Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors des ordinations 2013

Cathédrale Notre-Dame de Paris – samedi 29 juin 2013

 Voir l’album-photos des Ordinations 2013.
 Ac 12, 1-11 ; Ps 33 ; 2 Tim 4, 6-8.17-18 ; Mt 16, 13-28

Frères et Sœurs,

C’est une grande joie pour notre Église de célébrer aujourd’hui l’ordination de six nouveaux prêtres pour le diocèse de Paris, en même temps que nous rendons grâce pour le jubilé des prêtres ordonnés depuis dix ans, vingt-cinq ans, cinquante ans, soixante ans, soixante-cinq ans et soixante-dix ans. C’est encore une plus grande joie de célébrer cette ordination au cœur de l’année de la Foi et au cours de cette année jubilaire des 850 ans de notre cathédrale. Ce jubilé a permis à beaucoup de nos paroisses et de nos communautés de venir ici en pèlerinage pour renouveler leur profession de foi catholique et aujourd’hui encore vous êtes très nombreux à vous être associés à cette célébration. Nous mesurons mieux comment notre mission et notre responsabilité s’inscrivent aujourd’hui dans une histoire de plus de dix-sept siècles, depuis que saint Denis, le fondateur de notre Église, a apporté la première annonce de l’Évangile sur les bords de la Seine. Nous sommes les héritiers de cette longue chaîne de témoins qui ont permis que la Bonne Nouvelle parvienne jusqu’à nous. Nous sommes les héritiers d’un patrimoine dont les monuments artistiques ne sont que la trace visible. Mais cette trace visible nous indique quel est aujourd’hui le chemin où le Christ nous appelle pour transmettre à notre tour ce que nous avons reçu et obéir à l’ordre qu’il a donné à ses disciples : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt. 28, 20). Toutes les nations, ce sont toutes les nations répandues sur la terre et, déjà, toutes les nations représentées dans notre ville. Chaque jour, les circonstances de la vie nous mettent en relation avec des hommes et des femmes de toutes cultures, races, langues et croyances auxquels nous sommes redevables du trésor que nous avons reçu.

Pierre-Alain, Augustin, Pierre, Camille, Philippe et Cyrille,
Chers amis,
Votre ordination d’aujourd’hui vous intègre de façon particulière à ce long chemin de la mission de l’Église dans le diocèse de Paris. À plusieurs reprises au cours de votre vie, vous avez entendu un appel personnel du Christ pour participer à la mission apostolique. Chacun de vous selon les particularités de son histoire a cherché comment répondre à cet appel. Vous avez vécu cette recherche à travers les différentes étapes de chacune de vos existences. Je voudrais maintenant associer toute notre Église à votre action de grâce pour ces années de croissance dans votre humanité et votre liberté et exprimer notre reconnaissance à vos familles et à toutes celles et à tous ceux qui ont eu leur part dans cet itinéraire. Je pense évidemment à ceux qui vous ont permis de progresser dans la foi : parents, famille, amis proches, prêtres, éducateurs, etc. Mais je pense aussi à celles et à ceux qui ont été vos compagnons d’études ou de travail et qui, même sans partager notre foi, et souvent sans le savoir, vous ont aidé à construire votre réponse particulière pour le service des hommes de ce temps.

Tous les baptisés, confirmés dans l’Esprit Saint, sont appelés solidairement à vivre la mission de l’Église et nous nous réjouissons de voir comment les catholiques de Paris répondent à cet appel. Depuis neuf ans, « Paris-Toussaint 2004 », nous nous efforçons de mettre en œuvre tous les moyens dont nous disposons pour progresser dans l’annonce de l’Évangile. La prochaine année scolaire, 2013-2014, sera une année de l’appel pour vivre une mission diocésaine de l’avent 2014. Ce dynamisme de notre Église dépend de la vitalité de chacune de nos communautés, il dépend de l’implication de chaque chrétien dans la mission de l’Église. Comme à chaque moment de l’histoire de la mission, ceux qui sont directement associés au ministère apostolique ont aujourd’hui la charge d’être les garants et les animateurs de l’annonce de l’Évangile. Ils le font en vivant comme des serviteurs du peuple chrétien et en exerçant la mission pastorale à son service. À tous les jeunes présents aujourd’hui, j’adresse à nouveau l’appel du Christ pour le service de l’Évangile. L’Église a besoin de vous pour que chacune de ses communautés assume la mission que le Christ lui a confié d’annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations.

Aujourd’hui, comme au temps de Jésus, nous venons de l’entendre, chacun a son opinion sur lui et chaque opinion reflète à la fois des espoirs enfouis et des réticences méconnues ou cachées comme des nostalgies inavouées. Nous entendons aujourd’hui encore cette pluralité des regards et des attentes à l’égard du Christ. Mais la question posée par Jésus à ses disciples ne cherche pas une parole supplémentaire à son sujet. Dans sa formulation même elle est déjà une question missionnaire : « Et vous qui dites-vous que je suis ? ». La réponse ne juxtapose pas une nouvelle opinion particulière aux précédentes. Elle témoigne d’une parole qui dépasse son auteur et qui ne vient pas de la sagesse humaine : c’est du « Père qui est aux cieux » que vient la confession de la foi.

La Confession de Foi de Césarée est un passage charnière dans la constitution du collège apostolique et dans la mise en œuvre de sa mission. À travers le dialogue entre Jésus et Pierre se dessinent les arêtes de la préparation des apôtres : connaître quel est le chemin dans lequel Jésus est engagé par sa fonction messianique et apprendre à reconnaître le Messie dans la figure du Serviteur souffrant. L’objection de Pierre nous montre l’écart qui le sépare encore de l’accomplissement du sacrifice. C’est l’itinéraire de toute formation au ministère apostolique qui nous est ainsi manifesté.

C’est pourquoi votre longue formation n’a pas visé à faire de vous des spécialistes en controverse mais des témoins qui se nourrissent de la parole même qu’ils ont la charge d’annoncer. Vous n’êtes pas d’abord des experts en religion, mais des témoins appelés à rendre compte de l’espérance qui est en vous en gageant votre parole sur le don total de votre vie dans le sacrifice du Seigneur. Toutes les années de préparation que vous venez de vivre avant votre ordination n’étaient pas des années de formation professionnelle au sens habituel du terme. Elles étaient des années de formation spirituelle au cours desquelles vous vous êtes généreusement ouverts pour que le Seigneur lui-même façonne en vous la personnalité du pasteur.
Cette mission pastorale nous engage chaque jour dans la rencontre avec la raison humaine et les sagesses qu’elle produit, comme aussi avec les errements de notre société. Mais notre champ spécifique n’est pas la marge de l’irrationnel dans une société vouée à la raison scientifique ou à la satisfaction sans limite des désirs et des pulsions. La confrontation de la foi chrétienne et de la raison n’est pas un combat perdu d’avance. Elle suppose un véritable engagement des ressources de l’intelligence humaine au service de la compréhension de la parole de Dieu qui éclaire et nourrit notre vie. Si les hommes de notre temps sont en quête, ou au moins s’ils ont besoin, de repères existentiels ou de sagesse, nous n’avons pas à rougir de la sagesse du Christ que nous proposent les évangiles. Elle supporte aisément la comparaison avec les idéologies qui l’ont concurrencée au XXe siècle et qui ont produit un siècle de barbarie et d’horreur.
Mais l’histoire personnelle de Jésus et l’histoire de la mission de l’Église à travers les siècles nous montrent comment cette sagesse qui vient de Dieu lui-même peut être perçue comme une folie aux yeux du monde : la folie de la croix, la folie de l’amour. Que la personne du Christ et la mission de l’Église soient controversées, ce n’est pas une nouveauté de notre temps. C’est une donnée permanente de la rencontre de la Révélation divine avec les attentes humaines ou les utopies sur l’avenir. Cette controverse n’est pas un simple débat intellectuel. Elle est le reflet de la lutte de la liberté humaine avec la Vérité qui l’éclaire et la questionne. Elle ne doit ni nous surprendre ni nous effrayer. Elle est le régime normal du combat de l’homme pour accéder à la plénitude de sa vocation de fils de Dieu.

Notre ministère, fondé sur la consécration de notre vie par le don de l’Esprit, fait de nous des compagnons de tout homme dans ce combat où nous devons nous-mêmes convertir sans cesse notre regard et notre engagement pour ne pas devenir un obstacle à l’accomplissement du Salut. Il ne nous constitue pas en juges, moins encore en accusateurs. Il fait de nous des témoins qui attestent que la vie des hommes n’est pas dominée par la fatalité de forces obscures. Nous annonçons que Dieu ouvre, même aux païens, « la porte de la foi. »

La joie de notre ministère ne vient pas des avantages sociaux ni du confort de notre existence ni de l’intérêt de nos activités ou de leur succès. Notre véritable joie, la plénitude de la joie que Jésus promet aux siens, une joie que nul ne peut nous ravir, c’est l’espérance dont nous sommes porteurs au bénéfice de tous les hommes et de toutes les femmes de notre temps. Vous êtes consacrés comme témoins de cette espérance comme le furent jadis les prêtres qui vont vous imposer les mains. Parmi eux, les jubilaires dont nous partageons la joie et l’action de grâce attestent la fidélité de Dieu à ceux qu’Il choisit et qu’Il envoie. Les temps peuvent être difficiles ; l’Évangile peut être mal accueilli ou mal compris ou mal aimé ; les chemins que Dieu propose à l’humanité pour parvenir au bonheur peuvent être méconnus. Mais nous ne perdons pas courage. Nous ne défaillons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance. Notre constance et notre sérénité ne viennent pas de nos forces. Elles viennent de la fidélité de Dieu. Ne doutez jamais de cette fidélité de Dieu !

La joie de notre ministère ne vient pas d’un supposé pouvoir qui nous permettrait d’imposer nos idées et nos visions aux autres, et notamment aux fidèles de nos communautés. Notre véritable joie, c’est de vivre dans la communion avec celles et ceux que Dieu a appelés à devenir les disciples du Christ. Ils sont nos « frères bien-aimés, notre joie et notre couronne » (Phil. 4, 1), comme saint Paul le disait aux Philippiens. C’est pour eux que Dieu nous a demandé de renoncer à fonder une famille, c’est avec eux que nous sommes appelés à reconnaître la volonté du Seigneur, c’est en eux que notre ministère trouve sa pleine signification. Dans toutes les communautés où je vous envoie exercer votre ministère, vous arriverez non pas avec un regard de maître et de juge mais avec un regard d’amour et d’action de grâce.
Ne doutez pas de la mission de notre Église. C’est elle qui définit votre propre mission et qui vous porte maternellement dans sa prière comme nous allons le faire à l’instant en invoquant les saints qui nous entourent invisiblement. Elle vous porte quotidiennement par la prière et l’offrande secrètes de tant de vie cachées dans les cloîtres ou dans les monastères invisibles de notre mégapole. Elle vous porte par la communion vécue dans nos communautés eucharistiques, par la prière communautaire faite avec vos frères dans le ministère ou dans la communion avec eux. Elle vous porte dans cette magnifique assemblée. Elle vous porte dans la supplication quotidienne de votre archevêque. Comme le psaume nous le dit des anges : ils te porteront pour que ton pied ne heurte les pierres !
« La joie du Seigneur est votre rempart ! » (Néhémie 8, 10)

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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