Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe en la cathédrale Notre-Dame – 12e Dimanche du Temps Ordinaire – Année C

Dimanche 23 juin 2013 - Notre-Dame de Paris

La profession de foi de Pierre est l’occasion pour Jésus de se révéler comme le Messie, mais non comme une puissance de ce monde, mais comme une puissance d’amour qui se manifeste en acceptant de subir la puissance des hommes. Pour suivre le Christ, il faut accepter de le suivre sur ce chemin d’humilité.

 Za 12, 10-11 a et 13, 1 ; Ps 62, 2-6.8-9 ; Ga 3, 26-29 ; Lc 9, 18-24

Frères et Sœurs,

Ce passage de l’évangile de saint Luc nous est signalé par l’évangéliste lui-même comme un moment décisif. Il commence en nous disant que « Jésus priait à l’écart » (Lc 9, 18), or nous savons que ces moments où Jésus se retire à l’écart pour prier sont, chez saint Luc, des moments particulièrement importants dans le déroulement de sa mission. Jésus est à l’écart avec ses disciples et il va leur apprendre quelque chose de décisif.

Au cours des dimanches passés, nous avons été mis en présence de signes comme la Résurrection du fils de la veuve de Naïm, comme le pardon de la pécheresse chez Simon le pharisien, et juste avant le passage que nous venons d’entendre, Jésus a multiplié les pains pour la foule. Ces signes de la Résurrection des morts, du pardon des péchés, de la multiplication des pains, étaient des signes très significatifs pour les témoins qui suivaient le Christ. Et l’on comprend que ces signes aient suscité l’étonnement, l’émerveillement, l’enthousiasme, et que la notoriété de Jésus se soit répandue à travers la Galilée à mesure que ces signes étaient posés. On parlait beaucoup de lui. Et l’évangile nous dit, à l’instant même où Jésus se retire pour prier, que Hérode lui-même s’inquiétait de savoir qui il pouvait bien être. Il s’inquiétait de voir cette popularité grandir et risquer de faire de l’ombre à son pouvoir.

Aussi, quand saint Luc nous rapporte la question de Jésus à ses disciples, nous devons l’entendre dans ce contexte d’une notoriété, d’une popularité, d’un attrait que Jésus exerce sur les foules. Autour de vous, que dit-on de moi ? Et les réponses qu’on lui faites correspondent tout à fait aux signes qui nous ont été rapportés dans l’évangile. Pour les uns, il est Jean-Baptiste, pour d’autres il est Elie, pour d’autres encore un grand prophète. C’est qu’en effet la Résurrection du fils de la veuve de Naïm rappelle la résurrection opérée par Elie, le pardon des péchés est un signe prophétique de Dieu, la multiplication des pains rappelle la manne que Dieu donnait à son peuple au désert. Ainsi, à travers tous ces événements, les spectateurs comprennent qu’ils ont affaire à un prophète. Et ils le disent. Mais la question suivante va changer le registre : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Lc 9,20). La manière dont Pierre répond à cette question en l’appelant le Messie de Dieu, celui à qui Dieu a donné l’onction, le Christ, celui qui a été marqué par l’onction de l’Esprit, nous entraîne dans une autre perspective que celle d’un simple prophète. Le Messie n’est pas simplement un prophète, il est celui que Dieu a choisi pour sauver son peuple et pour lui apporter la délivrance. Aussi, cette profession de foi de Pierre, même si elle s’inscrit dans la continuité des déclarations des gens qu’il a entendus autour de lui désigner Jésus comme un prophète, dit plus : il ne dit pas seulement que Jésus est un prophète, et les signes qu’il a vus lui aussi et parmi tant d’autres, révèlent que Jésus est venu pour le salut du peuple d’Israël. Il est celui que Dieu a choisi pour sauver son peuple. Et voilà le tournant décisif du récit évangélique, car cette figure du Messie qui vient pour sauver son peuple entraîne, dans l’imagination de tous, l’idée d’un Messie triomphant, d’un Messie tout puissant qui viendra bousculer le pouvoir d’Hérode, qui viendra surtout délivrer Israël de l’occupation romaine, bref, qui rendra à Jérusalem sa place de cité de Dieu. Devant cet imaginaire du Messie triomphant, Jésus présente la figure du Fils de l’homme, qui est le Messie, il ne le nie pas, mais ce Fils de l’homme sera arrêté, condamné, mis à mort, avant de ressusciter. Cela veut dire que le salut qu’il vient opérer parmi les hommes n’est pas celui auquel tout le monde pense. Ce n’est pas un salut de puissance, ce n’est pas un salut qui écarte les difficultés, c’est un salut qui s’accomplit dans le don de sa vie, dans l’offrande qu’il fait de lui-même dans la communion d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit-Saint.

C’est pourquoi, alors qu’il vient d’envoyer ses apôtres en mission quelques jours auparavant, Jésus met devant leurs yeux non pas la figure d’une mission triomphante, qui s’imposerait à tous ceux qui les entourent, qui leur donnerait la puissance de faire taire les contradictions, de supprimer ce qui peut être nuisible à l’homme, mais il leur montre la figure d’un Messie qui accomplit sa mission en donnant sa vie pour les autres. Le Messie selon le Christ n’est pas une puissance de ce monde, c’est une puissance de l’amour qui se manifeste en acceptant de subir la puissance des hommes. Celui qui veut marcher à sa suite, qui veut devenir son disciple et qui veut participer à sa mission doit accepter de prendre chaque jour sa croix pour le suivre, et c’est bien parce qu’il sait que ni ses disciples, ni ceux qui les entourent, ne sont prêts à comprendre ce que signifie ce retournement de perspective que Jésus leur demande de ne rien en dire avant la Résurrection, car c’est seulement par la Résurrection qu’il manifestera la puissance de son sacrifice.

Frères et sœurs, à mesure que nous avançons dans cette méditation de l’évangile de saint Luc, nous sommes invités à reconnaître la figure du Messie humilié, du Messie exécuté, pour comprendre le sens du don qu’il fait de sa vie quand Dieu le ressuscite d’entre les morts. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies