Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du jour de Pâques – Dimanche de la Résurrection

Dimanche 31 mars 2013 - Notre-Dame de Paris

L’attitude des trois personnes Marie-Madeleine, Pierre et l’autre disciple face au tombeau vide éclaire nos propres réactions face aux signes de l’absence du Christ autour de nous. La foi au Christ ressuscité, c’est la foi en la certitude qu’il est présent à travers les incessants changements du monde. Le signe de la Résurrection, c’est l’Église vivante aujourd’hui.

 Ac 10, 34-43 ; Ps 117 ; 1 Cor 5, 6b-8 ; Jn 20, 1-9

Frères et Sœurs,

Il ne suffit pas de voir pour croire. En effet, dans ce passage de l’évangile de saint Jean que nous venons d’entendre, nous avons trois personnes qui ont vu quelque chose, et l’évangile nous dit qu’une seule a cru. La première qui a vu quelque chose, c’est Marie Madeleine, elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau, elle dit aux disciples : « on a enlevé le Seigneur et nous ne savons pas où on l’a mis » (Jn 20, 2). Elle a donc vu le tombeau vide, mais elle a trouvé une explication pour justifier la disparition du corps : on l’a enlevé. Parmi les deux disciples qui se précipitent vers le tombeau, le premier, Pierre, entre et il voit le linceul resté là et le linge qui avait recouvert la tête, mais l’évangile ne nous dit pas ce que cette vision a provoqué chez lui. Et c’est seulement l’autre disciple, celui qui avait accompagné Pierre, qui était arrivé le premier au tombeau mais qui avait laissé passer Pierre, c’est cet autre disciple dont l’évangile nous dit : « il vit, (donc il voit la même chose que Marie Madeleine et que Pierre), et il crut » (Jn 20, 8). Il crut quoi ? L’évangile nous le dit, « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. » (Jn 20, 9)

Voici donc trois personnes également attachées au Christ, également désireuses de vivre avec Lui, trois personnes qui l’ont également suivi tout au long de sa mission publique, qui ont entendu les annonces qu’il a faites de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection, qui ont vu comment la puissance de Dieu était à l’œuvre en Lui, qui ont été témoins de la victoire du Christ sur la mort au moment de la résurrection de Lazare, et, de ces trois personnes, une seule a cru qu’Il était ressuscité.

Comment pouvons-nous essayer, non pas de comprendre, mais d’éclairer notre propre cheminement de foi à partir de l’expérience de ces trois personnages ? Nous aussi, nous voyons bien le tombeau vide. Je veux dire que les signes de l’absence du Christ dans tant de cœurs et d’âmes humaines, l’absence de la référence au Christ dans tant de nos sociétés, l’absence de la visibilité des chrétiens dans beaucoup d’endroits de notre monde, tout cela peut être comparé au tombeau vide.

Nous avons été éduqués, enseignés, instruits, sur la présence du Christ. Notre culture et notre civilisation européenne gardent des traces multiples de cette présence du Christianisme depuis les magnifiques cathédrales dont nous pouvons admirer la splendeur aujourd’hui, -en particulier celle où nous nous trouvons, Notre-Dame de Paris, qui fête son 850e anniversaire-, jusqu’aux plus humbles chapelles qui parsèment la campagne française, aux calvaires que l’on trouve aux croisées des chemins, aux croix de mission qui ont été plantées au XIXe siècle, bref quantité de traces et de signes auxquels nous avons été habitués, et nous permettant de conclure à la présence du Christ.

Et voici que ces signes demeurent, au moins pour beaucoup d’entre eux, mais qu’ils ne correspondent plus à une reconnaissance universelle de la réalité du Christ. On peut en voir un signe tout à fait élémentaire quand on entend par exemple, hier ou aujourd’hui dans les informations ou les commentaires, l’annonce de la Pâques. On ne nous dit pas : c’est la fête de Pâques, on nous dit : les chrétiens célèbrent la fête de Pâques. Ce qui est vrai. Mais cela veut dire que cela concerne une partie de la population. Les chrétiens célèbrent la fête de Pâques, cela veut dire que la fête de Pâques n’est pas quelque chose immédiatement considéré comme concernant tout le monde. Cela concerne une portion. C’est en ce sens que je dis que nous découvrons la vision d’un monde où le Christ est progressivement marginalisé, extrait de la culture commune, et comme absent de la culture commune.

Et devant ce phénomène, on peut avoir des réactions très diverses. On peut être comme Marie Madeleine, disant : on nous a retiré le corps du Christ, qu’est-ce qu’on en a fait, on ne sait pas où on l’a mis. Beaucoup de chrétiens sont désorientés en s’apercevant que tout le monde n’a plus les mêmes repères qu’eux, on leur a enlevé leur christianisme et ils ne savent pas où on l’a mis. Ils cherchent vainement. On peut être dans l’attitude de Pierre, qui voit cela mais qui ne réagit pas, qui n’a pas d’expression pour expliquer ce qui s’est passé, il voit, il constate, peut-être qu’il espère dans le secret de son cœur, peut-être qu’il a renoncé, on ne sait pas. Et puis, on a le troisième disciple, celui que Jésus aimait, et celui-là donne une interprétation à cette absence du Christ. Il croit. Cela veut dire qu’il croit que, absent de corps, absent de toute visibilité, absent de matérialité, le Christ, comme c’était annoncé par les Écritures, est vivant quelque part, on ne sait pas où, mais il croit, c’est-à-dire qu’il sait que le Christ n’a pas disparu, il est ailleurs, autrement. Et si je continue l’analogie que j’évoquais tout à l’heure, comment pouvons-nous, exercer notre acte de foi devant cet effacement progressif des signes visibles du Christianisme ? Tirons-nous un trait et établissons-nous un bilan de faillite et de fermeture : c’est fini, on n’a plus rien ? Ou bien, éclairés par les Écritures et par l’Esprit-Saint que Dieu répand en nos cœurs, nous voyons, comme nous dit l’évangile : « les disciples en effet jusque-là n’avaient pas vu que, d’après l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. » (Jn 20, 9). Voyons-nous dans cet effacement culturel, dans cette disparition des références de la civilisation, un appel non pas à renoncer, non pas à imaginer la disparition du Christianisme, mais à reconnaître que le Christ vivant pour toujours, est présent aujourd’hui encore ? Peut-être sous d’autres signes, peut-être d’une autre façon, comme les disciples en feront l’expérience au cours des apparitions du Christ ressuscité.

Il n’est plus le Christ de la visibilité, il n’est plus le Christ de la matérialité, il n’est plus le Christ de la culture, il est le Christ de la foi, c’est-à-dire celui que nous ne voyons pas mais auquel nous croyons comme saint Pierre le dira dans son épître : « sans te voir nous croyons, sans te voir nous t’aimons et nous exultons de joie, sûrs de notre foi. » La joie de la Résurrection, ce n’est pas de croire que l’on a gagné une victoire, car le Christ a vaincu la mort. La joie de la Résurrection, c’est la joie de cette certitude que, invisible, imperceptible, intangible, le Christ est toujours vivant et présent à l’humanité. Quand Marie, dans le jardin, verra le Christ ressuscité, voudra l’embrasser, le saisir, le tenir, ne pas le laisser échapper, et il lui dira : lâche-moi !

La foi au Christ ressuscité, ce n’est pas la foi dans les signes de sa présence, c’est la foi en la certitude qu’il est présent à travers la mutation, la transformation, les aléas des significations humaines qui ne peuvent pas être perpétuelles et qui sont évolutives et qui changent sans cesse. Mais nous croyons que le Christ est ressuscité, c’est-à-dire que précisément, comme saint Paul nous y invite dans l’épître que nous avons entendue : nous célébrons la Pâques non pas avec de vieux ferments mais avec du pain non fermenté : la droiture et la vérité. Vous serez une pâte nouvelle (1 Cor 5, 7-8). Cela signifie que la visibilité du Christ dans le monde, c’est le corps glorieux inspiré par la présence de son Esprit vivant qui constitue par l’Église, la visibilité du Christ ressuscité en ce temps et dans l’histoire des hommes.

Croire que le Christ est vivant aujourd’hui, ce n’est pas croire à la pérennité des calvaires aux carrefours des chemins, ce n’est pas croire à la magnifique architecture des cathédrales, ce n’est pas croire à tous autres signes qui parsèment l’histoire du christianisme dans notre culture, c’est croire que aujourd’hui, alors que ces signes ont acquis d’autres significations ou ont perdu toute signification aux yeux de ceux qui ne croient pas, par-delà ces signes le Christ est vivant. La vie de la cathédrale, ce n’est pas la splendeur de l’architecture, des rosaces, c’est le corps vivant du Christ que vous constituez quand il vous réunit dans l’eucharistie. L’Église vivante aujourd’hui, c’est cela le signe de la Résurrection. Et si nous avons quelque chose à voir pour croire, c’est précisément de voir comment le Christ vivant aujourd’hui anime, suscite, soutient, développe, la présence, l’action, le témoignage de ceux qu’il a appelés à le suivre et qui sont entrés dans son Église par le baptême.

Aujourd’hui nous nous réjouissons parce que nous savons que, quelle que soit la pauvreté des signes, quelles que soient les fluctuations de leur signification, la présence du Christ vivant est une réalité par l’Esprit-Saint qui habite nos cœurs. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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