Homélie du Cardinal André Vingt-Trois lors de la messe d’action de grâce pour le Pontificat de Benoît XVI

Cathédrale Notre-Dame de Paris - jeudi 28 février 2013

Ce jeudi 28 février, jour de la renonciation du Pape Benoît XVI, la cathédrale était bondée et sur le parvis, plus d’un millier de personnes rassemblées sur les gradins du chemin du Jubilé ont suivi la messe retransmise sur écran géant.

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Lectures : - Jr 17, 5-10 ; Ps 1, 1-6 ; Lc 16, 19-31

Lors de son élection en 2005, Benoît XVI s’est présenté comme un modeste serviteur dans la vigne du Seigneur. Les huit années écoulées nous ont montré que, de sa part, il ne s’agissait pas d’une simple formule de convenance, mais bien d’une conviction profonde qui devait éclairer tout son pontificat. Ni sa brillante intelligence, ni son immense culture, ni sa remarquable capacité pédagogique, rien chez lui n’a jamais été utilisé pour dominer ses interlocuteurs ou ses collaborateurs ou pour contraindre à une adhésion dont il savait qu’elle devait avant tout être le choix d’une liberté éclairée. Alors qu’il vient de renoncer à exercer sa charge, nous voulons saluer d’abord sa lucidité et son courage devant une décision difficile à prendre et qu’il a longuement murie. Nous voulons aussi lui exprimer notre gratitude et rendre grâce à Dieu pour les années de son pontificat.

Nous lui sommes reconnaissants pour l’amitié très profonde qu’il porte à notre pays et à sa culture. Son appartenance à l’Académie des Sciences Morales et Politiques de l’Institut n’est pas pour lui une simple gratification au terme d’une carrière d’intellectuel. Il est fier d’avoir été choisi et reçu dans cette académie et il a tenu personnellement à saluer les membres de l’Institut lors de son dernier voyage en France en septembre 2008. Mais au-delà de sa notoriété académique, nous savons qu’il est un parfait francophone et que sa connaissance de la culture française, et spécialement des théologiens français, est fine et avertie. Tous les évêques de France qui ont eu le privilège de le rencontrer et de parler avec lui peuvent témoigner de l’écoute bienveillante et amicale qu’il leur réservait.

Sa visite en France, en septembre 2008, a été un moment très important de la vie de notre Église. La grande diversité des foules qui se sont assemblées pour l’accueillir, à Paris comme à Lourdes, lui a permis de voir que, malgré notre pauvreté et les conditions particulières de notre situation, nous sommes une Église vivante et pleine de ressources. Son discours au Collège des Bernardins comme ses homélies successives ont éclairé les grandes lignes de notre engagement à la suite du Christ dans notre société. Il est sans doute trop tôt pour tirer un bilan de son pontificat. Du moins pouvons-nous relever quelques accents majeurs de son enseignement et de sa pratique.

Avant tout, Benoît XVI est un chrétien et un prêtre dont la vie est structurée autour de l’Eucharistie et de la Parole de Dieu. Toutes ses homélies et son enseignement développent une méditation permanente sur la Révélation et sur la liberté humaine authentique indissociable de la recherche et de la reconnaissance de la vérité qui est une personne Jésus-Christ. Celui qui nous dévoile la réalité divine est le même qui se rend présent à nous dans le sacrement eucharistique, « source et sommet de la vie chrétienne. » Expert théologique au Concile Vatican II, Joseph Ratzinger se rapporte toujours au concile comme un élément déterminant du discernement ecclésial. Les injustes procès d’intention qui lui ont été faits à ce sujet manifestaient plus de l’idéologie de leurs auteurs que le reflet d’une vérité.

Convaincu des capacités de l’être humain à chercher la vérité et à l’accueillir, Benoît XVI ne cesse pas d’appeler à un dialogue clair entre la démarche de la foi et celle de la raison humaine. Mais nous comprenons que ce dialogue, s’il a inévitablement des aspects institutionnels, est d’abord un dialogue qui habite la démarche de tout croyant et de tout chrétien. Nous devons le nourrir et le développer constamment par l’engagement de notre intelligence dans l’acte même de notre foi. C’est un des objectifs de l’Année de la Foi. Cette rencontre entre foi et culture fut développée par Benoît XVI à de nombreuses reprises, notamment ici à Paris, mais aussi à devant le Bundestag à Berlin et devant le Parlement britannique à Westminster. Grâce à cet enseignement, nous mesurons mieux que l’annonce de l’Évangile dans une société sécularisée repose simultanément et de manière indissociable sur un dialogue culturel et sur un témoignage de vie. Ce témoignage a été un des thèmes récurrents des encycliques de Benoît XVI. Il appelle toujours les disciples du Christ à mettre en œuvre un élément constitutif de la foi qui est l’amour du frère. Cet engagement au service de la justice, enrichi du témoignage de la charité manifestée dans la gratuité des relations humaines est comme un marqueur de l’authenticité du contenu de la foi que nous professons.

Il faudrait encore évoquer l’implication totale de Benoît XVI dans son ministère d’unité, qu’il s’agisse des relations avec les autres confessions chrétiennes ou des relations avec le judaïsme, des relations avec l’Islam et avec les autres religions. Mais on peut dire qu’un des tourments de son pontificat a été de vouloir éviter à la Fraternité saint Pie X de s’incruster dans une attitude schismatique. Sa patience et sa longanimité ont été remarquables, même si la réponse n’est pas aujourd’hui à la mesure des appels sans cesse renouvelés. De même a-t-il invité les catholiques chinois à entrer dans un chemin de réconciliation.

Voilà bien des motifs d’action de grâce. On pourrait en ajouter bien d’autres. Mais ce soir, je voudrais vous inviter à faire retour sur nous-mêmes et à nous interroger sur le profit que nous avons tiré de tous ces dons que nous avons reçus par le ministère de Benoît XVI. Si je me suis un peu étendu sur la fécondité de ce ministère, ce n’est pas pour exalter la figure du Pape qui n’en a d’ailleurs pas besoin. C’est plutôt pour nous permettre d’écouter d’une façon ajustée l’avertissement de l’évangile d’aujourd’hui que nous venons d’entendre. L’homme riche qui n’a jamais jeté un regard sur le pauvre Lazare, miséreux à sa porte, demande que l’on avertisse ses frères pour qu’ils évitent de tomber dans le même écueil. Entendons le dialogue final : « Si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront et Abraham répond : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” » (Lc 16, 30-31)

En ce temps de Carême, la question centrale à laquelle nous sommes confrontés, au long de notre chemin vers la Pâque, est celle de notre retour à Dieu. Comme les quelques 370 catéchumènes adultes et les 110 jeunes catéchumènes que j’ai appelés en vue de leur baptême, nous sommes appelés à revenir sans cesse à la source d’eau vive que constitue ce baptême. Dans un de ces derniers discours, Benoît XVI, une fois de plus, a invité l’Église à se réorienter, c’est-à-dire à revenir sans cesse au Christ pour témoigner de l’amour de Dieu parmi les hommes. Nous pouvons comprendre que ceux qui ne partagent pas notre foi fassent des événements que nous vivons une lecture principalement politique ou idéologique, quand elle n’est pas tout simplement exotique mesurant la vitalité de l’Église à son conformisme avec les slogans du moment ou à sa plus ou moins grande capacité à donner des signes de modernité.

Pour nous, nous savons, et Benoît XVI n’a pas cessé de nous le rappeler à temps et à contretemps, que la vitalité de l’Église dépend de sa détermination à se mettre à l’unisson du Christ et à y revenir sans cesse. Le chemin de notre conversion se dessine quand nous écoutons la Parole de Dieu et que nous nous en nourrissons, quand nous entrons dans l’offrande que Jésus a faite de sa vie par amour pour Dieu et pour les hommes, quand nous développons notre capacité à rendre compte de notre espérance devant le monde, quand nous manifestons la réalité de notre foi par la vigueur de notre engagement dans l’amour des autres.

Nous savons bien que nous sommes toujours tentés de remettre le moment de notre conversion à un autre jour ou que nous cherchons des messagers extraordinaires qui seraient censés nous convaincre. Comme l’homme riche nous prétendons que si Dieu nous envoyait un messager particulier, cela changerait tout. Mais quel message supplémentaire devons-nous attendre après la résurrection du Christ ? C’est à ce message central que nous ramènent l’enseignement et l’exemple de Benoît XVI : quelqu’un est ressuscité d’entre les morts. Que faut-il de plus pour nous convaincre ?

La Nouvelle Évangélisation à laquelle nous sommes appelés à prendre part, n’est rien d’autre que le renouveau de notre conversion baptismale et le dynamisme d’amour qui nous pousse à en partager les fruits avec celles et ceux que Dieu met sur notre route. C’est de cette dynamique de conversion que nous voulons aujourd’hui faire l’hommage à Benoît XVI en signe de notre gratitude et de l’accueil que nous réservons à sa prédication.

Il nous reste à unir nos prières à celles de tous nos frères dans la foi pour que Benoît XVI connaisse une fin de vie paisible et fructueuse. Qu’il la vive dans la solitude selon son choix, mais non pas sans l’affection attentionnée de tous ceux qu’il a servis. Il nous reste à prier pour son successeur et d’abord pour les cardinaux qui auront à le choisir dans quelques jours. Que l’Esprit-Saint les éclaire et qu’il nous donne de grandir dans l’amour de l’Église notre mère. Amen

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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