Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe avec les boulangers - 7e dimanche de Pâques - Année C

Dimanche 12 mai 2013 - Notre-Dame de Paris

"Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi". Par cette prière, Jésus nous invite à trois niveaux d’unité. Rechercher l’unité, d’abord parce que la dispersion provoque l’affaiblissement, ensuite parce que l’unité de l’Église construit le corps du Christ, enfin parce que cette unité est un signe de la communion entre les personnes divines.

 Ac 7, 55-60 ; Ps 96 ; Ap 22, 12 -14. 16-20 ; Jn 17, 20-26

Frères et Sœurs,

Le passage de l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre est le dernier chapitre avant que ne commence le récit de l’arrestation et de la Passion du Christ. Ce chapitre est le seul passage du nouveau Testament qui nous rapporte une prière aussi longue adressée par Jésus à son Père. C’est évidemment pour nous faire comprendre non seulement que ces derniers propos adressés par Jésus à ses disciples ont une importance particulière, parce que ce sont les derniers, mais ils ont une importance particulière aussi parce que ce sont des paroles que Jésus adresse à son Père en faveur de ses disciples d’abord, puis en faveur de ceux qui croiront en Lui grâce à leurs prédications. Aussi, devons-nous prêter une grande attention à ce que Jésus dit dans cette prière. Et vous n’avez pas été sans remarquer que l’un des points centraux de cette prière, c’est la demande de l’unité.

Nous savons que cette prière de Jésus pour l’unité est invoquée souvent comme un motif pour nous inciter à progresser dans la recherche de l’unité entre les chrétiens. Mais peut-être n’est-il pas mauvais de mieux comprendre quel est le ressort de ce que les papes successifs des temps modernes ont considéré comme une ardente obligation de leur ministère en travaillant autant qu’ils le pouvaient, à favoriser l’unité entre les chrétiens ?

Dans la prière de Jésus nous voyons comme trois niveaux qui nous aident à réfléchir.

Le premier niveau, c’est que la dispersion provoque l’affaiblissement. Si l’on veut pouvoir mener des actions fortes en ce monde, si l’on veut pouvoir infléchir les événements, si l’on veut pouvoir faire progresser un certain nombre d’idées et de projets, il faut se réunir. Nous savons très bien que lorsque chacun va de son côté, avec ses idées et ses moyens, on est beaucoup moins fort que si l’on agit tous ensemble. Je dirais que c’est le premier niveau de motivation pour la recherche de l’unité : l’économie d’énergie, un niveau très élémentaire.

Le deuxième niveau qui est plus moral : comment est-il possible que ceux qui se réclament du Christ, et qui veulent être ses disciples, soient incapables de vivre en communion les uns avec les autres ? Cette fois-ci, le manque n’est pas simplement un affaiblissement de notre capacité d’action dans le monde, ou un signe négatif que l’Église donnerait par ses divisions, c’est vraiment une faute morale qui détourne notre cœur et notre vie d’un travail de communion nécessaire entre les membres du corps du Christ que sont les chrétiens. On peut évidemment le comprendre en considérant les divisions historiques qui ont séparé d’abord les Églises d’Orient de l’Église d’Occident, puis la division historique de la Réforme au XVIe siècle, et voir comment ces ruptures, quelles qu’en soient les causes et l’analyse que l’on en fait, ont été une sorte de blessure profonde qui demeure au côté de l’Église indivise. Mais nous pouvons aussi faire retour sur nous-mêmes et sur notre manière de vivre en Église. Combien de fois voit-on des chrétiens -je veux bien croire qu’ils sont de bonne volonté- considérer leur Église comme une sorte de parti, avec ses courants, ses tendances, ses possibilités de divergence, ses manœuvres, ses stratégies, et quelquefois ses trahisons ? L’Église du Christ n’est pas un parti politique, elle ne se constitue pas sur une communauté de conception et de pensée, elle se construit sur la communion sacramentelle avec le Christ.

Travailler à désunir cette communion sacramentelle est une faute que nous avons commise un certain nombre de fois au cours de l’histoire, dont nous devons nous repentir et pour laquelle nous devons demander pardon. Mais c’est surtout une faute que nous devons nous employer à éviter dans le présent et dans l’avenir.

Mais je dirais que cette faute morale n’est pas encore le niveau le plus radical de la communion à laquelle le Christ nous invite. Il veut que nous soyons plus efficaces, il veut que nous donnions un meilleur signe de l’amour qui unit ses disciples, mais il veut surtout que nous participions par notre manière de vivre à la communion qui existe entre le Père et le Fils. S’il prie pour que nous soyons unis, ce n’est pas pour que nous ayons une meilleure image dans le monde ou que nous soyons plus efficaces, c’est pour que nous soyons réellement capables d’entrer en communion avec Lui comme il est en communion avec son Père. Si bien que la communion pour laquelle il prie n’est pas simplement une union tactique, ni un effort de cohabitation fraternelle, c’est vraiment l’affirmation de l’union substantielle qui existe entre le Père et le Fils, et dont la communion des chrétiens doit donner le signe visible en ce monde. Que tous soient un, comme nous sommes un.

Nous comprenons ainsi, à la fois que le progrès dans l’unité des chrétiens suppose que nous fassions des efforts, que nous menions des actions, que nous soyons engagés dans ce chemin et en même temps, nous comprenons que sa réalisation dépend essentiellement de notre conversion profonde à l’amour trinitaire qui unit le Père et le Fils et dont nous sommes rendus participants par le baptême.

Frères et sœurs, au moment où nous célébrons l’eucharistie, prions le Seigneur qu’il ravive en nous le sens de la communion avec le Fils, qui nous fait entrer en communion avec le Père. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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