Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Centenaire de ND du Rosaire – Solennité Christ Roi – Année A

Dimanche 20 novembre 2011 - Notre-Dame du Rosaire (Paris XIVe)

La mission d’une communauté chrétienne dans un quartier est d’y être témoin de l’espérance de l’Evangile. Ceci passe par la mise en œuvre d’une solidarité, et la travail avec ceux qui ne connaissent pas encore Dieu mais le servent pourtant à travers leurs frères.

 Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22 ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46

Frères et Sœurs,

Nous arrivons au terme des célébrations jubilaires de Notre-Dame du Rosaire, et nous terminons également l’année liturgique, puisqu’en ce dernier dimanche, nous célébrons le Christ-Roi, c’est-à-dire la royauté et le règne du Christ sur le monde. L’évangile de ce jour, comme celui de dimanche dernier (la parabole des talents dont le maître confie la gestion à ses serviteurs) nous fait découvrir que le royauté universelle de Jésus n’est pas un pouvoir de domination, mais un règne qui dévoile le cœur et la liberté des hommes.

Dans le chapitre 24 de l’évangile de saint Matthieu, la parabole des talents nous parle du jugement de ceux qui ont reçu des richesses pour les faire fructifier, c’est-à-dire des héritiers de la Révélation de la Parole de Dieu. Le passage que nous venons d’entendre concerne le jugement de ceux qui n’ont pas reçu ces richesses : les hommes et les femmes qui ne connaissent rien, ni de Dieu, ni de la Bible, ni de l’Église. En nous révélant l’espérance qui leur est promise et la manière dont ils peuvent accomplir ce qui est bon, Jésus nous fait découvrir comment il est le Sauveur de tous les hommes, lui qui n’est pas venu « pour condamner le monde, mais pour que tout homme soit sauvé par lui » (Jn 3, 17). Jésus est le bon pasteur qui « rassemble dans l’unité, l’universalité des enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52).

Comment ces hommes et ces femmes qui ne connaissent pas les Dix commandements, ni l’appel de Dieu à la miséricorde, ni Dieu lui-même ; comment peuvent-ils entrer par leur vie dans l’intention de Dieu ? Au moment du jugement ultime, Jésus dévoilera qu’ils ont été ses serviteurs sans le connaître, en suivant leur conscience et en vivant concrètement l’attention, l’ouverture et le dynamisme de la solidarité humaine et du service à l’égard de ceux qui les entourent et particulièrement des plus petits.

La communauté chrétienne qui se constitue à partir de la Pentecôte par l’accueil de l’Esprit-Saint, est, au milieu de l’humanité, le signe de cet appel universel de tous les hommes à entrer dans le dessein de Dieu. Cet appel dépasse le Peuple de la première Alliance, l’Israël qui a reçu la Loi. Il va aussi au-delà des chrétiens qui ont déjà reçu l’Esprit-Saint de la nouvelle Alliance. Il concerne tous les hommes et toutes les femmes de par le monde, depuis les origines jusqu’à la fin de l’humanité. Tous sont destinés à entrer dans la vie éternelle.

Jésus, le Pasteur universel, envoie son Église pour rassembler toute l’humanité en un seul peuple. Même si elle exerce cette mission avec plus ou moins de succès et de conviction selon les lieux et les époques, l’Église contribue autant qu’elle peut à construire la communion de toute la famille de Dieu, à travers le temps et l’espace.

Dans ce quartier de Plaisance, la célébration du centenaire de Notre-Dame du Rosaire a certainement permis à beaucoup de paroissiens de découvrir ou de redécouvrir comment cette mission s’est déployée dans l’histoire locale. Ici, tout est parti de ces quelques personnes convaincues, qui se sont mobilisées et mises en route, non pas précisément pour organiser une communauté chrétienne coûte que coûte, mais d’abord pour apporter à une population misérable d’un quartier délaissé le minimum nécessaire à la dignité d’une vie humaine, et l’Évangile. C’est dans l’accomplissement généreux de cette mission d’enseignement, de catéchisme, d’éducation et de soins, que peu à peu une communauté chrétienne a pris sa consistance et que le dynamisme profond de toutes ces actions de solidarité s’est révélé pleinement.

Aujourd’hui on ne peut pas dire que ce quartier soit abandonné. C’est un quartier de Paris comme tous les autres, avec sa personnalité, sa vitalité, ses ressources et ses lieux forts. Restent qu’ici comme partout, vivent beaucoup d’hommes et de femmes dont les besoins sont peut-être moins apparents qu’il y a cent ans, mais n’en sont pas moins réels. Les détresses sont peut-être moins visibles qu’au début du XXe siècle, mais elles peuvent être plus profondes, parce qu’elles touchent souvent à la dimension morale. Un grand nombre voit peu à peu reculer l’espérance de réussir leur vie. Beaucoup doutent que leur vie ait un sens. D’autres encore désespèrent de trouver l’équilibre et le bonheur. Et, parmi ceux et celles qui sont venus d’autres pays et d’autres cultures, certains peinent encore à trouver leur place et leur légitimité pour vivre ce qu’ils sont dans une société si différente de celle qu’ils ont quittée.

Dans cet environnement, la communauté chrétienne est peut-être moins sollicitée sur le plan de la solidarité économique qu’il y a un siècle. En revanche, elle est toujours invitée de manière pressante à donner le témoignage d’une solidarité humaine profonde avec ceux et celles qui vivent alentour. Pour nous chrétiens, notre participation à la vie de la communauté, signe visible de la présence de l’Église en ce quartier, fait de nous des témoins et des acteurs d’espérance. Chacun et chacune d’entre-nous est invité à se demander comment il peut aider ses proches, ses voisins et son entourage, comment il peut mettre en pratique la solidarité humaine, et faire entrer ceux qui ne connaissent pas Dieu dans ce mouvement, afin qu’ils découvrent à travers le service de leur frère, ce Dieu qu’ils ignorent encore. Par-delà nos réalisations et leur développement dans le temps, la mission de l’Église nous entraîne à susciter, à soutenir et à encourager celles et ceux qui veulent essayer de faire quelque chose pour que la mort qui est à l’œuvre dans le monde soit vaincue par l’espérance de la vie.

En ouvrant pour le diocèse de Paris trois années de méditation, de travail et d’actions sous le titre de « Paroisses en mission », j’ai souhaité que chaque communauté chrétienne qui se rassemble le dimanche, découvre et approfondisse comment elle est appelée aujourd’hui à être témoin de la Bonne Nouvelle. Cette troisième année « Éthique et solidarité » veut être l’occasion de nouer des liens avec ceux et celles qui mettent en œuvre concrètement plus de solidarité dans notre société. Á travers cet engagement commun pour le bien de tous, apparaitra un peu mieux la vérité du Christ ressuscité, l’espérance qu’il représente pour tous les hommes, la joie qu’il apporte à notre vie. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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