« La vie mérite d’être vécue et dite jusqu’au bout »

Paris Notre-Dame - 3 mai 2012

Paris Notre-Dame du 3 mai 2012

Marie-Sophie Binoche, la soixantaine passée, est bénévole à l’association J.A.L.M.A.L.V (Jusqu’à la mort accompagner la vie), qui propose d’accompagner les personnes isolées, endeuillées, en soins palliatifs ou très âgées jusqu’à leurs derniers instants. Un engagement fort et pourtant plein de petites joies.

Paris Notre-Dame : Comment êtes-vous devenue bénévole en soins palliatifs ?

Marie-Sophie Binoche
D.R

Marie-Sophie Binoche – J’ai toujours été attentive aux personnes âgées. À 17 ans, je leur rendais déjà visite dans le cadre de la Conférence Saint-Vincent de Paul. Depuis quinze ans, je suis à J.A.L.M.A.L.V, une association reconnue d’utilité publique depuis 1993. Pendant dix ans, j’ai été en hôpital et depuis cinq ans, je fais des visites à domicile, tout en étant référente d’une équipe de quatre bénévoles.

En quoi consiste votre mission ?

M.-S. B. –Nous sommes là pour être mais jamais pour faire. Nous ne prodiguons pas de soins, et nous n’avons pas le droit d’aider les personnes que nous suivons dans les gestes du quotidien. En revanche, nous sommes des professionnels de l’accompagnement, formés pendant de longs mois au sein de notre association. On nous apprend à écouter, solliciter la parole lorsque c’est nécessaire ou rester tout simplement en silence. On nous explique aussi comment garder la juste distance, pour ne pas tomber dans l’affectif.

Si vous ne pouvez vous lier d’amitié, quelle est la nature de la relation que vous tissez avec l’autre ?

M.-S. B. – C’est une relation intime. Lorsque je rentre dans la chambre d’un malade, je le fais sur la pointe des pieds, dans tous les sens du terme, car j’ai le sentiment très net d’entrer dans son intimité : il y a ses meubles, ses photos, une odeur, une ambiance... Je me fais toute petite, lui demande la permission de m’asseoir près de lui et fais très attention à ne pas le dominer d’une tête, quitte à me ratatiner au fond de mon fauteuil. J’ai besoin de cette humilité pour créer un lien. Nos discussions favorisent aussi cette intimité. A la fin de sa vie, on va à l’essentiel, on parle de son enfance, de sa croyance, de l’au delà… Et plus l’état physique empire, plus les mots échangés, même rares, deviennent forts.

Est-ce que votre foi vous porte dans cette mission ?

M.-S. B. – Je ne pense pas que ce soit ma foi qui m’ait guidée vers cet engagement. En revanche, je vois le Seigneur en chacun. Mon association est a confessionnelle et je le précise toujours. Mais au fil des discussions, lorsqu’on parle de Dieu ou qu’on m’interroge sur ma foi, je réponds que je suis chrétienne. Parfois, on me demande de lire des prières. Je le fais, en précisant que ce n’est plus la bénévole de J.A.L.M.A.L.V mais Marie-Sophie qui partage ce moment spirituel.
Vous accompagnez les personnes jusqu’au bout, vous voyez beaucoup de personnes mourir.

N’est-ce pas trop dur à porter ?

M.-S. B. – Cet accompagnement n’est pas du tout triste ou morbide. Au contraire, il fourmille de grâces et de cadeaux, dont le premier est la confiance que ces personnes nous font. La parole libère et permet de relire son existence. Chaque moment échangé est précieux et prouve combien la vie mérite d’être vécue et dite jusqu’au bout. Même lorsqu’une personne malade parle d’une envie de mort, ce qui est extrêmement rare, il suffit d’une petite phrase ou de l’évocation d’un souvenir pour qu’elle revienne dans la vie. Le plus terrifiant n’est pas leur mort prochaine, mais leur solitude extrême. À Paris, même dans un immeuble, une personne malade peut ne jamais recevoir de visite, excepté celles du personnel soignant. • Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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