Homélie du cardinal André Vingt-Trois - 5e dimanche de Pâques – Année C

Dimanche 28 avril 2013 - Notre-Dame de Paris

Au cours du dernier repas, Jésus prépare ses disciples à vivre en son absence. Sa présence physique va laisser la place a un nouveau mode de présence à travers ses disciples fortifiés par l’envoi de l’Esprit Saint. Ces temps nouveaux seront caractérisés par une mise en œuvre de l’amour chez les disciples à la mesure de l’amour du Christ : accepter de se donner pour les autres.

 Ac 14, 21b-27 ; Ps 144, 8-13 ; Ap 21, 1-5a ; Jn 13, 31-33a.34-35

Frères et Sœurs,

Au cours de ce dernier repas, Jésus prépare ses disciples à la nouvelle période qui va s’inaugurer par sa mort, sa résurrection et son ascension auprès du Père. Mais cette nouvelle période est déjà enclenchée, « l’heure est venue » (Jn 12, 23) - pour reprendre l’expression de l’évangile de saint Jean – et au moment où Judas est sorti, les événements sont engagés de façon irrémédiable, tout n’est pas encore accompli, mais tout est déjà en route. Cette période sera une période radicalement nouvelle parce que le Christ ne sera plus physiquement présent avec eux.

Cela veut dire que ce qui est constitutif de l’alliance entre Dieu et son peuple, dans un premier temps la présence de Dieu à l’histoire des hommes symbolisée à Jérusalem par le temple du Seigneur, avec le Saint des saints qui avait abrité l’Arche d’alliance, puis de façon beaucoup plus réaliste l’incarnation du Fils unique de Dieu en la personne de Jésus de Nazareth, Dieu qui vient visiter son Peuple, Dieu physiquement présent, cette présence qui constitutive de l’alliance, va s’effacer. Que va-t-il advenir de cette alliance ? Quels signes et quelle réalité vont lui donner corps dans les années qui suivent ?

Le visionnaire de l’Apocalypse annonce un monde nouveau où il n’y aura plus de mort, où il n’y aura plus de larmes, plus de cris parce que Dieu aura fait toute chose nouvelle (Ap 21, 4). Ce monde nouveau commence sur le Golgotha au moment où Jésus fait l’offrande de sa vie, mais il ne sera accompli qu’au terme de l’histoire. Nous sommes dans ce monde nouveau mais tout n’a pas encore été renouvelé. Qu’est-ce que les disciples vont percevoir de vraiment nouveau après le départ du Christ ? Principalement deux choses : la première c’est que la présence de Jésus à l’humanité ne se réalise plus, comme par le passé, à travers son corps, ou plus exactement, sa présence s’incorpore dans le peuple de ses disciples. Ce sont eux, dorénavant, qui sont la demeure de Dieu parmi les hommes, et non plus le temple de Jérusalem, comme Jésus le disait à la Samaritaine : viendra un temps où l’on cherchera des adorateurs en esprit et en vérité. La demeure de Dieu n’est donc plus le temple de Jérusalem, ce ne sont plus la Galilée, le bord du lac de Tibériade, les villes traversées et les gens rencontrés par Jésus. La demeure de Dieu, c’est maintenant le peuple des disciples que Jésus a assemblés et auxquels il a donné son esprit pour en faire ses témoins parmi les hommes. Et la présence de ce peuple nouveau dans l’humanité, va se manifester à travers une nouveauté tout à fait exceptionnelle : non seulement par l’annonce de la Bonne nouvelle aux Juifs rassemblés à Jérusalem le jour de la Pentecôte, et aux Craignant-Dieu qui étaient venus participer au pèlerinage, comme conséquence de la diaspora provoquée par la première persécution, mais aussi par l’annonce à toutes les nations. Et c’est ainsi que les disciples vont découvrir progressivement comment les païens, complétement étrangers aux promesses de l’Alliance, qui ne sont pas de la postérité d’Abraham selon la chair, vont accueillir la Bonne nouvelle et, pour reprendre le terme du Livre des Actes des Apôtres, vont constater comment Dieu avait ouvert aux nations païennes la Porte de la foi. Vous vous rappelez que cette expression de la Porte de la foi était le titre de l’exhortation que le Pape Benoît XVI nous avait adressée pour promulguer une Année de la foi.

Dieu a ouvert aux nations païennes la Porte de la foi, cela veut dire que la présence de Dieu parmi les hommes ne se limite plus à un lieu, à un pays, à une culture, à une race, mais qu’elle se propage à travers toutes les cultures, tous les pays, toutes les langues, toutes les races. Cette nouveauté, si difficile à reconnaître pour un certain nombre, y compris parmi les disciples qui feront grief à Paul et à Pierre d’être allés rencontrer des païens dans leur maison et devant qui ils devront se justifier, va être le point de départ et le levier d’une extension extraordinaire du Christianisme à travers les siècles et à travers le monde. C’est le monde nouveau que Jésus inaugure en envoyant son Esprit sur ses disciples et en les constituant témoins de sa présence à l’histoire des hommes.

Mais ce qui est aussi nouveau, c’est la consigne que Jésus leur donne, comme nous l’avons entendue dans l’évangile de saint Jean : « je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34). Évidemment ce n’était pas la première fois que les Juifs entendaient cet appel à l’amour mutuel, pas plus que nous ne l’entendons pour la première fois. On a tendance à dire : qu’y a-t-il de nouveau là-dedans ? « Aimez-vous les uns les autres » cela va de soi ! Si Dieu ne nous appelait pas à l’amour, on se demande bien à quoi il pourrait nous appeler ? Alors, qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans ce commandement ? Ce n’est pas de nous aimer les uns les autres ! Jésus précise : « Aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34). C’est le « comme je vous ai aimés » qui est la nouveauté, c’est-à-dire à la manière dont Jésus a aimé ses disciples, et à travers eux l’humanité. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. Aimer à la manière du Christ cela veut dire accepter de se livrer tout entier par amour pour Dieu et par amour pour nos frères, et cela c’est un langage nouveau dans la sagesse universelle. C’est-à-dire qu’on ne place plus l’intérêt particulier, le désir particulier, comme critère de l’action, mais on place en premier, comme premier élément de jugement moral sur ce que nous vivons, ce qui est le bien des autres, c’est-à-dire non pas ce qui nous plaît, ou ce qui nous attire, ou ce qui nous séduit, mais ce qui peut être bon pour tous, pour chacun et chacune de ceux qui nous entourent. Et les aimer comme Jésus les a aimés, c’est accepter d’être témoins de ce don qu’il a fait de sa vie, en donnant notre propre vie.

Ainsi frères et sœurs nous sommes fondés à nous réjouir de cette création nouvelle que Dieu a enclenchée par la résurrection du Christ. Celui qui siégeait sur le trône déclara : « voici que je fais toutes choses nouvelles », nous sommes heureux de rendre grâce pour cette nouvelle création et en entrant dans cette action de grâce nous mesurons aussi à quel renouveau nous sommes appelés dans notre propre vie, à vivre nous aussi d’une manière nouvelle, c’est-à-dire en acceptant de nous donner pour les autres.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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