Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe Chrismale 2012

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mercredi 5 avril 2012

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88, 20-22.26.27.29 ; Ap 1, 5-8 ; Lc 4, 16-21

Frères et Soeurs,

Vous qui êtes ici présents et vous qui vous unissez à notre prière grâce à KTO et Radio Notre Dame, je suis heureux de vous commenter ce passage de l’écriture.
Le Seigneur a consacré son Messie par l’onction de l’Esprit. Il l’a envoyé « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » (Is 61, 1) Cette proclamation de la mission de Jésus dans la synagogue de Nazareth est l’ouverture d’un temps nouveau : il ne s’agit plus seulement d’une promesse comme l’avait transmise le prophète Isaïe au Peuple saint. Il s’agit d’un accomplissement : « Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre- leur dit Jésus- c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. » (Lc 4, 21)

La parole de Jésus dans la synagogue de Nazareth annonce l’aujourd’hui du salut pour ses compatriotes. Mais, par la glorification du Christ et l’envoi de son Esprit-Saint, cette parole prendra une dimension universelle dans l’espace et dans le temps. Si bien que cet aujourd’hui de Nazareth devient notre aujourd’hui dans la mission que Jésus confie à son Église. En ce temps, Dieu nous envoie annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. Il nous comble de la puissance de son Esprit pour faire de nous maintenant le corps messianique dans l’histoire des hommes.

Alors que nous entrons dans la célébration du Mystère Pascal de la mort et de la Résurrection du Seigneur, notre célébration de la consécration des Huiles saintes dessine le chemin par lequel nous sommes associés à la mission de Jésus. Par le Saint-Chrême, tous les baptisés, tous les confirmés et tous les ministres consacrés, prêtres et évêques sont imprégnés de la puissance du Ressuscité ; ils sont associés à sa mission à l’égard de l’humanité. Par l’Huile des catéchumènes, ceux qui se préparent au baptême sont fortifiés de la force de Dieu lui-même pour affronter les combats de la conversion. Par l’Huile des malades, ceux qui sont gravement affligés dans leur santé sont associés à l’offrande que Jésus fait de sa vie pour le monde. Ainsi, par la grâce des sacrements, notre participation à la vie de Jésus devient une actualisation de son action pour le salut des hommes.

C’est une joie immense pour notre Église de recevoir cette mission et de s’efforcer de la mener à bien à travers l’existence de chacun de ses membres. Partageant les espoirs et les épreuves de nos frères les hommes, nous ne nous laissons pas enivrer par les succès ni écraser par les échecs. Supportant comme tous les contraintes de notre condition commune, nous vivons d’une espérance qui nous rend capables d’affronter les épreuves sans douter de la promesse de Dieu accomplie en Jésus-Christ. À ceux qui nous demandent de rendre raison de notre foi, nous répondons autant que nous le pouvons, tout en sachant que la seule réponse irrécusable viendra du témoignage de notre manière de vivre. Citoyens de la cité terrestre, nous n’oublions pas qu’elle est transitoire et fragile et que nous sommes appelés à une réussite qui ne se mesure pas au poids de l’argent ou du pouvoir, mais au poids de l’amour.

Cette joie d’avoir été appelés en envoyés, nous la vivons chaque fois que nous sommes rassemblés pour célébrer l’Eucharistie du Seigneur, peuple immergé dans le monde, mais arraché au monde pour construire un monde nouveau. Cette joie, nous la vivons encore ce soir, alors que le presbyterium est réuni bien visiblement autour de son évêque, que les diacres et les consacrés, les laïcs de tous états de vie représentent ici notre Église particulière de Paris en communion avec toutes les Églises particulières par notre communion avec l’évêque de Rome, notre Pape Benoît XVI. Cette joie nous la vivons chaque fois que notre existence nous met au contact des hommes et des femmes qui attendent l’annonce de la libération dans le Christ et chaque fois que nous avons la possibilité de la leur annoncer. Cette joie est aussi la joie intime des familles fondées sur l’amour fidèle et qui transmettent à leurs enfants la Bonne Nouvelle du Royaume.

Cette joie nous la partageons avec celles et ceux qui ont participé dimanche dernier au pèlerinage de Chartres, plus de 800 jeunes parisiens au milieu des 2000 jeunes d’Ile-de-France. Nous la partageons avec celles et ceux qui ont participé ici même aux trois jours d’évangélisation de « Hosanna dans la ville » à l’appel du Conseil Pontifical pour la Nouvelle Évangélisation. Comme dans d’autres métropoles européennes, ils sont allés avec simplicité et confiance au devant de leurs frères pour leur rappeler ou leur annoncer la bonne nouvelle de la Pâque : Christ est vainqueur de la mort. Ils ont montré que la foi au Christ n’est pas une contrainte supplémentaire dans une vie déjà assez difficile, mais, qu’au contraire, elle est une libération pour quiconque croit en lui. Plus d’un millier de témoins ont animé tout le quartier de la cathédrale.

Cette joie, c’est la joie de Jésus lui-même lorsqu’il voit l’Esprit enseigner les pauvres : l’évangile de Luc nous dit : « Jésus exulta sous l’action de l’Esprit-Saint et dit : ‘Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.’ » (Luc 10, 21-22). À notre tour, avec Lui, nous pouvons exulter de joie en constatant la puissance et le dynamisme de l’évangile du Christ.

Toute notre Église vit de cette joie messianique quand elle se laisse conduire sur les chemins de la mission. Chacune de nos communautés, quand elle s’ouvre au dynamisme de l’Esprit du Christ, découvre cette joie partagée. Vous connaissez cette joie en vivant ensemble les objectifs et les initiatives de « Paroisses en mission » dont nous vivons la troisième année orientée vers l’éthique et la solidarité. Cette année sera particulièrement marquée par le pèlerinage diocésain « Chemins de Fraternité » à Lourdes, du 5 au 8 mai 2012, avec les personnes isolées ou fragilisées et les associations qui les accompagnent.

Après cette année, viendra le temps pour chaque paroisse de faire un bilan de ces trois ans pour nous relancer tous ensemble vers l’avenir. Je souhaite donc que chaque conseil pastoral profite de la fin de l’année scolaire ou de sa session de rentrée pour relire le chemin parcouru.

Alors, l’année scolaire 2012-2013 sera d’abord l’année de la foi qui marquera le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II. Nous fêterons cet anniversaire et nous entrerons ensemble dans l’année de la foi le dimanche 30 septembre après midi par une rencontre diocésaine ici-même à la cathédrale. D’ici peu de temps, nous vous communiquerons des documents et des suggestions pour des célébrations paroissiales de l’année de la foi ou pour des pèlerinages à cette même cathédrale dont nous fêterons les 850 ans. Au cours de cette même année scolaire, la foi sera mise en pratique et manifestée par le rassemblement national Diaconia 2013.

Toujours en 2012-2013, et à la suite de « Paroisses en mission », une visite pastorale des conseils pastoraux permettra d’évaluer avec eux comment leurs pratiques ont changé au cours de ces trois années et dans quelle direction orienter leur évolution. Comment ces conseils peuvent-ils être un lieu d’expression plus forte du Sacerdoce Commun et de la mission des fidèles laïcs, tels que nous les vivons ce soir, ici même, au cours de la messe chrismale ? Le 22 septembre j’inviterai ces conseils pastoraux à Notre-Dame pour leur proposer des pistes de réflexion et leur présenter le détail de l’action à venir.

Au-delà, l’année scolaire 2013-2014 sera une année de l’appel en vue de préparer une mission paroissiale pour inviter nos concitoyens à célébrer Noël en 2014.Voici, rapidement esquissé un plan d’action missionnaire et pastorale pour les années qui viennent. Vous le trouverez résumé dans le document qui vous sera remis dès de soir. Mais j’ai voulu, dès maintenant, vous en donner les grandes lignes pour marquer la cohérence de la mission évangélisatrice dans laquelle notre Église diocésaine est engagée, avec toute l’Église universelle, depuis le temps des apôtres.

Cette mission nous l’assumons dans une période agitée de la vie de notre pays. Les événements récents de Toulouse et de Montauban nous ont frappés d’horreur. Si certains extrémistes imaginent que Dieu a besoin de la force de l’homme pour affirmer son authenticité et se faire respecter, nous ne sommes pas de ceux-là ! Le Messie qui s’est révélé dans les évangiles et que nous célébrons au cours de cette Semaine Sainte n’a pas imposé son appel à la conversion par la puissance armée, ni même d’ailleurs par la puissance dialectique. Il a repris le chemin du Serviteur Souffrant annoncé par Isaïe.

Notre Église, fidèle à sa mission, ne cherche pas à saisir le pouvoir, même de manière détournée. En ce temps d’élection, elle se contente de rappeler les exigences de la morale universelle pour le respect de l’être humain et des conditions favorables à son développement. Elle invite ses membres à fuir l’esprit partisan et à se déterminer en conscience selon les critères du bien commun qui dépasse tous les intérêts particuliers. Prions pour que la crise que nous traversons depuis trois ans soit l’occasion d’un véritable examen de conscience sur nos modes de vie et de consommation. Que le jeûne du Vendredi Saint auquel l’Église nous appelle soit aussi un temps de réflexion sur notre dépendance à l’égard des biens de ce monde.

Comme chaque année, la Messe de ce soir est pour moi une action de grâce particulière, puisqu’elle est l’une des rares occasions de l’année où j’ai la possibilité de concélébrer avec l’ensemble des prêtres du diocèse ou présents à Paris. Chers frères prêtres, alors que nous allons renouveler ensemble les promesses de notre ordination, je veux vous dire une fois de plus mon affection et ma gratitude pour votre collaboration si précieuse, pour votre disponibilité et pour la joie que vous me donnez et j’espère que vous donnez à l’Eglise. Nous unissons à notre prière tous ceux qui sont tenus éloignés de nous, soit par la mission qui leur a été confiée au service de l’Église, soit par la maladie ou les handicaps de l’âge.

Chers amis diacres, vous êtes associés à notre ministère et vous exprimez spécialement la dimension du service de l’Église parmi les hommes. Je serai heureux de recevoir le renouvellement de vos engagements et de vous dire ma reconnaissance ainsi qu’à vos épouses et vos familles.

En ce soir où nous sommes rassemblés dans la joie de la mission confiée par Dieu à son Église, je veux adresser un appel solennel aux jeunes de nos communautés. Ils aspirent au bonheur et ils ont raison. Peut-être plus qu’à d’autres moments de notre histoire, ils mesurent qu’il n’y a pas de parcours qui vous garantit contre les difficultés de la vie. Voulez-vous ouvrir les yeux et regarder autour d’eux où transparaît la joie de vivre en assumant les responsabilités de l’existence humaine ? Pour que cette flamme si fragile de la joie ne s’éteigne pas, l’Église et le monde ont besoin de vous. Pour renouveler l’évangélisation, nous avons besoin de témoins de l’Évangile. Nous avons besoin de femmes et d’hommes engagés dans les combats de la cité. Nous avons besoin de familles, de femmes et d’hommes, engagés pour toujours dans l’amour, qui donnent la vie et la joie à leurs enfants. Nous avons besoin de femmes et d’hommes qui acceptent de tout quitter pour l’amour de Dieu et pour le service de leurs frères dans la vie consacrée. Nous avons besoin d’hommes qui acceptent de répondre à l’appel du Christ en devenant les prêtres et les diacres de son Église. Ne fuyez pas ces appels sinon vous risquez de vous en aller, comme l’homme riche de l’Évangile qui « s’assombrit et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. » (Mc 10, 22). Ne choisissez pas la tristesse, choisissez la joie !

Pour terminer, je vous invite à prier tout particulièrement pour les 350 adultes et les 120 jeunes que j’ai appelés au baptême et qui recevront les Sacrements de l’Initiation dans les jours qui viennent. Les communautés contemplatives du diocèse les ont accompagnés de leur prière quotidienne tout au long de ce carême. Avec elles nous prions aussi pour les futurs diacres et les futurs prêtres et je vous invite tous à vous unir à l’ordination sacerdotale ce samedi 30 juin à 9h30 ici même.

Que Dieu nous garde tous dans sa joie ! Amen

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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