Note du P. Brice de Malherbe sur le rapport Sicard

10 janvier 2013

Le 18 décembre 2013, le Professeur Didier Sicard a remis au Président de la République le rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie. Le Père Brice de Malherbe, délégué de l’Archevêque de Paris auprès des établissements hospitaliers catholiques, en fait un décryptage.

1. Lecture du rapport Sicard

1.1. Le rapport constate des carences dans la prise en charge de la fin de vie en France et appelle à un changement culturel.

Le rapport pointe tout d’abord les ambiguïtés de 30 ans d’une médecine « plus fondée sur la technique que sur la relation » (cf. p. 28) : réponses réelles à la souffrance des hommes mais aussi acharnement thérapeutique.

Face à ce constat, la Commission appelle dans son rapport à :

Accepter les limites. La médecine doit reconnaître ses limites – notamment face à la mort - pour ne pas instrumentaliser la personne. La personne et ses proches doivent aussi reconnaître leurs limites pour ne pas réclamer de la médecine des réponses déraisonnables (cf. p. 51).

Développer une véritable culture palliative. « Le soin est un et unique : il n’y a pas de sens à le diviser en soin curatif versus soin palliatif ». D’emblée, le traitement des maladies graves comporte une nécessité d’accompagnement. La dimension palliative vient progressivement au premier plan. (cf. p. 30) Pour soutenir cette culture, il convient de développer une réelle formation aux soins palliatifs et à un type de médecine plus relationnel.

Favoriser l’accompagnement humain sur la durée, y compris par des bénévoles et sans oublier les aidants familiaux.

Encourager une réflexion sur la mort, trop souvent occultée par la médecine et l’ensemble de la société (cf. p. 39) [1]. La mort n’est plus comprise comme la fin naturelle de la vie. D’où également le refus de « l’attente du mourir », qui évacue l’agonie, pourtant un moment de passage humainement très important.

1.2. Le rapport réfléchit aussi sur les demandes récurrentes d’euthanasie sous des formes diverses

Il souligne la fragilité de l’autonomie des patients en fin de vie  :
« Le malade en fin de vie finit par être dans l’obligation de choisir, alors qu’il ne sait pas ce qu’il veut réellement ». (cf. p. 58). Les personnes en fin de vie ont souvent des fluctuations de la volonté, « entre abattement et réflexe de survie » (cf. p. 48).

Il rappelle que : « La pratique euthanasique développe… sa propre dynamique résistant à tout contrôle efficace, et tend nécessairement à s’élargir » (cf. p. 85). De fait, en Belgique, certains parlementaires proposent aujourd’hui d’étendre l’euthanasie aux mineurs (cela se fait déjà en Hollande) et à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, la légalisation de l’euthanasie n’a pas supprimé les pratiques clandestines.
Une légalisation de l’euthanasie ferait basculer la médecine « du devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement à une action si contestée d’un point de vue universel » (cf. p. 95).

Sur l’assistance au suicide, « pour la commission, (elle) ne peut en aucun cas être une solution proposée comme une alternative à l’absence constatée de soins palliatifs ou d’un réel accompagnement ». Au cas où le législateur prendrait la responsabilité de légiférer sur l’assistance au suicide, la commission recommande de prendre beaucoup de précautions (cf. p. 94).

2. Réflexion du Père Brice de Malherbe sur les trois pistes d’évolution possible de la législation, soumises à la réflexion du CCNE [2] par le Président de la République :

2.1. Comment et dans quelles conditions recueillir et appliquer des directives anticipées émises par une personne en pleine santé ou à l’annonce d’une maladie grave, concernant la fin de sa vie ?

Les directives anticipées, déjà prévues par la loi de 2005, sont peu prises en compte selon le rapport.
« En prenant exemple sur [un programme américain] la commission recommande l’existence d’un deuxième document, différent des directives anticipées, exprimant les volontés d’une personne atteinte de maladie grave concernant spécifiquement les traitements de fin de vie ». Mais le rapport constate que « les directives anticipées ne résolvent pas la maîtrise du choix. » (cf. p. 48).
« On a eu une attitude paternaliste dans le monde médical visant à prendre les décisions pour les autres, il ne faut pas inverser le balancier dans l’autre sens et imposer au professionnel un diktat du patient. » (participant au débat à Besançon).

P. Brice de Malherbe : Les directives anticipées peuvent être utiles, mais du fait de la fluctuation des sentiments du malade elles seront toujours d’usage délicat. Attention à ce qu’elles ne dédouanent pas du nécessaire dialogue entre médecin et patient, lorsqu’il est possible.

2.2. Selon quelles modalités et conditions strictes permettre à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ?

Selon le rapport, « l’assistance au suicide interpelle les grands principes du droit. » (cf. p. 62). Par ailleurs, dans les pays où elle est autorisée, la pratique du suicide assisté « concerne un nombre infime de personnes » (cf. p. 85) : pourquoi mettre en cause les fondements de notre droit pour cela ?
« Il semble inconcevable qu’une loi puisse établir de façon générale les situations dans lesquelles l’euthanasie pourrait être réalisée, autrement dit qu’elle dicte une norme déterminant les cas où l’assistance au suicide serait possible ». (cf. p. 85)

P. Brice de Malherbe : Cela signifierait obliger de manière plus ou moins extensive un médecin à coopérer à un geste qui provoque la mort, et donc mettre à mal son objection de conscience. Par ailleurs, Le citoyen ne peut « reporter la décision de sa mort sur la société » (Cal. André Vingt-Trois)

2.3. Comment rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus à la suite d’une décision prise à la demande de la personne ou de sa famille ou par les soignants ?

Sans doute ce qui est en jeu ici serait l’usage d’une « sédation terminale ».

Selon le rapport il convient d’être vigilant pour que l’application d’une « sédation profonde » ne soit pas une manière de pratiquer l’euthanasie (cf. p. 45). Mais il dit par ailleurs : « Si l’on suspend l’hydratation et la nutrition, et que pour rendre cet arrêt moins insupportable la décision est prise d’une sédation profonde, quelle est la place et la fonction réelle de ce geste si ce n’est de permettre d’accélérer la mort ? » (cf. p. 53).
Pour le rapport, il s’agirait de préciser, par des règles de bonne pratiques et non par une nouvelle loi, les conditions d’une « sédation profonde » en cas d’arrêt de traitements et même de l’hydratation et de la nutrition.

P. Brice de Malherbe : Cette question est-elle destinée à rassurer les malades en fin de vie ou les militants d’une association connue pour son lobbying constant en faveur de l’euthanasie ? L’ambigüité cultivée, même par le rapport, autour de la « sédation terminale » est très inquiétante. S’agit-il d’une sédation maintenue jusqu’à la mort ou d’une sédation pour accélérer la mort ? Une clarification s’impose.

Focus : Réponses aux arguments fréquemment avancés

 Les sondages sont favorables à l’euthanasie : « Les sondages revendiquant à une immense majorité l’accès à l’euthanasie, constituent étonnamment des réponses simplistes à des questions complexes, comme si… elles allaient apporter la solution au mal-mourir » (cf. p. 63).
 Certains pays pratiquent l’euthanasie : aucune expérience étrangère n’est transférable à la France (cf. p. 80)
 Il convient de respecter le choix des personnes : les personnes en fin de vie ont souvent des fluctuations de la volonté, « entre abattement et réflexe de survie » (cf. p. 48).
 Il faut en finir avec les euthanasies clandestines : « L’euthanasie active directe, relativement banale avant les années 1990, a considérablement diminué » (cf. p. 31). Alors que les législations étrangères favorables à l’euthanasie n’ont pas supprimées les pratiques clandestines.

[1« Une médecine qui occulte la mort dans ses préoccupations s’interdit de répondre au minimum des exigences humanistes » (Penser solidairement la mort, rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France, décembre 2012, p. 39)

[2Comité consultatif national d’éthique

La fin de vie

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