Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Veillée de prière pour la Vie avec les évêques de la Région Ile-de-France

Mardi 22 mai 2012 - En la cathédrale Notre-Dame

Jn 6, 28-33

Frères et Sœurs,

« Que faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » (Jn 6, 28). À différents moments de notre vie, chacune et chacun d’entre nous est amené à se poser cette question. Aujourd’hui, dans le temps que nous vivons, beaucoup de chrétiens se la posent avec perplexité, quelquefois avec une certaine angoisse. Ils nous la posent à nous, vos évêques, et nous demandent : « Que devons-nous faire ? Pouvez-vous nous dire ce qu’il faut faire, (et nous le ferons) ? Dites-nous ! Mobilisez-nous ! »

« L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’Il a envoyé » (Jn 6, 29). Cette réponse ne correspond pas du tout à la question posée. Pourquoi donc la foi au Christ, le fait de « croire en celui que Dieu a envoyé », serait-elle vraiment la réponse à ces interrogations ? Et quels signes le Seigneur va-t-il nous donner pour que nous puissions vérifier que telle est bien la solution, et pour que nous croyions en Lui ? Que va-t-il changer et retourner dans la situation présente pour que nous puissions être certains qu’Il est vraiment Celui qui seul peut dominer ce qui nous échappe ?

Dans le désert, Moïse a accompli des signes : il faisait descendre la manne pour permettre au peuple juif de survivre. Mais, même si c’est Moïse qui a intercédé pour que Dieu nourrisse son peuple, c’est bien Dieu lui-même qui a donné la manne, et pas Moïse ! C’est ce que Jésus rappelle aux juifs qui l’interrogent. De même, si nous pensons qu’il y a dans l’histoire des hommes, des peuples et des sociétés des résistances et des dynamismes destructeurs de vie et ancrés dans le cœur de l’être humain, ce n’est ni vous ni moi qui pouvons les supprimer. Ce n’est pas nous qui allons changer les cœurs de pierre en cœurs de chair.

Sommes-nous donc convaincus que le renouveau de l’existence humaine dépend de la mort et de la résurrection du Christ ? Sommes-nous convaincus que notre vie, que nous avons reçue et que nous essayons de conduire du mieux que nous pouvons est un don de Dieu lui-même, et pas simplement de ceux qui nous ont engendré ? Sommes-nous convaincus qu’il y a au cœur de l’existence de chaque homme et de chaque femme un mystère qui dépasse la simple tactique de l’action humaine ? Si nous ne le sommes pas, nous pourrons faire beaucoup de choses, mais nous ne changerons pas la réalité.

Voilà pourquoi, dans la défense de la vie à laquelle nous sommes tous attachés, nous, vos évêques, nous vous invitons, année après année, à cette démarche de foi. Nous savons que les véritables forces qui peuvent changer le monde viennent de l’acte de foi que nous posons, de la prière que nous faisons monter ce soir vers Dieu en action de grâce et en supplication, de la remise de nous-mêmes à la volonté de Dieu, de l’ouverture de notre vie et de notre cœur au service de nos frères.

Le changement du cœur de l’homme repose sur la possibilité offerte à la grâce de toucher la liberté de chacun. Mais si nous ne maitrisons pas cette rencontre mystérieuse, nous pouvons y contribuer, d’abord en implorant cette grâce pour nos frères et bien-sûr en l’accueillant dans notre propre vie. Il faut que nous comprenions bien que les mentalités n’évoluent pas simplement parce que l’on crie fort et parce que l’on répète des idées toutes faites, mais parce qu’il y a des hommes et des femmes qui sont profondément convaincus que la vie humaine révèle un mystère que nous ne possédons pas.

Toute l’ingéniosité humaine qui atteint aujourd’hui un si haut degré peut être mise au service de la vie pour réparer les accidents et améliorer notre existence, pourvu qu’elle ne s’érige pas elle-même en instrument de domination de la vie. De même, chacun et chacune d’entre-nous peut se mettre au service de ses frères par amour, ou utiliser ses talents et ses capacités pour maîtriser et dominer ses frères. L’intelligence humaine peut produire des fruits magnifiques au service de l’homme, et être source de vie. Elle peut aussi devenir facteur de mort. C’est pourtant la même intelligence et la même ingéniosité. La même grandeur de l’homme peut devenir noblesse du maître qui se met aux pieds de ses disciples pour se faire leur serviteur, ou ambition perverse du serviteur qui veut prendre la place du maître.

D’où vient notre vie ? Il ne faut pas nous tromper ! Que des gens qui ne connaissent pas Dieu, qui l’ont oublié ou se sont détournés de Lui puissent vivre comme s’ils étaient les maîtres de la vie, nous le comprenons. Mais il ne doit pas en être ainsi de ceux et celles qui font profession de croire en Dieu, source de toute vie, de ceux et celles qui croient au Christ, Sauveur du monde, pain vivant pour la vie du monde. Nous savons que chaque vie humaine est précieuse aux yeux de Dieu puisqu’il l’a acquise au prix de la vie du Fils unique. Offrons-nous donc généreusement pour rendre témoignage à la dignité de chaque existence humaine, de sa conception à son terme et au long de chacun de ses jours. Nous ne pouvons avoir un regard d’indifférence pour aucun être humain en ce monde. Ni envers ceux qui sont sans force, les nourrissons, les vieillards ou les malades en fin de vie. Ni non plus envers ceux qui sont pécheurs, coupables, et qui attendent miséricorde. Ni non plus, envers ceux qui sont différents de nous, étrangers, rejetés aux marges de notre société prospère, dans la pauvreté et parfois dans la misère. Aucune de ces existences ne peut être indifférente à nos yeux. C’est de l’amour même du Christ que nous vénérons l’enfant à naître, l’homme en passe de mourir, et chaque être humaine tout au long de sa vie.

Frères et sœurs, Dieu a nourri les Juifs au désert et ils sont morts (Jn 6, 49). Il nous donne le pain vivant dans la personne du Christ pour que nous ne mourions pas et pour que nous vivions. Il nous donne le pain vivant : « celui qui donne la vie au monde » (Jn 6, 33). Nous avons ce soir renouvelé cet acte de foi par l’intercession de Notre Dame. Nous voulons le prolonger dans notre prière, dans notre méditation personnelle, en nous mettant à la disposition de Dieu pour que sa vie porte du fruit. C’est pourquoi maintenant, ceux qui le désirent et s’y sentent appelés seront invités à faire un acte d’engagement devant Dieu pour se mettre au service de la vie des hommes. Malgré notre faiblesse nous voulons, par le don de l’Esprit, reconnaître l’Évangile de la vie, la Bonne Nouvelle de la vie. Nous demandons à Dieu qu’il nous soutienne dans les choix qui se présentent à nous pour ce service de la vie. Amen.

Ensuite, après un silence le Cardinal a repris :

Frères et sœurs, levons-nous et confions-nous au Seigneur, confions-Lui notre humanité et spécialement notre pays, confions-nous les uns et les autres à la puissance de Sa grâce.

Nous prononcerons tous ensemble la prière d’intercession et ceux qui le veulent diront, chacun à voix basse, la prière d’engagement. Ceux qui ne se sentent pas prêts ce soir, ceux qui ne souhaitent pas s’engager ainsi, qu’ils prient pour que les autres soient fidèles à ce qu’ils vont promettre.

Tous ensemble :

Dieu vivant, Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, Tu es le Dieu des vivants et non le Dieu des morts.

Tu donnes aux hommes de s’engendrer les uns les autres mais aussi de s’aider à vivre et même de se rendre plus vivants les uns les autres.

La science et la technique ont acquis une capacité extraordinaire de comprendre les mécanismes de la vie et de les maîtriser.
Nous te prions, inspire aux hommes un profond respect de la vie humaine.

Inspire-nous comment nous aider les uns les autres à accueillir toute vie humaine comme un don.

Inspire aux médecins et aux chercheurs les voies de recherche utiles qui permettront de soigner les maladies les plus graves et de soulager la souffrance.

Inspire à nos responsables politiques et sociaux le courage et la lucidité de chercher le bien de tous, la liberté pour entendre la voix de la raison.

Surtout, inspire à tous d’aimer la vie. Donne à chacun d’apprendre à aimer y compris la fragilité de son corps. Donne à chacun de recueillir le fruit de chaque âge de la vie sans chercher à l’esquiver. Mets dans le cœur de tous la générosité nécessaire, la confiance mutuelle et le souci d’autrui pour entourer de respect et d’amour les commencements de la vie et de tendresse les grand dépouillements de la fin de la vie.

Nous, tes enfants, baptisés dans la mort et la résurrection de Jésus, nous Te demandons d’affermir en nous le respect de la vie humaine. Que Ton Esprit-Saint nous fortifie pour que nous sachions par nos actes de chaque jour, par notre manière de regarder les autres et de nous regarder nous-mêmes, témoigner de la beauté de la vie humaine à chacune de ses étapes.

Ceux qui le désirent poursuivent à voix basse :

Dieu très bon, me confiant à l’intercession de la Vierge Marie, porté dans la communion de ton Église, je m’engage à garder tes commandements. Je m’engage à mettre en œuvre l’Évangile de la vie en chacun de mes actes : par l’accueil inconditionnel de tout être humain, dès sa conception et jusqu’à sa mort ; par un regard sans concupiscence sur les autres ; par le respect du mariage tel que Tu en as fait le don aux hommes ; par l’attention à mes paroles et à mes gestes pour me garder de tout mépris ou jugement ; par le service des plus fragiles et la reconnaissance de leur haute dignité.

Je m’engage à un effort continu pour chercher à connaître et à comprendre le discernement de ton Église sur les pouvoirs que l’humanité acquiert et pour m’y conformer.

Seigneur, Dieu créateur et rédempteur, je connais ma faiblesse. Je te rends grâce pour le don de l’Esprit-Saint qui me permet de reconnaître l’Évangile de la vie. Que cet Esprit me soutienne dans les choix qui se présenteront à moi au long des années. Qu’Il m’aide à grandir dans la confiance dans le jugement de l’Église. Qu’Il transforme mon cœur de pierre en cœur de chair.

Tous ensemble

Sainte Vierge Marie, mère de Dieu, mère des croyants, mère de l’Église, toi qui as accueilli dans ta chair le Verbe de Dieu, toi qui as accompagné ton Fils jusqu’au pied de la croix, toi qui as reçu ses disciples comme s’ils étaient ton Fils, que ton intercession maternelle nous entoure toujours. Qu’elle nous soutienne dans les temps d’épreuve, qu’elle nous donne de goûter pleinement la joie en rendant grâce, qu’elle nous assure toujours du pardon à recevoir. Veille sur ceux et celles qui, aujourd’hui, sont devant des décisions délicates et qui se demandent où est le bien. Demande pour eux l’Esprit de lumière et de force. Prie pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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