Lettre du Père Martin HAPPE Nouakchott, Mauritanie, Noël 2010

"Toutes les chaussures des ennemis qui font trembler le sol, tous les habits couverts de sang sont dévorés par le feu. Un enfant nous est né, un fils nous est donné. " (Isaïe, 9, 4+5, liturgie de la nuit de Noël.)

Chers amis,

Il y a quelques mois, j’ai reçu un appel téléphonique de la part de l’ambassadeur d’Allemagne en Mauritanie. Tout en s’excusant de ne pas pouvoir quitter l’ambassade pour venir me voir, il me demanda avec insistance de venir lui rendre visite chez lui le plus vite possible. Je prends donc la voiture pour me rendre à l’ambassade de la RFA à Nouakchott. Là, on me fait subir les contrôles de sécurité avant de me faire rentrer dans le hall où l’ambassadeur m’attend en personne. (Avant d’aller plus loin dans mon récit, il faut que je vous dise que cette ambassade comme toutes autres chancelleries et ambassades des pays occidentaux s’est transformée depuis un certain temps en camps retranché, entouré de murs en béton qui sont sécurisés par des plots et des fils de fers barbelés. Le tout est surveillé de jour comme de nuit par les forces armées mauritaniennes.)

Donc, en compagnie de Monsieur l’Ambassadeur je monte les escaliers pour rejoindre son bureau, où nous attend déjà la première secrétaire de l’ambassade. Une fois le café apporté et les politesses d’usage échangés, l’ambassadeur m’explique qu’il attend des coups de fils importants, qu’il ne peut donc pas s’absenter de ses bureaux, et il me remercie d’avoir suivi son invitation. Puis, il se dit très préoccupé de constater que l’évêque allemand de Nouakchott, que je suis, n’a pas l’air de prendre au sérieux les menaces de terrorisme émanant d’Al Qaïda.

En effet, alors que les diplomates vivant à Nouakchott s’enferment eux-mêmes dans des propriétés transformées à grands frais en châteaux forts, voire en prisons, qu’ils se déplacent le moins possible et au besoin en voiture blindée, la porte de l’évêché reste ouverte à tous ceux qui veulent rendre visite à l’évêque et je continue à me déplacer à pied, même après la tombée de la nuit et, quand je me déplace en voiture, je n’ai toujours pas de chauffeur et encore moins de garde de corps. Cette façon de me comporter fait trembler mon interlocuteur : " Car, me dit-il, si jamais quelque chose devait m’arriver, j’espère que mon épouse et mes deux fils porteront mon deuil pour quelque mois. En plus, j’aurai droit à une demi-page de faire-part dans un grand quotidien allemand. Et puis, très vite, je serai oublié. Mais, dit il en s’échauffant, si jamais quelque chose devait vous arriver, à vous, évêque allemand de Nouakchott, moi, je n’aurai plus une minute de tranquille jusqu’à la fin de mes jours ! "

Vous comprendrez que ce discours m’a d’abord fait sourire. Mais ensuite, je lui ai tout de même demandé ses propositions. En résumé cela revenait à ceci : un petit appareil à ma ceinture muni d’une touche " alarme " ; grâce à cet accessoire, les forces de sécurité mauritaniennes sauraient me localiser à tout instant ; en plus, en cas d’activation de l’alarme par moi, ils viendraient de suite à mon secours. En outre l’ambassadeur me proposait de demander, qu’un véhicule blindé soit stationné en permanence devant l’évêché pour ma protection, que je ne me déplace plus à pied, que je prévienne l’ambassade de mes voyages à l’intérieur du pays où je devais me rendre le moins possible et surtout pas seul dans la voiture… - Ceux qui me connaissent ne s’étonneront pas si je dis, que ma réaction à ces propositions à été un refus net. J’ai ajouté : " Avant d’en arriver là, je vais faire mes valises et quitter le pays. Avec la meilleure volonté du monde, je ne vois pas comment je pourrai exercer mon ministère d’évêque en vivant de la manière suggérée ! "

En effet, essayons pour 30 secondes d’imaginer toutes les conséquences que cela aurait sur ma vie et surtout sur la vie de l’Eglise en Mauritanie. Parce que l’ambassadeur oublie une chose : si mes collaborateurs, à commencer par les prêtres et le religieuses, mais sans oublier le personnel de Caritas Mauritanie, continuent à vivre et à travailler normalement, c’est parque qu’ils voient leur évêque faire ainsi. Voilà quelques conséquences que je vois tout de suite :

* Les chrétiens catholiques prendraient peur et ne viendraient plus à l’église. - Et quid de nos chorales qui se retrouvent pour répéter après la tombée de la nuit ?

* Beaucoup de malades ne seraient plus soignés par nos gens ou dans nos institutions.

* Les Centres de Récupération et d’ Education Nutritionnelle (CREN) qui sauvent beaucoup de vies de petits enfants tous les ans, ne pourraient pas continuer leur travail.

* Que deviendrait le CFIP (Centre de Formation et d’Insertion Professionnelle) où plus de 200 jeunes garçons et filles originaires de milieux défavorisés reçoivent une qualification professionnelle ?

* Des centaines d’élèves et étudiants qui fréquentent régulièrement nos bibliothèques se trouveraient devant des portes fermées. Pas seulement ils n’auraient plus accès aux livres et autres ouvrages leur permettant de préparer leurs devoirs et autres exposés, mais en plus ils seraient privés de cours de rattrapage et de leur seule chance de fréquenter d’une manière tout à fait naturelle des chrétiens dans une République Islamique.

* A qui s’adresseraient tous ces migrants des divers pays d’Afrique qui se retrouvent pour un temps en Mauritanie avant de tenter leur chance d’aller plus loin vers l’Europe ? Où trouveraient-ils un porte ouverte, une oreille prête à les écouter et quelqu’un pour leur rendre de menus services rendant moins pénible leur situation d’étrangers ?

* Il y a des dizaines de milliers de personnes touchées par les projets initiés par eux avec l’appui de notre Caritas. D’autres passent par nous, afin d’obtenir un appui auprès d’organismes comme Manos Unidas ou la Fondation Jean Paul II pour le Sahel. Aucune chance pour eux sans lettre de recommandation signée par un évêque.

* Les détenus dans la prison centrale de Nouakchott ne sont déjà pas à envier, car ils vivent dans des lieux complètement surpeuplés. Mais qu’est-ce qu’ils deviendraient sans les activités sociales et culturelles initiées par une religieuse et son équipe Caritas ?

* Et tous nos amis mauritaniens qui aiment se retrouver chez nous ou qui se réjouissent de nous voir arriver chez eux ?

En regardant cette liste, qui est loin d’être complète, je me rends compte moi-même de l’impact de notre petite Eglise de Mauritanie, c’est-à-dire quelque milliers de catholiques, tous non-mauritaniens, apparemment noyés dans une masse musulmane. C’est tout de même impressionnant de constater tout ce que leur foi arrive à mettre en branle et à faire bouger dans une République Islamique, mais, attention, pas islamiste !

Si maintenant, tout d’un coup, nous ne croyons plus dans le message de Paix de Noël, si nous cessons d’en être les témoins à travers notre vie de tous les jours et à travers notre façon de nous comporter et d’agir, mus par notre foi ? Si nous cédons aux pressions et nous laissions enfermer derrière des murs et des barrières ? Par le simple fait de continuer tranquillement ce que nous avons toujours fait dans un monde marqué par la peur devant les agissements d’Al Qaïda, nous sommes témoins du formidable mystère de Noël : " Un enfant nous est né, un fils nous est donné."

Dans ce sens à vous tous : Joyeux Noël et Bonne Année 2011 !

Père Martin Happe
Evêque de Nouakchott

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