Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à Sainte-Clotilde pour la consécration du nouvel autel et pour les 150 ans de la paroisse

Sainte-Clotilde - Dimanche 2 décembre 2007

Evangile selon Saint Mathieu chap. 24, versets 37 à 44.

Homélie du Cardinal André Vingt-Trois

Frères et sœurs, « on vivait, on travaillait, on mangeait, on se mariait, et on ne se doutait de rien ». C’était au temps de Noé, avant que la terre soit submergée par les eaux. Mais aujourd’hui, on mange, on vit, on travaille, on se marie : se doute-t-on de quelque chose ? Tous les hommes et toutes les femmes qui nous entourent dans cette grande ville et qui vont à leurs affaire, ou qui subissent que leurs affaires viennent à eux, qui sont malmenés par la vie ou qui essayent d’échapper aux difficultés de la vie, tous ces hommes et toutes ces femmes imaginent-ils un instant que quelque chose se prépare qui va tous les concerner alors qu’aucun n’y pense jamais ? Cette multitude d’hommes et de femmes réfléchissent-ils parfois qu’au cœur de leurs activités quotidiennes, de ce qui fait le tissu de leur vie, une réalité est en train de grandir, de se développer qui, un jour, va remplacer tout ce que nous faisons, marquant nos activités, si belles soient elles, du signe imprescriptible de la fugacité et de la mort.
Car la mort est à l’œuvre en notre vie, chaque jour. Elle nous touche dans nos proches, dans nos relations, dans les informations qui nous atteignent. Elle marque les optimismes de ce temps du signe écrit sur le mur : « Tout s’arrête un jour ».

Et nous, - je dis : « nous », les chrétiens,- nous savons ; nous sommes, sans forfanterie, comme Moïse : nous voyons l’invisible. Nous savons qu’au cœur de tout ce que nous voyons, tout ce qui nous entoure et nous marque, une vie est inscrite qui est appelée à achever l’univers. Nous savons qu’à travers les démarches les plus simples, les plus quotidiennes, les plus ordinaires, est à l’œuvre une capacité de transformer le monde. Nous savons que la manière dont nous travaillons, dont nous mangeons, dont nous aimons, dont nous vivons, peut changer quelque chose.
Nous le savons, et nous ne le savons pas. Nous le savons, mais nous en doutons. Nous le savons, mais nous cherchons toujours à mieux le savoir. Et pourtant, si obscure que soit notre lumière, nous savons.
Même si c’est confusément, même si c’est à travers le brouillard, nous savons qu’Il est à l’œuvre. Et nous ne dirions rien ? Nous serions comme une sorte d’aiguilleur qui regarderait les trains circuler, venir à la rencontre de l’accident et nous fermerions les yeux et nous ne préviendrions personne, et nous n’apporterions aucune information et nous resterions dans la paisible tranquillité de ceux qui savent un petit quelque chose, assez pour ne pas être écrasés, pas assez pour se donner !
Nous savons. « Le moment est venu », nous dit saint Paul, le salut n’a jamais était aussi proche. Le Seigneur vient, il vient comme il est venu dans la chair, dans Jésus de Nazareth, comme il viendra à la fin des temps pour l’achèvement du monde, Il vient dans notre présent, Il vient chaque jour, Il incarne chaque jour l’amour de Dieu dans la vie des hommes. Cette présence, certes encore voilée et mystérieuse mais cependant réelle, cette présence est rendue visible, elle est rendue palpable, elle est rendue mesurable, elle est rendue constatable à travers le peuple chrétien que Dieu engendre de générations en générations pour que jamais ne s’efface à travers l’histoire de l’humanité le souvenir de la promesse initiale et l’actualité de son accomplissement.
C’est à nous, baptisés dans le Christ, confirmés dans l’Esprit Saint, rassemblés dans le peuple de Dieu, c’est à nous qu’il incombe de rendre perceptible l’actualité de la puissance de Dieu dans l’existence humaine. Comment ne comprendrions-nous pas, alors, l’appel que l’évangile selon saint Matthieu vient de nous redire : « Veillez » ? Le chrétien est un homme qui ne peut pas dormir ; le chrétien est un homme qui ne peut pas oublier ; le chrétien est un homme qui ne peut pas détourner les yeux de la réalité ordinaire des jours. Parce que c’est dans cette réalité ordinaire des jours qu’il doit rendre témoignage de la foi qu’il a reçue : « Veillez et priez car vous ne savez ni le jour, ni l’heure. » Vous ne savez ni quand ni comment cela se passera, mais vous savez déjà que cela se passe aujourd’hui.

Ainsi, quand la communauté paroissiale de Sainte-Clotilde entre en jubilé pour le cent-cinquantenaire de la création de cette basilique, le Père Matthieu Rougé le disait, elle ne fait pas simplement une commémoration, comme on commémore le passage de la Mer Rouge ou comme on commémore Moïse sauvé des eaux. Elle pose un acte pour le présent. Elle fait mémoire, certes, de la vitalité qui a suscité cette construction et, plus profondément que la construction du bâtiment, la constitution de la communauté appelée à y vivre. Mais elle fait surtout l’acte de foi que cette construction et cette communauté sont un signal aujourd’hui dans cette partie de la capitale, dans ce tissu urbain, un signal que, tandis qu’elles suivent leur cours sans toujours penser à l’enjeu qui les habite, les œuvres de ce monde sont appelés à entrer dans une construction infiniment plus importante et infiniment plus grande qui est, non pas la consécration de nos affaires humaines, mais l’avènement du royaume de Dieu à travers l’histoire des hommes.
Cet avènement, il est l’irruption du Christ dans l’histoire de l’humanité, il est sa venue aujourd’hui que nous allons célébrer dans la joie et la grande allégresse de tous au moment de Noël. Il est l’avènement, l’Avent dans lequel nous entrons aujourd’hui. Il est celui qui vient à notre rencontre comme il est venu et comme il reviendra.
C’est la certitude de sa venue au début de notre premier millénaire, de son retour à la fin des temps, de sa présence aujourd’hui qui est le fondement de notre espérance chrétienne telle que le Pape vient de nous la rappeler dans l’Encyclique Spe Salvi, sortie précisément avant-hier pour ouvrir ce temps de l’Avent.
Soyons donc dans la joie d’être ceux qui voient l’invisible sous le voile de ce qui est visible. Soyons dans l’espérance de la venue du Seigneur que nous attendons et qui est déjà présent aujourd’hui. Soyons dans la détermination de partager avec celles et ceux qui nous entourent la joie de cette présence. Soyons des témoins de la potentialité extraordinaire de l’existence humaine. Soyons les hérauts de l’amour de Dieu parmi les hommes. Soyons les artisans de la paix entre les hommes. Soyons les artisans du respect entre les hommes. Soyons les artisans de la fidélité aux engagements pris et aux travaux entamés. Soyons les témoins de l’Espérance qui habite toute l’Église du Christ pour ses enfants qui nous ont quittés quelques instants et qui vont revenir. Pour la génération qui vient, soyons ceux qui vont transmettre l’appel à veiller et à prier, à ne pas s’endormir, à ne pas se laisser engloutir par la routine des jours, par la banalité des occupations, non plus que part l’attrait et la cupidité de la possession.
Frères et sœurs, cette église est dédiée à sainte Clotilde dont je ne doute pas que tous aujourd’hui ici savent, au moins par le souvenir des images qu’ils ont regardées dans leur temps d’école primaire, qu’elle était l’épouse de Clovis et que, grâce à elle, Clovis a fait un chemin vers la foi. Le souvenir de sainte Clotilde est associé tout naturellement au baptême, et c’est pourquoi, dans cet autel que je cache pour l’instant mais que je vous dévoile un instant, la coupe qui est inscrite est le symbole d’un baptistère : elle évoque le baptême tandis que la colombe rappelle la venue de l’Esprit-Saint. En même temps, cette coupe évoque l’eucharistie où l’Esprit-Saint consacre le pain et le vin pour en faire le corps et le sang du Christ, comme l’Esprit-Saint qui habite nos cœurs consacre chacune de nos vies pour en faire l’actuelle présence du Christ dans le monde. Je vous invite donc, pour la profession de foi que nous faisons chaque dimanche, à renouveler ensemble la profession de foi de notre baptême et à répondre : « Je crois » aux questions que je vais poser.

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