui ont été guéris, un seul est revenu. Sur les dix lépreux qui ont été purifiés, le seul qui est revenu, c’est celui qui n’était pas de la famille, un samaritain, un étranger, un hérétique, lui a compris que c’était Jésus qui l’avait guéri. Mais les neuf autres, on ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu. Où sont-ils ? « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? » Et Jésus lui dit : « Relève-toi, va ! Ta foi t’a sauvé ». La foi, être chrétien, c’est d’abord cela. C’est d’abord reconnaître que le secret du salut ne se fabrique pas parmi les hommes, mais qu’il est donné par le Christ. Être chrétien, c’est reconnaître que nous vivons grâce à lui et de lui.

Si vous êtes venus à la messe ce soir c’est sûrement parce que vous avez vu des affiches, mais c’est aussi sans doute parce que vous allez à la messe de temps en temps. Dans votre vie, vous avez sûrement aussi connu des périodes, et elles ne sont pas forcément finies, où vous vous demandiez : « Que va-t-on faire à la Messe ? » A quoi la Messe peut-elle bien servir ? Eh bien, aller à la messe, c’est tout simplement revenir vers le Christ et lui dire merci. « L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix. » Voilà ce qu’est venir à la messe ! Voyant que Dieu fait quelque chose pour nous, on revient vers Lui, et on le chante à pleine voix. On lui rend grâce. On reconnaît que c’est Lui qui apporte le secret du bonheur du monde. On reconnaît que c’est Lui qui change la vie des hommes, et le signe qu’Il change la vie des hommes c’est qu’Il change la mienne, la vôtre, chacune de nos vies.

Vous avez entendu tout à l’heure dans l’épître à Tite :« Nous aussi autrefois, nous étions insensés, révoltés, égarés, esclaves de toutes sortes de désirs et de plaisirs, nous vivions dans la méchanceté et les rivalités ; nous étions odieux et remplis de haine les uns pour les autres. » Peut-être n’arrivez-vous pas à faire tout cela en même temps, cela réclamerait beaucoup de perversité, mais enfin on en fait un peu quand même, même si on ne fait pas tout. « Insensés, révoltés, égarés, esclaves de toutes sortes de désirs et de plaisirs, vivant dans la méchanceté et les rivalités ; nous étions odieux et remplis de haine les uns pour les autres. » Il n’exagère pas. Alors qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui fait que nous ne sommes plus tout-à -fait insensés, révoltés et égarés, esclaves de nos désirs et de nos plaisirs et remplis de haine les uns pour les autres ? Dieu notre Sauveur a manifesté sa bonté et sa tendresse. Non pas à cause de nos mérites, mais à cause de sa miséricorde. Par le baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. Voilà l’acte de foi. Si nous sommes capables de faire un certain nombre de bonnes choses à travers notre vie, ce n’est pas parce que nous sommes meilleurs que les autres. Ce n’est pas non plus parce que nous serions plus forts, ni parce que nous aurions dominé le monde. C’est parce que Dieu est venu visiter notre existence et toucher nos cœurs.

Être chrétien, c’est reconnaître que tout ce qui se fait de bon en ce monde vient de Lui. Et reconnaître que tout ce qui fait de bon en ce monde vient de Lui, c’est faire Eucharistie, c’est venir offrir l’effort des hommes, les réalisations qu’ils accomplissent, pour que le Christ les prenne en lui-même et les offre au Père. Cela, on ne peut pas le faire sans Lui, Lui seul peut le faire.

Alors il faut choisir : ou bien on se met avec les neuf qui ont été guéris mais qui se sont éparpillés en oubliant par qui la guérison leur est venue, ou bien on se met avec le dixième et on revient vers le Christ en glorifiant Dieu.

Ce soir, vous êtes le dixième. Je souhaiterais que vous soyez le dixième. Le dixième des étudiants d’Ile-de-France, peut-être le centième, et alors, les 99 autres ? Ils n’ont pas été guéris ? Où sont-ils ? Vous êtes le dixième, ou le centième, ou le millième, mais ce qui compte, ce n’est pas le nombre, c’est que vous puissiez entendre la parole du Christ : « Relève-toi et va, ta foi t’a sauvé. » Si je suis sûr que c’est le Christ qui construit une vie nouvelle à travers mon existence, alors je peux aimer ce monde. Avec ses malheurs, ses violences, ses maladies, ses haines, son esclavage des désirs et des plaisirs. Je peux l’aimer parce que je suis libre.

Que le Seigneur donne à chacune et à chacun d’entre-vous, au cours de cette année, de grandir dans la liberté de ceux que le Christ a remis debout par le baptême, qu’il a fait renaître, et qu’il a renouvelés par son Esprit Saint.

Amen.

+ André Vingt-Trois,
Archevêque de Paris

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