Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Solennité de la Toussaint

Mardi 1er novembre 2011 - En la cathédrale Notre-Dame

La sainteté n’est pas réservée à une élite mais offerte à tous ceux qui acceptent de vivre toute chose en Christ. Elle passe aussi, comme pour le Seigneur, par l’acceptation des persécutions et de l’injustice subie à cause de Lui.

 Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps 23, 1-6 ; 1 Jn 3, 1-3 ; Mt 5, 1-12a

Frères et Sœurs,

En situant le discours inaugural de Jésus sur une montagne, l’évangile selon saint Matthieu évoque pour nous une autre montagne : le Sinaï sur lequel Dieu a révélé à Moïse les Dix paroles de l’Alliance. Jésus apparait donc comme le nouveau Moïse qui révèle à l’humanité le chemin de l’alliance nouvelle. Cette loi nouvelle n’abolit pas la première, ni aucun de ses commandements (Mt 5, 17-19). Elle ouvre de nouvelles perspectives, non seulement pour le Peuple élu, mais pour l’humanité toute entière. C’est pourquoi le texte de l’évangile dit que ce discours est adressé par Jésus « à la foule », sans préciser comment cette foule est composée.

Jésus se met à les instruire, en commençant par ses disciples. Cet enseignement s’ouvre par une promesse de bénédiction, et non pas seulement par l’énoncé des commandements, comme pour l’Alliance du Sinaï. Jésus dit : « Heureux ! », ce qui signifie que Dieu bénit et que Dieu donne le bonheur. Tout ce qui viendra après cette promesse exprime les conditions de réception de cette bénédiction. Cependant, si cette promesse nous touche et nous remplit d’espérance, nous sommes également mal à l’aise devant les conditions énoncées par Jésus pour recevoir ce bonheur. Qui d’entre-nous, en effet, pourrait dire qu’il est pauvre de cœur, doux, affamé et assoiffé de justice ou miséricordieux ? Certes, nous pouvons essayer de l’être, mais nous mesurons aussi l’écart entre notre vie et la plénitude de ces vertus. Il y a donc une distance entre la promesse que Jésus fait à l’humanité, et notre capacité effective d’accueillir cette promesse.

Cet écart ne nous est pas présenté pour nous désespérer ou pour nous détourner de la promesse. Il permet de définir l’essence de la vie chrétienne. Un seul a été vraiment pauvre de cœur, doux, artisan de paix ou miséricordieux en plénitude : Jésus lui-même. Seul le Christ accomplit à la perfection ces béatitudes qui sont les commandements de l’amour. Pour espérer recevoir cette bénédiction et connaître le bonheur qu’Il nous promet, il nous faut donc nous efforcer de suivre son chemin et d’imiter sa manière de vivre. « Ayez en vous, les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus » nous dit saint Paul dans l’épître aux Philippiens (Ph 2, 5). Ou bien encore dans l’épître aux Galates, il écrit : « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). La perfection de l’amour à laquelle nous sommes appelés n’est pas hors de notre portée et accessible seulement à quelque personnes héroïques. Mais cette perfection ne peut être non plus le produit de notre effort, comme s’il suffisait de vouloir et de dompter en nous les désirs contraires.

Le Christ ne nous invite pas à un championnat de la perfection. Il veut pour nous la plénitude de l’amour et de la miséricorde. Il veut que nous nous laissions investir par la miséricorde de Dieu et transformer par la manière dont Il a lui-même vécu. Nous l’avons entendu tout à l’heure dans la Première lettre de saint Jean : « Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu et nous le sommes » (1 Jn 3, 1). Nous sommes enfants de Dieu dans le Christ, mais le véritable fils, l’unique, celui que personne ne pourra égaler, c’est Jésus, Celui que le Père a envoyé. Nous, nous sommes enfants de Dieu par association à la filiation du Christ, dans la mesure où nous sommes unis au Fils unique. Nous avons reçue cette identité d’enfant de Dieu par le baptême. C’est là notre statut le plus précieux. Mais cette dignité nouvelle n’apparait pas encore dans toute sa plénitude. « Ce que nous serons ne paraît pas encore clairement » (1 Jn 3, 2) car nous sommes en chemin de conversion pour devenir vraiment enfants de Dieu. Et « quand le Fils de Dieu paraîtra, à la fin, nous serons semblables à Lui parce que nous le verrons tel qu’il est » (Ib.).

Le chemin qui mène à la plénitude du bonheur et à la sainteté est un chemin de communion avec le Christ et de transformation de notre vie par la vie de Jésus. En méditant sa Parole, en contemplant les Mystères de sa vie et en communiant à Lui par les sacrements, nous découvrons peu à peu ce qu’est être enfant de Dieu, et nous nous laissons conduire à vivre en fils dans le Fils unique. Nous sommes enfants de Dieu en croissance, en développement, même si ce que nous sommes ne parait pas encore pleinement. Mais cette première ébauche suffit à nous remplir d’espérance et de joie. Nous sommes certains d’être appelés à devenir des saints et de pouvoir parvenir à la plénitude. La vision de l’Apocalypse de saint Jean qui nous parle de la multitude innombrable de ceux qui entourent le trône de Dieu manifeste que la sanctification de l’humanité n’est pas réservée à une petite élite, mais ouverte à tous ceux qui veulent répondre à l’appel de Dieu.

En ce jour de la Toussaint, nous célébrons ceux qui nous ont précédés. Quand nous fêtons ces saints inconnus qui ont été les témoins de l’Évangile à travers leur manière de vivre et se sont laissés transformer par la puissance de l’amour, nous ne faisons pas mémoire des plus grands saints que nous connaissons, mais d’une multitude d’hommes et de femmes qui ont été sanctifiés dans la discrétion de leur existence quotidienne. Nous rendons grâce pour celles et ceux qui ont cherché jour après jour à mettre l’Évangile en pratique.

Nous célébrons ceux qui se sont laissés entrainer dans la suite du Christ par la puissance de son amour, au point que, quand ils ont rencontré l’adversité, la souffrance, l’insulte ou la calomnie au Nom du Christ, ils ne se sont pas révoltés et n’ont pas défilé pour défendre leur notoriété. Ils se sont réjouis et ont connu l’allégresse de participer, si peu que ce soit, à la Passion de Jésus. Jésus mourant sur la croix n’a pas maudit ceux qui l’ont exécuté. Jésus couronné d’épines, flagellé et blasphémé n’a pas répondu à ceux qui l’insultaient. Á ceux qui disaient : « Il en a sauvés d’autres, qu’il se sauve lui-même s’il est la Fils de Dieu, l’élu » (Lc 23, 35), Jésus déclare : « Pensez-vous donc que je ne puisses pas faire appel à mon Père qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d’anges » (Lc 26, 53).

C’est donc se tromper complètement sur le sens de ces paroles du Christ, que de les transformer en argumentaire guerrier : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux ! Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! » (Mt 5, 10-12). Frères et Sœurs, laissons-nous pénétrer de cet esprit d’amour de douceur, de miséricorde et de compassion qui nous unit au Christ souffrant. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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