Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations de huit ordinands au Diaconat Permanent - Fête de saint Denis et de ses compagnons

Samedi 6 octobre 2012 - Cathédrale Notre-Dame

En ordonnant des diacres permanents, l’évêque confie à des hommes qui poursuivent leur vie familiale, sociale, professionnelle, la mission d’assurer dans le monde le service de la communion ecclésiale et l’annonce de l’Évangile.

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 Is 52, 7-10 ; Ps 95 ; Jn 10, 11-15

Frères et Sœurs, chers amis,

L’assemblée que nous constituons en ce jour pour célébrer la mémoire de notre fondateur saint Denis et pour procéder à l’ordination des diacres est une image visible et tout à fait significative de la réalité du Corps ecclésial. Nous voici rassemblés dans cette cathédrale, évêques, prêtres, diacres, et tout le peuple chrétien avec ses consacrés et ses laïcs, pour participer d’un même cœur, à une même action dans laquelle chacun, cependant, a un rôle différent et une mission particulière.

Ce rassemblement, qui prend son sens plénier dans la communion eucharistique, dessine en même temps la mise en œuvre du programme pastoral que le Christ lui-même a énoncé dans l’évangile de saint Jean : « le bon pasteur connaît ses brebis et ses brebis le connaissent » (Jn 10, 14). En effet, la mission pastorale du Christ contribue à constituer la communion entre les disciples par la connaissance que Jésus a de chacun d’eux, et par la connaissance que chacun d’eux peut acquérir de la personne du Christ. Cette mission pastorale qui consiste à construire, approfondir et développer la communion ecclésiale est la première mission confiée aux apôtres par Jésus lui-même. Par la suite, les apôtres vont la mettre en œuvre en s’associant des collaborateurs de deux ordres, comme nous l’entendrons tout à l’heure dans la prière consécratoire, les prêtres et les diacres. Les trois saints que nous célébrons aujourd’hui, Denis, Rustique et Eleuthère, ont été traditionnellement associés pour figurer ces trois ordres du ministère pastoral : l’évêque, le prêtre et le diacre. Et si la tradition parisienne, et avec elle la tradition chrétienne, nous donne de vénérer d’un même mouvement l’évêque, le prêtre et le diacre, c’est pour nous aider aussi à voir cette image du ministère pastoral dans sa démultiplication organique telle que les ordres la mettent en œuvre.

Ainsi, chers amis, en vous ordonnant diacres, je vous associe de façon particulière à cette mission pastorale de l’Église. Je vous appelle et vous envoie pour être au service de la communauté ecclésiale, pour être des acteurs identifiés et consacrés de la communion de l’Église. C’est dire qu’avant de vous conférer les pouvoirs qui sont essentiellement des pouvoirs sacramentels et liturgiques, je vous confère une mission. Plutôt que de vous donner autorité sur les fidèles, je vous donne mission d’être au service de ces fidèles et au service de leur communion avec le Christ et de leur communion mutuelle. Cette dimension de la mission de l’Église -développer, fortifier et manifester sa communion- nous est rappelée à plusieurs reprises dans les Écritures, de sorte que ceux qui nous regardent puissent se dire : « Voyez comme ils s’aiment » (Apologeticum 39, 7), et s’interroger sur la source de cet amour. Cette mission de l’Église n’est pas une sorte de substitut par rapport à sa responsabilité d’annoncer l’Évangile, elle en est la condition. Nous ne sommes pas mobilisés à travers l’histoire des hommes – toujours marquée par la violence et le malheur de quelque façon – pour construire et défendre un oasis de sérénité au milieu d’un monde turbulent. Nous sommes constitués pour que la communion entre les membres de l’Église soit un élément d’annonce visible de l’amour que le Christ a vécu jusqu’à donner sa vie pour le salut du monde. Cette mission de service de la communion ecclésiale avec les prêtres autour de l’évêque, est déjà missionnaire, dans la mesure où l’Église incarne alors de façon plus intelligible et plus compréhensible l’amour dont elle doit être le témoin.

Mais, la mission que je vous confie ne se limite pas à être au service de cette communion ecclésiale, elle est aussi au service de l’annonce de la Bonne Nouvelle, puisque le ministère diaconal inclut comme élément constitutif l’annonce de l’Évangile et toutes les formes de commentaires, prédications, exhortations, qui peuvent aider les chrétiens à mieux pénétrer le sens et la portée de la Parole que vous leur annoncerez. C’est dire que cette dimension de l’annonce de l’Évangile, qui a déjà une portée significative et symbolique dans la célébration liturgique, a aussi une portée et une signification à travers les occasions de partage, de réflexion, de catéchèse que vous pouvez vivre avec les chrétiens qui vous entourent, mais encore dans l’annonce de l’Évangile hors de l’Église. Cela fait partie de la mission de notre Église de vivre intensément la communion au Christ en vue d’ouvrir cette communion à la multitude, et de partager les biens reçus avec tous les hommes. Et donc le ministère diaconal possède une face et une réalisation perceptibles à l’intérieur de la communauté chrétienne, et une face et une réalisation perceptibles à l’extérieur de cette communauté.

La restauration du diaconat comme un ordre stable et permanent depuis le Concile Vatican II dans l’Église Latine est une grâce et une bénédiction, puisqu’à travers cette mise en œuvre d’un ministère ordonné, conféré à des hommes qui par ailleurs poursuivent leur vie sociale, professionnelle, familiale, relationnelle, etc., permet de donner un signe de l’Évangile dans les conditions ordinaires de la vie.

Ainsi, avec cette ordination et la manifestation publique de votre appartenance à la mission de l’Église, vous allez rendre l’Évangile présent, non plus simplement comme tout chrétien à travers le témoignage de son existence, mais avec cette particularité que vous êtes rattaché d’une façon originale à la mission pastorale de l’Église. Et tout naturellement, comme cela a déjà dû se produire pour ceux qui sont déjà diacres et même pour vous qui avez annoncé votre ordination aujourd’hui, cela va susciter des questions.

Qu’est-ce que cela veut dire ? On comprend bien que la religion soit confinée dans ses églises et ses sacristies, mais qu’est-ce que cela signifie cette religion dans le monde ? Quand elle est vécue de façon implicite à travers les comportements quotidiens, chacun en prend ou en laisse, cela n’a pas d’importance ! Mais si quelqu’un est désigné au cœur d’une entreprise, dans un réseau familial ou dans une vie sociale, comme présence d’Église, comme signe de l’Église, plus simplement comme témoin de son expérience personnelle, alors la religion est désenclavée !

Votre mission, c’est de participer à ce désenclavement, et du même coup de rejoindre le témoignage que les chrétiens rendent à l’Évangile à travers leurs conditions de vie, les soutenir, les encourager, et être pour eux un point d’appui : « Ils sont beaux les pieds de celui qui vient annoncer la bonne nouvelle » (Is 52, 7). C’est donc avec une joie toute particulière que sous le patronage des saints Denis, Rustique et Eleuthère, je vous associe à la mission pastorale qui m’a été confiée, et à la mission de l’Église dans notre ville de Paris, à travers les différentes missions qui vont vous être transmises à partir de votre ordination.

Je voudrais pour terminer exprimer ma reconnaissance et mon amicale pensée à toutes vos familles. Tout à l’heure nous avons entendu le soutien des épouses, mais nous n’oublions pas qu’une famille, ce sont aussi souvent des enfants, des petits-enfants. Une part que vous ne mesurez pas, de ce que vous êtes, de votre personnalité, de l’équilibre de votre vie s’alimente de ce tissu familial dans lequel vous vivez depuis des années et va prendre une dimension nouvelle. Je salue donc avec beaucoup d’affection chacun des membres de votre famille, et toutes les personnes que vous avez invitées de vos paroisses ou de vos relations personnelles à participer à cette célébration, qui est pour nous une occasion de mettre en œuvre la communion que le Christ veut établir dans son Église, pour en faire un signe visible de l’amour de Dieu parmi les hommes.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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