Intervention du Cardinal Vingt-Trois lors de la rencontre des prêtres parisiens

Collège Stanislas – 1er mai 2012

Introduction

Permettez-moi tout d’abord de vous dire ma joie de vous voir aussi nombreux, réunis pour ce temps fraternel. En ouvrant cette journée, je voudrais attirer votre attention sur la diversité de notre assemblée, composée de prêtres de Paris ou de prêtres exerçant un ministère à Paris. Cette diversité est celle de nos âges, puisque nous avons parmi nous des représentants de la Maison Marie-Thérèse et des prêtres retraités vivant en paroisse. Il y aussi une grande variété des ministères : un certain nombre d’entre-nous exercent des ministères spécialisés, autres que celui des paroisses. Ce peut être une bonne occasion pour les prêtres qui sont en paroisse de mieux comprendre ce que c’est que d’être aumônier d’hôpital ou autre, et réciproquement. Enfin, il y a une certaine variété géographique de notre assemblée, puisque je vois parmi vous un certain nombre de nos confrères en ministère dans les diocèses voisins de Nanterre, Créteil, Saint-Denis, Meaux, Pontoise, et d’autres lieux encore.

Je voudrais introduire cette journée par quelques réflexions sur la vie de notre Église et sur notre avenir.

1. Comment vivons-nous et comment allons-nous vivre les années qui viennent ?

Pour aborder les années qui viennent avec la lucidité la plus grande possible, nous devons essayer de prendre en compte l’évolution dans laquelle notre Église est entraînée par les changements de notre société et par la transformation de la figure de nos communautés chrétiennes. Il y a vingt-cinq ou trente ans, on n’aurait probablement pas parié grand-chose sur une nouvelle organisation de l’Église et sur ses chances de développement. On aurait plutôt misé sur l’organisation pacifique de la récession et l’orientation progressive vers l’extinction discrète d’un groupe de survivants !

Ce n’est pas ce qui s’est passé, en particulier à l’échelle mondiale, qui nous est beaucoup plus accessible qu’elle ne l’était il y a trente ans. Grâce aux moyens de communication, et ce que nous voyons en particulier à l’occasion des voyages du Pape à travers le monde, nous pouvons constater que la puissance de l’Évangile n’est pas épuisée, qu’il continue de porter du fruit dans le monde entier et d’attirer des hommes vers le Christ. Mais cela n’est pas vrai seulement en général. C’est vrai également de la France et de Paris. Dans la réduction numérique et statistique à laquelle nous assistons - et qui est incontestable - nous voyons se constituer une dynamique nouvelle qui repose sans doute sur moins de monde, mais sur des gens plus clairement déterminés.

Nous savons bien que dans la situation où nous sommes, les conformismes sociaux ne jouent plus avec la même force qu’il y a cinquante ou cent ans. Les gens qui s’approchent de l’Église, ou qui y font un cheminement, le font avec une détermination personnelle beaucoup plus forte qu’elle ne l’était jadis. Nos fidèles savent pourquoi ils sont là, mieux certainement qu’autrefois.

Cependant, une question demeure et demeurera perpétuellement puisqu’elle vient de la nature même de la mission de l’Eglise telle que le Christ l’a initiée à travers son ministère public : c’est l’écart entre la détermination personnelle de ceux qui viennent et ce que l’Église est chargée de réaliser. Ceux qui viennent vers nous veulent quelque chose, au point de se mettre en marche et d’engager une démarche dans l’Église. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des bonnes intentions, des attentes et un désir estimable que cela correspond automatiquement à ce que le Christ veut réaliser.

Il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement horrifiant. D’ailleurs, nous pouvons faire cette constatation pour nous-mêmes à partir de notre propre vie personnelle : nous devons gérer l’écart entre, d’une part, nos attentes, ce qui nous nous anime et nous mobilise, et, d’autre part, ce que le Christ veut effectivement faire avec nous. Cet écart offre un espace de progression. Il nous permet de prendre conscience du chemin dans lequel nous devons avancer, des conversions auxquelles nous sommes appelés, et de notre espérance de cheminer à la suite du Christ. Cet écart n’est donc pas quelque chose de peccamineux ni de désespérant, au contraire !
Et ce qui est vrai pour chacun d’entre-nous l’est aussi pour les membres de l’Église. Des gens attendent quelque chose du Christ et de l’Église. Cette attente ouvre et appelle un cheminement et une purification du désir, en vue d’obtenir un trésor qui ne correspond pas forcément à ce qu’ils attendaient. C’est le travail pastoral de l’Église d’accompagner cette prise de conscience et ce chemin. C’est ce que nous faisons couramment dans la préparation des sacrements, mais c’est ce que nous sommes appelés à faire de manière plus ordinaire et habituelle à travers toutes nos propositions.

Je vois des signes très clairs de cette mobilisation et de cette attente quand je visite les paroisses. Il y a aujourd’hui une proportion, plus importante qu’elle ne l’était naguère, de familles jeunes avec des enfants qui viennent participer à la vie de l’Église. Elles sont moins nombreuses qu’elles ne l’étaient autrefois, mais elles sont plus clairement déterminées et décidées dans leur participation à la vie de l’Église. Mais cette vitalité de notre Église ne peut se développer et porter son fruit que si la manière dont s’organise la vie des communautés est toujours plus conforme à la réalité même de l’Évangile.

Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à faire subsister des institutions ou des organisations qui correspondent à une situation ancienne ou autre, en négligeant les éléments les plus dynamiques qui nous sont offerts aujourd’hui. Nous sommes invités à un travail persévérant et à long terme. Je ne pense pas à des réformes bureaucratiques, dans lesquelles il faudrait décider brusquement de s’organiser comme ceci ou comme cela. Nous savons bien que les gens ne fonctionnent pas de cette manière ! Ce que nous devons faire évoluer, ce n’est pas la définition bureaucratique des situations, c’est la mentalité des participants, c’est leur manière de comprendre et de vivre la vie ecclésiale.

2. L’évolution des mentalités

Cette évolution des mentalités demande un travail patient et doit être accompagnée avec beaucoup de délicatesse, de finesse, et de persévérance. Mais en attendant, notre ministère et la charge qui nous est confiée de conduire l’Église, nous confrontent de manière permanente à une frustration, frustration personnelle pour nous-mêmes et frustration institutionnelle pour notre Église.

Cette frustration vient du décalage que nous n’arrivons pas à rattraper entre le dynamisme de l’Évangile et le sentiment de la lenteur, voire de l’inertie, qui caractérise l’Église comme tous les corps sociaux. Quand nous avons une certaine idée de ce qui pourrait être fait, quand nous identifions un peu les projets et les initiatives à réaliser, nous constatons notre difficulté à surmonter cette inertie et à entraîner la générosité et le dynamisme des chrétiens. Mais il ne sert de rien de les accuser et de les culpabiliser. Il faut petit à petit que nous les aidions à bouger, pas à pas, insensiblement mais réellement. C’est ce travail à long terme que nous avons essayé de mettre en œuvre dans le diocèse à travers les Assises pour la mission puis le programme Paroisses en mission qui s’achève cette année. Nous avons pris trois années pour essayer de toucher les chrétiens qui participent à l’assemblée eucharistique, pour qu’ils prennent conscience que la dynamique de l’eucharistie à laquelle ils communient les entraîne vers des changements de leur manière de vivre, vers des initiatives d’action à l’égard des autres, et vers une meilleure communication entre les membres de la communauté chrétienne. C’est ce que nous avons essayé de mettre en œuvre à travers les assemblées paroissiales, à travers les modules de formation et à travers les projets mis en route ici ou là dans les paroisses.

Pour évaluer ce travail, on peut toujours essayer de faire un catalogue des réalisations. Mais ces dernières sont finalement secondaires par rapport au travail de fond qui est la mise en mouvement des chrétiens, la prise en compte de leur dynamisme, la stimulation de leur générosité et l’animation, peut être plus active qu’elle ne l’était, de leur communauté chrétienne. Dans ce domaine, ces trois années ont aidé à progresser dans un certain nombre de paroisses. Elles avaient aussi pour but de stimuler la pratique habituelle des conseils pastoraux, peut-être de la faire évoluer, en tout cas de l’encourager. Car si nous voulons adapter peu à peu la pratique de nos communautés chrétiennes à la situation réelle, il faut que nous (c’est-à-dire les fidèles et les prêtres) apprenions progressivement à mettre mieux en œuvre une collaboration qui est acquise dans les esprits ou dans les termes, mais qui passe parfois difficilement du stade de l’idée à celui de la mise en œuvre pratique.

Nous savons depuis longtemps que dans l’Église, les laïcs ne sont pas simplement les auxiliaires des prêtres, et que même s’il est utile qu’il y ait des laïcs qui soient des aides pour les prêtres, leur mission dans l’Église n’est pas simplement d’être les serviteurs des prêtres. De cela, nous sommes convaincus. Le Concile l’a reformulé de façon concise, le magistère l’a développé à travers le Synode des évêques et l’exhortation apostolique Christi fideles laici. Tout le monde en est bien conscient, mais comment cela se vit-il ?

Comment, dans la pratique des conseils pastoraux, une responsabilité peut-elle s’exercer réellement, même si ce n’est pas la responsabilité ultime et dernière confiée aux pasteurs ? Et comment pouvons-nous évoluer progressivement pour que les conseils pastoraux ne soient pas simplement une chambre d’échos et de réactions aux initiatives du clergé, mais plutôt une instance où s’expriment des propositions originales de la part des fidèles, par rapport auxquelles le prêtre exerce un discernement, peut apporter son encouragement, ou au contraire exprimer des réserves et ne pas pousser davantage ? Les décisions viennent-elles simplement de ce que le curé s’entend bien avec untel ou untel, ou de ce que miraculeusement, à la suite d’un déjeuner bien organisé, un laïc du conseil pastoral est capable de proposer ce que le curé avait décidé de faire de toute façon !? Ce sont des opérations délicates dans lesquelles il faut que nous progressions et qui impliquent des changements et des évolutions pour tout le monde.

Cette période de trois années, qui a été un peu une période de mobilisation des communautés chrétiennes, doit donc déboucher sur une évolution des pratiques dans les conseils pastoraux et dans la manière dont les prêtres exercent leur ministère. Plus les laïcs pourront exercer leur responsabilité, et mieux le prêtre pourra identifier la spécificité de sa mission dans la communauté chrétienne, qui n’est pas d’être le seul et unique leader de l’action commune, mais d’être celui qui exerce un discernement pastoral par rapport à des projets dont il n’a pas forcément l’initiative. Cette évolution demande un changement de perspective pour beaucoup d’entre nous, en tout cas une évolution des pratiques.

3. Les années à venir

Nous travaillons à tout cela avec le Conseil Presbytéral. Nous y travaillerons l’année prochaine à travers une visite pastorale d’ensemble des conseils pastoraux, centrée exclusivement sur le discernement de leur fonctionnement. Nous préparons ces visites depuis un certain temps déjà, et nous allons les mettre en place progressivement d’ici l’été pour qu’elles se déroulent au cours de la prochaine année scolaire. Ce sera d’une certaine façon un temps de pause pour regarder ce qui a bougé, en espérant que quelque chose a bougé ! Il faudrait prendre le temps d’identifier ces petits changements, de les soumettre à un discernement, d’en valoriser certains, et en tout cas d’aider et de développer une meilleure collaboration entre les prêtres et les laïcs dans les conseils pastoraux.

Nous le ferons durant l’année 2012-2013. Cette année a été placée par le pape sous le signe d’une année de la foi. Il me semble que l’intention du Pape - à travers ce qu’il a dit dans son motu proprio Porta fidei - est que nous puissions célébrer le cinquantenaire de l’ouverture du Concile Vatican II et le vingtième anniversaire de la promulgation du Catéchisme de l’Église Catholique, mais pas simplement comme des commémorations historiques pour lesquelles il suffirait de faire une séance académique bien organisée et plus ou moins médiatisée pour que tout le monde soit content, et que l’on dise on a fêté les cinquante ans et les vingt ans ! L’objectif du pape me semble être que cette commémoration soit investie dans un acte présent qui est précisément la rénovation de l’acte de foi de l’Église dans son ensemble, et de chacun des membres de l’Église à l’intérieur de la communauté dans son particulier. Cette année de la foi sera un temps de récollection, de recueillement pour l’Église, et cela tombe très bien dans le déroulement de notre programme missionnaire. Ce sera un temps de réflexion, de discernement, mais aussi un temps d’engagement sur les fondamentaux du baptême et de la foi catholique.

Ce temps d’engagement commencera pour nous par un rassemblement diocésain pour le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II et l’ouverture de l’année de la foi le dimanche 30 septembre 2012 après-midi. Il se poursuivra tout au long de l’année dans les différentes paroisses, en particulier dans les célébrations dominicales, avec une attention particulière pour le temps du Carême et le temps de la Pentecôte où nous proposerons quelques suggestions de pratiques exceptionnelles. Car quand on veut manifester de façon particulière l’importance d’un événement, on ne peut pas se contenter de dire : attention c’est le moment ! Il faut faire quelque chose de plus.

C’est pourquoi nous proposerons des éléments pour la mise en œuvre de cette profession de foi dans le cheminement normal du carême, en vue de préparer la rénovation des promesses baptismales dans la Vigile pascale. Chaque dimanche une étape permettra de mettre en valeur la profession de foi dominicale d’une façon un peu particulière et plus nourrissante et plus spectaculaire qu’elle ne l’est habituellement. Nous savons en effet qu’il est fréquent que la profession de foi communautaire soit un peu engloutie, soit dans l’habitude de la routine, soit dans le recherche fébrile des billets que l’on va mettre à la quête à l’instant qui suit ! On va essayer d’échapper à ce travers en donnant quelques orientations et quelques pistes pour une profession de foi plus consciente, plus éclairée et, on l’espère, plus engageante pour les participants. Ce sera l’axe de cette année 2012-2013.

Comme cette année 2012-2013 sera aussi l’année du huit cent cinquantième anniversaire de la cathédrale, on pourra imaginer que certaines paroisses ou groupes de chrétiens, à l’occasion de cette année de la foi, veuille faire une démarche particulière de pèlerinage pour une profession de foi à la cathédrale.

On prépare activement un petit livret pour les neuf mois de l’année scolaire qui permettra, chaque mois, pour des groupes en tout genre, de faire une rencontre sur des thèmes de l’année de la foi à partir de textes de l’Écriture, d’extraits de Porta Fidei, de textes du Concile et du Catéchisme, avec un plan de discussion possible ou des questions pour réfléchir sur cette année de la foi. Ce livret, dès qu’il sera prêt, sera largement distribué et sera le support d’émissions à la radio et à la télévision pour permettre de démultiplier ce travail.

Au terme de cette année 2012-2013, revigorés par la prise de conscience que l’on aura faite de la transformation des pratiques des conseils pastoraux, et encouragés à développer cette transformation, nous lancerons pour l’année 2013-2014 une année de l’appel. Dans la suite du Christ, il faut qu’il y ait un appel. Il se peut qu’il y ait des gens qui se sentent appelés intérieurement et qui se présentent pour quelque chose. Mais cette initiative spontanée et naturelle ne suffit pas à constituer un appel ecclésial. Il faut qu’il y ait un appel explicite, et la difficulté que nous rencontrons tient peut-être plus à notre timidité pour lancer cet appel ou au respect humain dans nos communautés chrétiennes. En tout cas, celles-ci appellent peu, et ce dans tous les registres.

Peut-être est-ce tout simplement parce que nous sommes trop riches ! Le principe de base pour appeler au secours, c’est qu’il faut avoir besoin de quelque chose. Si on n’a besoin de rien, on n’a pas besoin d’appeler. Et les gens qui ont pris en main les activités trouvent parfois un peu inutile voire outrageant de chercher des gens qui les remplaceraient. Il faut donc se poser la question : pourquoi appeler ? Et ensuite, après avoir su pourquoi on appelle, qui appeler ?
Des gens responsables dans l’Église ou dans un conseil pastoral, sont-ils capables de passer en revue ceux et celles qu’ils connaissent, et d’identifier dix ou quinze personnes à qui on peut demander quelque chose ? On ne va pas demander la même chose à tout le monde et leur proposer d’abandonner leur travail et de disperser leur famille pour pouvoir s’occuper de l’Église. Mais on peut leur demander quelque chose, à condition de franchir le seuil de la résistance ou tout ce qui paralyse cet appel.

Une année de l’appel permet de se demander pourquoi appelle-t-on ? Qu’est-ce que l’on pourrait faire de neuf ou de plus, de mieux, si on avait des acteurs ? Va-t-on chercher ces acteurs ? Et quels acteurs va-t-on appeler ?

On peut dire la même chose de la vie consacrée. Qui se soucie aujourd’hui, dans les communautés chrétiennes, de l’appel à la vie consacrée ? Qui se pose la question ? Il ne faut pas se faire d’illusion, si les efforts de développement des pays émergeants continuent, on ne trouvera plus de jeunes Indiennes pour venir tenir les maisons des Petites Sœurs des Pauvres. Pas plus qu’on ne trouve aujourd’hui des jeunes Irlandaises comme on en trouvait il y a vingt ou trente ans. C’est bien beau de se dire qu’il y aura toujours des gens qui viendront d’ailleurs, mais on pourrait peut-être se demander s’il n’y a pas des gens qui pourraient venir d’ici ! Ce serait une bonne question. Et même, on pourrait se demander s’il n’y a pas des gens d’ici qui pourraient aller ailleurs.

Cette question-là, si on ne la pose pas concrètement, si des animateurs de groupes de jeunes et des prêtres qui accompagnent des jeunes ne se demandent jamais qui on pourrait appeler et ne posent jamais la question de l’appel, s’ils n’invitent jamais des jeunes à envisager l’éventualité qu’ils puissent être appelés à donner leur vie, ils ne vont pas trouver cela tous seuls.

Appel à la vie consacrée, appel au sacerdoce. Dans chacun de ces cas, que cela soit l’appel des laïcs, l’appel à la vie consacrée, l’appel au sacerdoce, il faut que nous avancions, que nous progressions toujours dans notre capacité à dire pour quoi faire. Nous n’appelons pas simplement pour permettre à des gens de mener à bien leurs idées, leurs projets, leurs désirs, mais aussi pour leur demander de renoncer à leurs projets, à leurs idées et à leurs désirs pour faire quelque chose que Dieu et l’Eglise leur demandent. Et si tout va bien, ce qui ne saurait manquer d’arriver, cet appel pourrait trouver une application dans une mission paroissiale qui se tiendrait à l’Avent 2014 pour inviter les gens à célébrer Noël, quartier par quartier. Et pour ce faire, il faudra préparer des gens, les appeler, les former et les encourager.
De ce point de vue, notre petite expérience d’ « Hosanna dans la Ville » du week-end des Rameaux a été un bon test. Cependant, pour cette fois-ci, on a appelé des gens qui étaient déjà préparés, ou en tout cas bien disposés pour le faire. On n’a pas eu à leur faire faire tout le chemin. Mais ce qui est important, c’est qu’ils l’ont fait, et qu’à travers ce qu’ils ont fait, ils ont montré que c’était possible. Ce qui était possible sur le parvis de Notre-Dame avec des gens qui étaient déjà préparés par des expériences antérieures et leur appartenance à des groupes et à des mouvements, il est possible de le faire avec d’autres gens que l’on préparera, que l’on formera, que l’on motivera. C’est pour cette raison qu’il faut du délai.

Vous voyez que si on se reporte vingt ans en arrière, en 1992, et que l’on regarde comment le diocèse de Paris a vécu une marche synodale, puis un cheminement vers Paris Toussaint 2004, puis Paris Toussaint 2004, et ensuite comment, rebondissant sur Paris Toussaint 2004, j’ai pu proposer les Assises pour la mission en 2006, nous verrons comment nous entrons dans un mouvement qui s’étend dans le temps et permet des effets cumulatifs. Ce n’est pas une succession de shows, d’événements isolés les uns des autres. C’est le développement d’un dynamisme ecclésial qui, grâce à Dieu, se développe toujours. Ce chemin qui se dessine pourrait être remonté jusqu’à la fin de la Deuxième guerre mondiale avec la Mission de Paris, et au-delà.

Ce qui est important n’est pas chaque événement en lui-même, mais la manière dont il s’inscrit dans une histoire, dont il assume un patrimoine et une histoire vécue, pour les investir dans l’avenir, dans la suite, dans l’action à construire. C’est dans ce mouvement missionnaire que nous engage notre ministère, et cela me conduit au quatrième point que je voulais aborder.

4. Le contenu du ministère sacerdotal

Je pense qu’une des raisons pour lesquelles nous peinons à recevoir des vocations, vient de la difficulté que nous avons à bien identifier, ou à mieux identifier le contenu du ministère sacerdotal. Je voudrais en souligner trois aspects, trois faces, trois dimensions qui se complètent et se rejoignent.

La première, c’est le don : le don de Dieu et le don de notre vie. Dieu donne ses disciples au Christ. Les évangiles nous montre que Jésus considère que les siens, ses disciples, ceux qu’il a appelé pour être avec lui, lui ont été donnés par Dieu. Dans l’évangile selon saint Luc, Jésus passe la nuit en prière avant d’appeler nommément ses apôtres, un par un. Dans l’évangile de saint Jean, c’est encore plus clair. Jésus dit dans sa prière : « ceux que tu m’as donnés » (Jn 17, 6). Dieu donne au Christ ses disciples. Dieu donne aujourd’hui à l’Église les prêtres dont elle a besoin.

Ce don de Dieu est incommensurable, irrémissible. La grâce de Dieu est sans limite et sans réserve. Les limites et les réserves viennent de notre difficulté à accueillir la grâce de Dieu. Alors sommes-nous prêts ? Comment sommes-nous prêts à donner tout, à donner notre vie complètement et sans réserve ? Nous répondons à un don sans réserve, et la plénitude du don appelle une réponse la plus plénière possible, la moins calculée, la moins fantasmée, la plus radicale aussi. Le ministère du prêtre dans notre Église est lié étroitement à cet échange de dons, qui suscite en nous la capacité de nous donner totalement, et qui demande de nous une actualisation permanente de ce don total.

Évidemment, ce don est vécu de façon sacramentelle absolue dans l’ordination. Mais ce qui est ontologiquement accompli dans l’ordination se concrétise existentiellement dans les situations de chaque instant. On peut dire : « je veux », comme on l’a dit dans l’ordination, mais ensuite il faut continuer de vouloir, pas seulement dans la cérémonie, mais dans la vie de tous les jours ! Ce premier élément me parait plus décisif encore si nous souhaitons développer une collaboration active avec des laïcs. Ceux-ci n’ont pas été appelés à ce don total. Mais, pour pouvoir assumer l’ensemble des exigences de leur vie baptismale, ils doivent savoir et pouvoir s’appuyer sur quelqu’un qui a repris l’ensemble de ces exigences dans un don total de lui-même.

Le deuxième point concerne ce que l’on pourrait appeler notre valeur ajoutée dans la vie de l’Église. Il faut que nous progressions dans l’identification de cette valeur ajoutée. Je ne dis pas cela pour mépriser les tâches élémentaires de l’existence. Identifier notre valeur ajoutée spécifique dans la vie de l’Église ne doit pas nous conduire à monter sur un petit banc en disant que le reste n’est pas digne de nous. Il s’agit de mesurer dans quels actes nous sommes pleinement donnés pour la vie de la communauté. Notre valeur ajoutée est d’être celui qui tient la place du Christ dans la communauté, c’est-à-dire celui qui préside à la vie ecclésiale dans sa célébration liturgique, qui préside à la consécration des laïcs par la célébration des sacrements, qui annonce la Parole de Dieu, qui la commente, qui est un guide pour la prière, qui est un homme de Dieu au milieu du Peuple de Dieu.

Si nous ne sommes pas des hommes de prière, si nous ne sommes pas des hommes de la Parole de Dieu, si nous ne sommes pas des hommes de l’eucharistie, si nous ne sommes pas des hommes qui donnent la priorité à la célébration des sacrements sur toute autre activité, notre valeur ajoutée fait défaut à l’Église. On peut par ailleurs être un bon chanteur, un bon animateur de réunion, un type qui a plein d’idées. C’est très bien, mais ce n’est pas pour cela que nous sommes ordonnés. Tout cela, c’est le surcroit. Nous sommes d’abord ordonnés pour être le prêtre de la communauté. Cela peut prendre toutes les formes que vous voulez, mais si nous l’oublions et si nous n’avons pas cette attente au cœur, il est difficile d’organiser notre activité, et nous devenons une sorte d’exécutant tourbillonnant que l’on ne peut jamais saisir parce qu’il est toujours pris par autre chose.

Troisièmement, il faut que le prêtre soit dans la communauté un homme de la mission. Il a été en effet envoyé pour cela. Il est, dans le Christ, le témoin de cette ouverture universelle de l’Évangile. C’est pourquoi, malgré les difficultés qui en découlent et dont je mesure le poids pour chacun d’entre vous, je persévère dans l’intention de mettre des prêtres de Paris à la disposition d’autres diocèses ou de services généraux dans l’Église. C’est une dimension constitutive de notre vie ecclésiale. L’année prochaine, à la rentrée 2012, le diocèse de Nanterre va fonder une communauté de la FMPV, à Boulogne-sur-Seine, pour prendre en charge les quartiers créés dans les anciens territoires de la Régie Renault. Cette équipe sera composée de deux prêtres de Nanterre et d’un prêtre de Paris.

Le prêtre donc doit être le « caillou dans la chaussure » qui fait qu’on ne se contente pas de ce que l’on fait, que l’on ne se contente pas d’être saturé, que l’on ne se laisse pas consommer par une communauté, qui de toute façon consommera tous les prêtres qu’elle reçoit. Il ne faut pas que le prêtre se laisse complètement accaparer par des choses qui ne sont pas mauvaises, mais qui ne lui laissent plus aucune marge pour réfléchir, organiser et soutenir l’action missionnaire de sa communauté !

Ce n’est pas simplement une question de temps ou une question de disponibilité. C’est une question d’orientation d’esprit. Nous ne sommes pas envoyés simplement pour gérer la communauté qui existe, nous sommes envoyés pour transformer cette communauté en communauté missionnaire qui va annoncer l’Évangile au-delà de ses frontières visibles.

Je crois que si nous sommes un peu plus au clair sur ces trois points (la consécration totale, le prêtre homme de Dieu et homme de la mission), nous devrions pouvoir trouver des hommes qui s’intéressent au moins à une de ces trois dimensions. Ils découvriront certainement ensuite les deux autres !

Je n’appelle pas au sacerdoce en général, j’appelle à être prêtre à Paris. Quand j’appelle pour avoir des hommes de Dieu, ce n’est pas à Tamanrasset, c’est à Paris. Quand j’appelle des hommes complètement donnés, ce n’est pas pour vivre comme le curé d’Ars, c’est pour tout donner aujourd’hui, en 2012. Quand j’appelle pour la mission, j’appelle pour la mission à Paris et à partir de Paris.

5. Les temps que nous vivons

Ce dernier point concerne la manière dont notre Église se situe dans la société. Je ne vais pas vous redire ce que j’ai dit ces dernières semaines dans les journaux, mais je voudrais souligner un choix que j’ai fait. Et même si je suis prêt à comprendre que d’autres puissent faire d’autres choix, je voudrais vous expliquer pourquoi je l’ai fait.
J’ai choisi et j’essaye de ne pas placer l’Église dans une situation de lobbying social. L’Église n’a besoin de rien de la part des candidats aux élections, ni à la présidentielle, ni à la députation. Elle n’a pas besoin de faire le siège des candidats pour obtenir des faveurs, - qui pourraient être déçues d’ailleurs ! - mais qu’on peut toujours espérer. Je ne suis pas dans la situation de celui qui irait tirer les sonnettes pour demander la reconnaissance du catholicisme en France, comme si le catholicisme avait besoin d’être reconnu. Le catholicisme est et demeure un des éléments constitutifs de notre culture.

Ce choix s’enracine sur deux convictions. La première c’est que l’Église n’est pas faite pour défendre sa situation. Elle est faite pour annoncer la Bonne nouvelle pour la vie du monde. Je suis prêt - et nous l’avons fait au cours de cette année - à énoncer des exigences qui concernent l’existence des hommes, et qui ne sont pas des revendications pour l’Église. Quand nous avons donné les treize éléments de discernements pour les élections au mois d’octobre dernier (document « Elections, un vote pour quelle société ? » du Conseil Permanent de la Conférence des évêques de France du 3 octobre 2011), nous avons proposés des questions qui concernent la famille, le respect de la vie, l’accueil des étrangers, … sans que ces questions représentent un enjeu pour l’Église seule.

Quels que soient les résultats des élections et leurs conséquences législatives, j’espère que les catholiques continueront à se marier entre hommes et femmes pour avoir des enfants. Pour l’Église, je n’ai donc pas besoin que l’on reconnaisse le mariage hétérosexuel. Les chrétiens seront toujours disposés à le comprendre et à le vivre. Et c’est notre travail pastoral de développer leurs convictions dans ce domaine. Car si nous n’étions pas capables de motiver les membres de notre Église pour qu’ils vivent d’une certaine manière, il me semblerait inutile d’avoir recours à un parti politique pour le faire. C’est à nous d’y travailler.

Mais ce que je réclame, c’est un bien pour les autres, pour la société, pour le bien vivre de tous les hommes, pour leur bonheur. Et ce faisant, je ne suis pas dans la position d’une religion particulière qui chercherait à obtenir des faveurs du pouvoir. Je suis dans la position de quelqu’un qui croit que, par la lumière qu’il a reçue du Christ, il peut dire quelque chose d’utile pour ses contemporains. Ce n’est donc pas par rapport à moi qu’il faut que les candidats se situent, c’est par rapport à leurs électeurs. Qu’ils disent si vraiment ils pensent que ce qu’ils proposent est bon pour les hommes et les femmes de notre pays. Mais qu’ils expliquent pourquoi ils choisissent ceci ou cela et pourquoi c’est un mieux pour l’humanité, ou au contraire qu’ils fassent explicitement le choix inverse.

Si j’adopte cette attitude, qui ne consiste pas à formuler des requêtes pour l’Église mais des avertissements pour l’humanité, c’est parce que je m’appuie, - c’est ma deuxième conviction – sur la dynamique de la théologie catholique. Je crois que la révélation judéo-chrétienne portée par l’Église concerne l’humanité entière et pas simplement les adhérents d’un groupe qui serait comme une secte. Si nous sommes dans une perspective de lobby ou de secte, le seul moyen d’avoir accès à cette révélation serait l’adhésion à la secte. Mais je ne crois pas que l’Église soit une secte. Elle ne réserve pas ses trésors et ses lumières à ses adhérents. Elle est chargée de les annoncer à tous.

Évidemment, je ne repousse pas l’idée qu’un certain nombre de gens se convertissent et entrent dans l’Église, bien au contraire. Mais pour autant mon problème n’est pas de savoir ce qui va faire prospérer l’Église, mais ce qui va faire prospérer toute l’humanité. Et notre mission pour l’humanité, c’est d’apporter ce que nous avons reçu pour tous. Je ne suis pas dans une situation de concurrence, de conflit ou de réclamations catégorielles, mais dans une situation d’annonce universelle.

L’Évangile est fait pour tous les hommes. Si j’ai une requête concernant l’Église, c’est que la liberté républicaine et laïque lui donne, lui conserve et lui développe les moyens d’annoncer à tous ce qu’elle a reçu. Je ne demande pas qu’il y ait des CRS devant les églises, ni que la police protège les évangélisateurs. Je demande d’avoir la liberté d’annoncer l’Évangile à tout homme, par toutes sortes de moyens, dans le cadre de la légalité, et de l’ordre public, à condition bien-sûr qu’on ne définisse pas l’ordre public de telle façon qu’il devienne impossible d’annoncer l’Évangile. Car à ce moment-là, nous ne serions même plus dans la revendication catégorielle, mais dans une revendication fondamentale du droit de tout homme à pouvoir recevoir une information sur des sujets divers. Je ne vois pas de quel droit la République interdirait que le Christianisme soit connu, et priverait ses citoyens de cet accès à l’Évangile.

Il me semble donc convenable que dans cette période, l’Église adopte cette attitude d’ouverture universelle. En faisant nôtre cette conviction, nous ferons avancer l’Évangile puisque nous serons capables par notre travail, notre réflexion, notre engagement concret dans la vie de la société, notre disponibilité et notre générosité, de rejoindre le désir qui habite le cœur des hommes, même s’ils n’en sont pas conscients. Cette attente est la trace du Créateur au cœur de la Créature. C’est ce que les Pères apostoliques avaient reconnu comme les semences du Verbe chez les païens. Nous aussi, nous pouvons reconnaitre les semences du Verbe dans notre société. Nous devons apprendre à faire accéder ces semences du Verbe à la lumière par les relations que nous saurons établir.

Ainsi, notre christianisme ne peut donc pas être un christianisme de boutique. Il doit être un christianisme d’annonce de l’Évangile à toute créature. Cette annonce de l’Évangile ne doit pas être perçue comme une entreprise de prosélytisme ou de racolage, mais comme une promesse de libération. Nous sommes dépositaires d’une espérance de délivrance pour tous les hommes, et c’est cette délivrance que nous devons annoncer !

+André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris

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