Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe et consécration du nouvel autel de l’église St Thomas d’Aquin – 2e dimanche de carême – Année C

Dimanche 24 février 2013 - St Thomas d’Aquin (Paris VIIe)

 Gn 15, 5-12.17-18 ; Ps 26, 1.7-9.13-14 ; Ph 3,17 - 4,1 ; Lc 9, 28b-36

Frères et Sœurs,

La manifestation de la gloire de Jésus devant Pierre, Jean et Jacques, est présentée dans les évangiles comme une étape indispensable sur le chemin de Jérusalem. En effet, en dévoilant de façon exceptionnelle l’identité réelle de Jésus, le Fils que Dieu a choisi et qu’il nous demande d’écouter, l’Évangile prépare la découverte et l’épreuve à laquelle seront soumis les disciples au moment du procès de la condamnation et de l’exécution de Jésus à Jérusalem. C’est le même Jésus de Nazareth qu’ils suivaient depuis déjà longtemps, qu’ils ont appris à connaître mais qu’ils ne connaissent pas encore complètement, c’est le même qui dévoile sa gloire devant eux et qui plus tard, apparaîtra à leurs yeux non seulement dans l’ignominie de son procès et de sa passion, mais aussi dans la destruction de son humanité. Supporter cette épreuve, la vivre dans la foi et persévérer à croire que cet homme qu’ils verront cloué sur le gibet est le Fils de Dieu, c’est l’épreuve de foi à laquelle les disciples seront soumis et c’est pour les préparer à cette épreuve que Dieu leur dévoile ce qui restait caché à leurs yeux.

Nous savons que malgré cette expérience exceptionnelle vécue sur la montagne avec le Christ, ils défailliront dans l’épreuve, au moins jusqu’à la résurrection. Mais, déjà, l’Évangile inscrit dans cet événement une clef d’interprétation pour ce qui surviendra dans quelques semaines à Jérusalem. Nous comprenons que la liturgie inscrive cette lecture de l’événement de la transfiguration et sa méditation au cœur du chemin que nous parcourons vers la Pâques au long du carême, car nous aussi, lorsque nous célébrerons les jours saints, et en particulier le vendredi saint, le samedi saint et le dimanche de la résurrection, nous serons soumis à une épreuve de la foi : est-ce que l’échec de la mission de Jésus, l’épreuve à laquelle il va être soumis, signifie que Dieu l’a abandonné, que le Père punit dans son Fils ce qu’il n’a pas pu obtenir ? Allons-nous vivre ces événements comme des choses, des gestes, des paroles qui renient la miséricorde de Dieu ? Ou au contraire, pourrons-nous affronter ces événements dans un progrès de la foi ?

Ainsi, cette méditation au long du carême prépare nos esprits et nos cœurs à la célébration des jours saints, elle nous invite à reprendre conscience de qui est vraiment le Christ, celui que Dieu a choisi comme son Fils et qu’il nous demande d’écouter. Mais, pour nous, au XXIe siècle, nous ne pouvons pas espérer que Dieu dévoile sa gloire à nos yeux. Ce que les disciples ont vécu sur la montagne dans la prière du Christ, nous ne serons pas invités à le vivre parce que nous sommes le peuple d’après la résurrection. Nous savons que Jésus est sorti vainqueur de l’épreuve de la mort, et cependant, les événements de la Pâque, la condamnation, la mise à mort du Christ, ne nous font pas échapper à cette question de foi : finalement, croyons-nous que Jésus est vraiment le Fils de Dieu ? Croyons-nous qu’il est vraiment ressuscité ?

En cette Année de la foi où le Pape Benoît XVI nous a invités pour marquer le cinquantième anniversaire du Concile Vatican II à vivre de façon plus intense notre démarche de croyants, cette question est au cœur de notre réflexion et de notre prière. Serons-nous au pied de la croix comme ceux qui raillent Jésus et qui le provoquent en lui disant : « Si tu es le Fils de Dieu descend de la croix » ; ou serons-nous comme le Centurion, qui lèvera les yeux vers le Christ et qui dira : « oui vraiment, celui-là était le Fils de Dieu » (Mt 27, 54) ? Mais comment fortifier notre foi, comment la nourrir, comment l’alimenter pour affronter les signes actuels de l’échec du Christ ? Car l’échec du Christ ne s’est pas terminé par sa résurrection, il se poursuit dans toutes les épreuves que son Église rencontre à travers les siècles et à travers l’espace. Comment faisons-nous face aux événements contraires ? Comment comprenons-nous que cette parole d’espérance et de salut que nous portons ne soit pas entendue, accueillie et reçue avec reconnaissance, mais au contraire semble parfois reçue comme une provocation suscitant sinon l’adversité, du moins l’indifférence et la raillerie ? Comment vivre dans la foi l’épreuve de l’annonce de l’Évangile ? De quel signe disposons-nous pour manifester que celui dont nous parlons n’est pas simplement un grand sage ou un grand prophète, mais qu’il est vraiment aujourd’hui quelqu’un de vivant pour nous ? Quel signe avons-nous donc sinon le signe eucharistique où selon sa promesse, le Christ se rend présent et nous offre son corps et son sang pour que nous puissions communier à sa vie ?

Oui, les chrétiens après la résurrection ne vivront plus jamais la transfiguration. Nous n’avons pas à attendre des signes extraordinaires par lesquels Dieu nous dévoilerait l’identité de Jésus. Il nous en a donné les signes et les moyens par les sacrements qu’il nous propose.

En consacrant ce matin cet autel, je consacre le lieu où le Christ aujourd’hui est offert. Je consacre le signe de sa présence au milieu de la communauté. Je consacre l’élément qui va nous permettre, par-delà nos questions, nos doutes, nos épreuves, nos souffrances et nos échecs, de dire « je crois que tu es le Fils de Dieu ». Nous savons bien que cet acte de foi ne s’impose pas par la puissance de ses arguments. Il s’impose par la puissance du témoignage que l’Esprit Saint rend à Dieu à travers la vie de tous les membres de son Église. Chacune et chacun d’entre nous a accueilli cette bonne nouvelle parce qu’elle lui a été transmise non seulement par le catéchisme ou par une prédication, mais surtout par le signe visible de la fécondité de cette nouvelle à travers la vie de celles et de ceux qui nous entourent. La foi c’est l’adhésion à un témoignage ; nous en avons bénéficié pour accueillir nous-mêmes l’annonce du Salut, nous en sommes responsables et porteurs pour ceux qui nous entourent et pour ceux qui nous suivent. Quand nous communions au corps du Christ nous recevons l’attestation irrécusable que Jésus ressuscité est présent à son Église, mais nous recevons en même temps la mission de manifester cette présence et cette vitalité du Christ répandues en nos cœurs par l’Esprit, à travers notre existence, nos relations, notre manière d’accueillir la parole de Dieu, de l’écouter, de la méditer, de la mettre en pratique et d’en vivre.

Ainsi, quand nous sommes réunis autour de l’autel pour célébrer l’eucharistie, nous rassemblons en nos cœurs l’action de grâce pour tout ce que nous avons reçu à travers notre existence, à travers celles et ceux qui nous entourent, à travers celles et ceux qui ont été pour nous les témoins de la foi, et nous recueillons de la part du Christ lui-même la mission de devenir à notre tour des témoins de la foi.

Frères et sœurs, chaque dimanche vous êtes appelés à vous retrouver autour de l’autel qui est le Christ lui-même, chaque dimanche vous êtes appelés à célébrer cette eucharistie où nous faisons mémoire de la miséricordieuse richesse de Dieu qui se répand sur le monde. Chaque dimanche vous êtes invités à renouveler l’accueil de la mission que Dieu confie à son Église : être pour les hommes des témoins de l’espérance. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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