Homélie de Mgr André Vingt-Trois – Messe de rentrée des étudiants et retour JMJ pour tous les Parisiens

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Mercredi 16 novembre 2005

Mes chers amis,

En ce début d’année universitaire il n’est pas mauvais de nous entendre rappeler par le Christ lui-même que son avènement en ce monde va durer un certain temps, probablement même plus longtemps qu’une année scolaire, plus longtemps qu’un cycle universitaire, plus longtemps que le temps des études, plus longtemps que le temps de notre vie. En racontant cette parabole, Jésus donne à ceux qui l’entourent, et à ses disciples d’abord, une clef pour comprendre ce qui va se passer alors qu’il monte à Jérusalem où il va être jugé, condamné, exécuté et où il ressuscitera.

En effet, la mort et la résurrection du Christ ouvrent un temps nouveau de l’histoire, elles ne ferment pas l’histoire. Tout commence à neuf mais rien n’est terminé. Ceux qui ont suivi Jésus vont recevoir la mission d’être les instruments, les acteurs, les ouvriers, les médiateurs grâce auxquels les trésors qu’il a répandus durant sa vie vont pouvoir fructifier. La reddition finale des comptes que la parabole symbolise en dessinant trois figures de serviteurs nous aide à comprendre qu’il y a des gens qui font fructifier ce qu’ils ont reçu tandis que d’autres vivent dans la peur.

Voulez-vous, quelques instants, interroger votre cœur ? De quoi avez-vous peur ? Qu’est-ce qui peut tellement susciter en vous l’appréhension, que cela puisse paralyser vos capacités d’agir ? Dans les lectures que nous avons entendues, nous relevons deux menaces très explicites.

La première nous est rapportée par le Livre des martyrs d’Israël. C’est la menace que représente un roi impie à l’égard de ceux qui essayent d’être fidèles à la loi de Dieu. Les risques encourus ne sont pas minces, il y va de rien moins que de la vie. L’Écriture nous rapporte cet épisode du choc, de la confrontation à laquelle le peuple d’Israël est soumis par l’occupation étrangère et par l’invasion de la culture païenne. Nous sommes alors au cœur de ce qui a été mis en évidence au moment où Moïse a reçu la loi de l’alliance : « Deux chemins s’ouvrent devant toi : vie et bonheur, mort et malheur. Qu’est-ce que tu choisis ? » Evidemment, tout le monde répond : « Je choisis la vie et le bonheur ». Seulement la vie et le bonheur ne sont pas toujours où l’on croit. Il arrive des moments où l’on découvre que l’enjeu de notre vie, qui vaut plus que notre vie elle-même, c’est d’être fidèles à celui qui est la source de la vie. Nous connaissons les tentations qui sont évoquées par le Livre des martyrs d’Israël : « Si tu abjures, on va te faire une belle vie, tu seras éduqué parmi les meilleurs de la société, tu auras les bons postes », mais pour sauver tout cela il faut faire profil bas, ne pas montrer que tu es juif. Ce dilemme n’est pas une histoire mythologique. Au vingtième siècle, des hommes et des femmes qui vivaient en France, à Paris, découvrirent que pour sauver leur vie, ils devaient cacher qu’ils étaient juifs. Dans tout ces quartiers qui entourent la cathédrale, vous pouvez voir des maisons avec des plaques portant : « Ici vivait telle famille, juive, déportée, mise à mort ».

Quand il s’agit de choisir la fidélité à Dieu ou la tranquillité dans cette vie, nous sommes devant un choix réel. C’est un choix qui se présente à chacun de nous, tous les jours de notre vie. De quoi avons-nous peur ? Qu’avons-nous peur de perdre ? Qu’avons-nous peur de manquer ? Sommes-nous assez profondément attachés au Seigneur pour que, s’il devait advenir par malheur qu’il nous faille choisir entre la vie et la fidélité à Dieu, nous soyons capables de choisir Dieu ?

Dans l’Évangile, le troisième homme, celui qui a caché sa pièce de monnaie précautionneusement, avait peur de son maître. Il le savait exigeant. Cette peur, nous la connaissons aussi. Nous l’entendons autour de nous, parfois en nous. Comment faire pour sauver notre foi ? Comment faire pour protéger notre petit trésor ? Comment faire pour mettre nos bons principes à l’abri ? Comment faire pour ne pas encourir le jugement de Dieu ?

Combien de chrétiens se sont acheminés vers la stérilité et vers la mort spirituelle pour avoir voulu garder précautionneusement ce qu’ils avaient reçu, de peur d’en perdre une miette ? Le trésor de la foi qui nous est remis, n’est pas une sorte de capital sur lequel nous devrions veiller comme s’il était en danger. Dieu n’est pas en danger dans ce monde. Dieu ne risque rien en ce monde. La victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi, nous dit saint Jean (1Jn 5, 4).

Ne nous arrive-t-il pas trop souvent de vivre la foi de manière tellement précautionneuse que, certes nous gardons une certaine fidélité, mais nous ne portons plus de fruit du tout. Nous sommes capables de redire intactes les bribes de catéchisme que nous n’avons pas oubliées, avec en plus peut-être quelques principes qu’on a glanés le long du chemin, mais tout cela ne fructifie pas car tout cela est consciencieusement enfermé dans l’abri de nos maisons, dans le secret de nos cœurs, dans le silence de nos pensées. Cela ne fructifie pas car ce n’est pas porté face à la réalité du monde. La foi au Christ n’est pourtant pas la coupure d’avec le monde ; la foi au Christ, c’est l’offrande de soi-même, pour que le monde vive. C’est la capacité de risquer ce que nous avons reçu pour que cela porte du fruit, c’est la capacité d’ouvrir le trésor dont nous disposons pour le partager avec nos frères. Le principal risque que nous courions, est qu’en étant partagé, ce trésor se développe. Nous risquons, en l’ouvrant aux autres, qu’il pénètre davantage notre propre vie. Nous risquons qu’à mesure que nous l’offrons, nous découvrions qu’il nous est précieux, et que les richesses reçues deviennent force et vigueur dans notre existence.

Beaucoup d’entre vous ont participé aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Cologne. Je sais qu’elles ont été pour les participants un temps fort ! Grâce à Dieu, dans notre vie, nous avons un certain nombre d’occasions de vivre des temps forts. Ce soir, nous pouvons nous le dire : ce que nous avons vécu à Marienfeld ne doit pas devenir une sorte de film de souvenirs, que nous nous repasserions de temps en temps pour nous remémorer de grands moments. Vous n’avez pas à le ranger au fond de notre mémoire en attendant les jours où, devenus vieux, vous le raconterez à vos petits-enfants, en radotant un peu. C’est une richesse qu’il nous a été permis de recevoir pour que nous la partagions, pour que nous l’ouvrions. Ce que nous avons vécu à Marienfeld, nous pouvons continuer de le vivre ici à Paris, dans nos différents secteurs d’activité, dans les relations que nous avons avec les autres, dans notre recherche pour vivre la rencontre du Seigneur.

Le Pape nous a invités à remettre l’eucharistie au centre de notre vie, c’est peut-être un commencement très simple comme ce soir. Nous célébrons l’eucharistie tous ensemble comme un moment d’action de grâce et un acte fondateur pour l’année qui vient. Peut-être un signe nous est-il donné ainsi pour que semaine après semaine nous approfondissions que l’eucharistie est le centre de notre vie.

On ne peut l’approfondir que d’une façon : en y allant. La Messe ne se raconte pas, on y est ou on n’y est pas. On peut avoir des raisons de ne pas y être ; la vraie question est de savoir ce qu’on perd quand on n’y va pas.

Lorsque vous êtes avec des amis, ou en famille peut-être, arrive un jour où vous ne pouvez plus vous cacher, où il vous faut dire : « Je suis chrétien ». De quoi avez-vous peur ? Qu’est-ce qui vous retient ? Qu’allez-vous perdre ? Perdre l’estime de gens qui ne sont pas capables de vous respecter, n’est pas une grosse perte ; perdre votre image de grand esprit affranchi vous arrivera de toute façon un jour ou l’autre, vous pouvez anticiper un peu. De quoi avons-nous peur ?

Alors en ce début d’année je voudrais que nous soyons convaincus, par l’appel du Christ, que Dieu ne veut pas nous faire plonger, il ne nous pousse pas à la faute, il ne nous tire pas pour nous mettre dans de mauvais chemins, il veut nous stimuler. Il nous donne un exemple : vous avez beaucoup reçu, vous essayez d’être généreux, vous êtes remplis de bons sentiments, alors par dessus-tout ouvrez votre trésor, partagez ce que vous avez reçu, acceptez de prendre position au nom de la foi, acceptez que votre foi soit un enjeu de l’existence, acceptez qu’elle vous entraîne à faire des choix. Pour vivre, selon la volonté de Dieu, il faut, parfois, accepter de perdre.. Dans l’Évangile celui qui accepte de risquer, gagne à tous les coups.

N’ayez donc pas peur, avancez avec confiance.

+ André Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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