Interview du cardinal André Vingt-Trois par La Vie sur la Bioéthique

La Vie – 30 novembre 2010

Recherche sur l’embryon, levée de l’anonymat, mères porteuses... Alors que les députés commencent leurs consultations de la révision de la loi sur la bioéthique, rencontre avec le cardinal André Vingt-Trois, qui confie à La Vie ses désaccords avec le projet.

Vous avez haussé le ton, à Lourdes, après la prise de position de Jean Leonetti en faveur d’une autorisation de la recherche sur l’embryon. Pourquoi cette fermeté ?

J’ai réagi assez fortement parce que je n’ai pas compris ce revirement qui ne correspondait pas à la manière dont M. Leonotti avait conduit les travaux parlementaires. Comme j’ai de l’estime pour lui et que nous sommes dans une relation de dialogue, il m’a semblé normal que je le dise de façon ferme pour que ce soit entendu. M. Leonetti semble être revenu sur ses propos, et je m’en félicite. Reste qu’au-delà de cette péripétie des désaccords de fond persistent sur le projet de loi gouvernemental. Dans l’intérêt de tous, je souhaite que les chercheurs puissent travailler dans des conditions clairement définies et respectueuses de l’homme.

Quels sont ces désaccords ?

Le premier, c’est une certaine incohérence. Le gouvernement manifeste la conscience claire qu’avec la recherche sur l’embryon le respect de la dignité humaine est en jeu. En même temps, il semble mettre en place un système dans lequel la destruction d’embryons n’est plus une exception. Jusqu’à présent, on ne pouvait recourir aux cellules souches embryonnaires qu’à condition qu’il existe un espoir fondé de trouver un traitement à une maladie grave et incurable et qu’il n’y ait pas d’alternative. Aujourd’hui, l’objectif thérapeutique sombre au profit d’un objectif de recherche « médicale » dont on ne sait pas très bien ce qu’il recouvre. Et le régime qui avait été mis en place, en 2004, à titre exceptionnel, risque d’être adopté définitivement. C’est la seconde incohérence. Je plaide pour que les programmes de recherche, par définition nécessairement incertains, soient soumis à un contrôle régulier, par exemple, dans le cadre d’une cellule de veille parlementaire.

Craignez-vous que, lors du vote, une majorité de députés se prononcent en faveur d’une autorisation de la recherche sur l’embryon ?

Je crains qu’on change de finalité, que le cadre de référence reste peut-être le respect de la dignité humaine, mais devienne une coquille vide, et que la recherche scientifique et ses impératifs passent avant tout. Je crains que l’on privilégie une option unique de recherche qui ignore les autres voies et se laisse enfermer dans une logique industrielle.

La position du pape a évolué récemment sur le préservatif et la transmission du sida. Vous semble-t-il possible qu’elle évolue de la même façon sur d’autres sujets, notamment sur l’utilisation des embryons ?

Le pape Benoît XVI a appliqué une règle morale qui fait la différence entre le précepte et l’application particulière. C’est ce que Jean Paul II avait appelé la « loi de gradualité ». Peut-on appliquer cette règle à la recherche sur l’embryon ? La gradualité est dans le cheminement de la personne, pas dans le précepte. Qui donne droit à détruire le plus faible ? Et si l’impératif catégorique est de nous soigner à tout prix, jusqu’à quel prix est-on prêt à aller ? Je ne me reconnais pas le droit de dire que la vie de telle personne vaut mieux que celle de telle autre.

Même si l’une est au stade embryonnaire et l’autre est née ?

Qui peut dire que l’on s’arrêtera au stade embryonnaire ? On a connu des périodes dans l’Histoire où l’on n’a pas respecté les enfants nés. L’humanité est une réalité continue, du début à la fin de la vie. La façon dont une société traite ses éléments les plus faibles et les plus dépendants, la manière dont elle gère la fragilité des êtres représentent un indice global de la qualité d’une civilisation. Il ne s’agit pas simplement d’un point technique. On ne parle pas de fabrication de voitures mais de conception de l’humain. Quand on prend des dispositions contraires à la dignité humaine, on entre dans un processus régressif du point de vue de la civilisation, quels que soient par ailleurs les « progrès scientifiques » que ces dispositions peuvent permettre.

En septembre, vous avez rencontré le président de la République après les tensions de l’été sur l’accueil de l’étranger et les Roms. Avez-vous également abordé avec lui les questions de bioéthique ?

Oui, il m’a répondu qu’il entendait cela avec beaucoup d’intérêt et se posait lui aussi des questions. Il connaissait bien ces sujets et y avait réfléchi.

Avez-vous l’impression d’être entendu lors de telles rencontres ?

Il n’est pas simple de faire la part entre les vrais enjeux de société et le jeu médiatique. Quand vous avez trois caméras et douze micros qui attendent à la sortie, la discussion est d’un autre ordre que lorsque la rencontre est plus discrète. Il m’arrive de rencontrer un ministre, sur une question précise pour laquelle il souhaite un avis. En général, la relation est profitable et ce que nous disons est entendu. Nos gouvernants sont entourés de tels réseaux d’influence et de lobbyings qu’ils ont d’autant plus besoin d’entendre toutes les positions s’exprimer.

Dans d’autres pays, certains épiscopats adoptent une attitude plus radicale, notamment en ce qui concerne l’embryon.

Nous ne voulons pas nous situer dans un rapport de forces politique mais plutôt dans la discussion, l’échange et la confrontation des analyses. Notre démarche s’enracine dans une conviction : ce que nous avons compris de la réalité humaine à travers la révélation chrétienne a un sens pour un esprit de bonne volonté. Cela vaut la peine de s’expliquer. Cela ne m’empêche pas d’exprimer publiquement des positions comme je l’ai fait au Puy, le 15 août dernier, quand j’ai plaidé pour les Roms devant un ministre, maire de la ville. Ou à Lourdes, le 9 novembre, quand j’ai rappelé l’importance de la dignité humaine en bioéthique. Cela vous éclaire sur ma tactique. Je ne me situe pas dans le choc frontal mais reste persuadé que notre classe politique est accessible aux arguments de la raison.

Entretien réalisé par Claire Legros.

Source : www.lavie.fr.

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