Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe à Notre-Dame de Bercy - Cinquième dimanche du temps ordinaire – Année A

Dimanche 6 février 2011 - Notre-Dame de la Nativité de Bercy (Paris XII)

Les disciples du Christ sont envoyés au milieu du monde pour transfigurer la vie du monde par les bonnes œuvres qu’ils accomplissent dans l’Esprit, et non pour y imposer un point de vue concurrent.

 Is 58, 7-10 ; Ps 111 ; 1 Co 2, 1-5 ; Mt 5, 13-16

Frères et Sœurs,

La semaine dernière, nous avons commencé la lecture du Sermon sur la Montagne. Ce passage de l’évangile de saint Matthieu qui s’ouvre sur les Béatitudes, nous décrit le chemin des disciples du Christ, de ceux qu’il a appelés et qui ont commencé à le suivre. Cette montagne de Galilée rappelle le Sinaï sur lequel Moïse avait reçu de Dieu les dix paroles de l’Alliance. Jésus, tel un nouveau Moïse, indique à ses disciples les chemins de l’Alliance nouvelle. Plus largement, il s’adresse à tous ceux qui, comme nous, se mettront à sa suite par le baptême et constitueront son Église.

Ce passage que nous avons entendu nous indique la forme de notre existence de chrétiens en ce monde.

 Si le sel se dénature…

Jésus nous avertit d’abord du risque de perdre ce qui fait notre originalité. Nous savons que le sel donne du goût aux aliments, mais que s’il perd cette propriété singulière, il ne sert plus à rien. De même, le chrétien n’est pas dans le monde pour le submerger ou l’annexer, mais pour lui apporter quelque chose de particulier qui fait toute la différence : il manifeste que le monde, aussi vaste qu’il soit, ne se suffit pas à lui-même, ne peut se refermer et prétendre assurer seul le bonheur de l’homme, qu’il a besoin d’un apport extérieur. De plus, comme le sel pour les aliments, les disciples du Christ manifestent la saveur et la richesse des réalités de ce monde. Mais si les chrétiens, immergés dans la vie de ce monde, perdent leur particularité, alors ils ne servent plus à rien. Si nous oublions Celui qui nous envoie dans le monde et la nature de notre vocation, si nous nous laissons absorber par ce monde sans plus rien y manifester de particulier, si nous nous contentons de suivre les manières communes de vivre, notre existence est vaine, et fade est celle du monde.

On se plaint souvent de ce que le christianisme soit mal respecté dans notre société. On regrette que les chrétiens soient moqués et quelquefois ostracisés, et que les signes de la présence chrétienne soient dissimulés ou attaqués. Mais si nous sommes « jetés dehors » (Mt 5, 13), est-ce simplement parce que les autres nous en veulent ? N’est-ce pas aussi parce qu’ils ne voient pas trop bien à quoi nous servons ? A quoi bon reconnaître la place des disciples du Christ s’ils n’ajoutent rien à cette existence ?

 Vous êtes la lumière du monde

Avec l’image de la lumière, l’Evangile nous indique un autre aspect de la présence des chrétiens en ce monde. « Vous êtes la lumière du monde. On n’allume pas une lampe pour la cacher mais pour la mettre sur le lampadaire afin qu’elle éclaire toute la maison. De même que votre lumière brille devant les hommes pour que voyant ce que vous faites de bien, ils rendent gloire à Dieu votre Père qui est aux Cieux » (Mt 5, 14-16). Ce sont nos œuvres bonnes qui transforment notre vie en lumière, comme nous l’avons entendu dans le livre d’Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu vois sans vêtement, et ne te dérobe pas à ton semblable, alors ta lumière jaillira comme l’aurore » (Is 58, 7-8) ; et encore « Si tu donnes de bon cœur à celui qui a faim, si tu combles les désirs du malheureux ta lumière se lèvera dans les ténèbres » (Is 58, 10). Voici quelles sont les œuvres bonnes qui transforment notre vie en lumière : partager notre pain avec celui qui a faim, recueillir le malheureux sans abri, couvrir celui qui est sans vêtement, ne pas nous dérober à notre semblable.

La lumière de l’Evangile n’éclaire donc pas le monde parce que nous aurions des moyens pyrotechniques plus efficaces, ou parce que nous occuperions mieux le registre de la communication médiatique. Elle jaillit des œuvres bonnes des disciples du Christ. Et si nous ne faisons pas ce bien auquel l’Ecriture nous appelle, la lumière du Christ restera invisible, même si nous allons crier sur les places, à la télévision ou à la radio. Nous ne sommes pas envoyés d’abord pour faire concurrence à d’autres messages publics, mais pour manifester l’amour de Dieu dans ce monde. Et ce n’est ni par « le prestige du langage humaine ou de la sagesse » (1 Co 2, 1), ni par notre force de conviction que brillent nos œuvres bonnes, mais parce qu’à travers elles se manifestent la puissance de l’Esprit. Si l’amour de Dieu est à l’œuvre dans notre manière de vivre, alors on nous écoutera !

Si, au cours de ces dernières semaines, les chrétiens ont pu, grâce à Dieu, faire entendre quelque chose dans le débat sur l’euthanasie et sur les lois de bioéthique, n’est-ce pas d’abord parce que notre parole reflète un engagement profond des disciples du Christ dans l’accompagnement des personnes en fin de vie, dans l’accueil des personnes handicapées, ou dans la mise en pratique du respect dû à toute vie humaine ? Sans cela, notre parole serait insignifiante, et aussi fort que nous puissions crier, elle ne serait ni entendue, ni reçue.

Etre le sel de la terre et la lumière du monde, c’est apporter une vision originale de l’homme. Ce n’est pas une vision théorique. Elle jaillit de l’engagement de nos vies au service de nos frères, à travers les circonstances de chacune de nos existences. Notre légitimité ne vient pas de notre habileté ou de notre sagesse, mais de la puissance de l’Esprit qui nous donne de livrer nos vies par amour de nos frères. « Si tu fais disparaitre de ton pays le joug, le geste de menace, la parole malfaisante. Alors ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi ! » (Is 58, 9-10).

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.

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