Interview du cardinal André Vingt-Trois dans Pèlerin

Le Pèlerin – 23 septembre 2010

Après les interventions de responsables catholiques sur la politique du gouvernement envers les Roms, le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France, a rencontré Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, dans son diocèse, l’archevêque de Paris lance une réflexion sur la jeunesse et la famille. L’occasion d’évoquer ses convictions sur la présence de l’Église catholique dans la société française.

L’Eglise, la politique, la famille, les convictions du Cardinal André Vingt-Trois

À la suite de la protestation de personnalités d’Église contre la politique d’expulsions de Roms, vous avez rencontré le ministre de l’Intérieur. Dans quel climat s’est déroulée cette rencontre ?

En fait : les rencontres avec le ministre de l’Intérieur sont régulières. Il existe des rendez-vous établis et d’autres rencontres, plus occasionnelles, comme celle-ci. Cela nous permet d’échanger sur les sujets qui sont dans l’actualité du moment. Sur la question des Roms, Brice Hortefeux m’a expliqué les grands repères de son action. Je lui ai fait part de l’émotion d’un certain nombre de chrétiens engagés dans l’accompagnement de ces populations. Je l’ai informé notamment de quelques situations en France qui me paraissaient déborder largement les critères qu’il avait fixés.

Est-ce une façon pour l’Église de s’immiscer dans l’action du gouvernement ?

Pas du tout ! Nous ne nous situons pas sur le terrain du débat politique, il n’y a aucune volonté de notre part d’agression vis-à-vis du gouvernement ou du président de la République. Nous nous préoccupons d’abord des Roms, de leurs conditions de vie souvent indignes. De même que nous le faisons pour d’autres populations fragiles. Nous sommes soucieux aussi que les décisions prises par les autorités soient appliquées dans le respect de la dignité des personnes et en particulier des enfants.

Pas de tension, donc, entre l’Église et le gouvernement, comme certains ont pu le dire ?

Non, prétendre cela c’est céder à la tentation médiatique de la polémique et de la dramatisation !

Et après votre rencontre avec le président de la République ?

Pas de commentaire.

Quels repères ont dicté votre ligne de conduite au cours de ces dernières semaines ?

J’ai choisi de ne pas entrer dans le jeu de la surenchère verbale. Ces questions sont trop sérieuses pour servir de prétexte à une manipulation politique. C’est la raison pour laquelle je me suis abstenu assez longtemps d’intervenir publiquement. Les évêques chargés de ces questions l’ont fait (NDLR : Mgr Centène, responsable de la pastorale des gens du voyage, et Mgr Schockert, évêque responsable de la pastorale des migrants). Par ailleurs, je parle régulièrement dans mes discours de l’accueil des étrangers. L’ébahissement des médias prouve simplement qu’ils ne font pas attention à ce que l’Église dit habituellement !

Pensez-vous vraiment que tout cela n’est qu’ignorance des médias ? Chez les chrétiens eux-mêmes, il y a eu ce même effet de surprise. Certains ont applaudi, beaucoup ont estimé que l’Église n’était pas dans son rôle en défendant les Roms…

C’est vrai. Le réflexe de peur devant ceux qui sont différents et étrangers existe bel et bien et certains chrétiens y participent comme les autres. Il faut alors élargir de débat : la question des Roms est une question européenne. On parle beaucoup d’Europe sociale mais y inclut-on tous les Européens ou seulement les habitants de la partie occidentale développée ? Une véritable solidarité européenne doit prendre en compte toutes les populations fragiles.

Au-delà de ce dernier débat, quelle est pour vous la meilleure façon pour l’Église de faire entendre sa voix dans la société française ?

Il n’y a pas une façon de faire unique. L’Église intervient d’abord au travers des chrétiens qui travaillent dans la société. Cette intervention se situe dans le long terme et c’est la plus importante. Ensuite, il y a la participation aux débats de société comme celui qui a eu lieu sur les lois de bioéthique ces derniers mois. L’Église peut alors faire entendre ses convictions. Dans ce type de démarche, notre objectif n’est pas d’émettre des critiques dans le seul but de nous donner bonne conscience. Notre choix est plutôt de réfléchir avec d’autres interlocuteurs, de formuler des réflexions inspirées par notre foi chrétienne, mais qui rejoignent aussi une certaine sagesse humaine. Cette façon de faire aide nos interlocuteurs à réfléchir, à percevoir des enjeux qu’ils n’avaient pas vus. Enfin, c’est vrai, il y a aussi des situations où certaines pratiques contredisent nos convictions évangéliques les plus profondes. Vient alors le temps des déclarations publiques.

À Paris, vous engagez votre diocèse dans une démarche de réflexion sur la jeunesse et la famille. Pour quelle raison ?

L’avenir de la famille et de la jeunesse me semble une question essentielle, pour l’Église et pour la société. L’effritement des repères de la vie familiale doit non seulement être évalué dans le registre de la vie affective individuelle mais aussi être apprécié en fonction d’une mission sociale. Ma lettre pastorale invite les chrétiens du diocèse de Paris à la réflexion… et à l’action.

Dans ce texte, vous proposez un idéal chrétien. Pourtant, le regard que vous portez sur les différentes réalités de vies familiales actuelles semble inspiré par une morale plus spirituelle que punitive. N’est-ce pas inhabituel ?

Pas du tout, c’est la règle de l’Église ! La loi est au service d’un mieux-être de l’homme. S’il y a des interdits et des jugements sur certains comportements, ce n’est pas dans le but d’enfoncer les gens mais de leur faire comprendre qu’il y a une meilleure manière de vivre. Pour qu’ils y adhèrent, il faut rejoindre les dynamismes profonds et positifs qui les animent. Comme chrétiens, nous croyons que la rédemption dans le Christ renouvelle l’existence humaine : cela signifie que nous espérons que l’homme est capable de changer.

Comment mieux accompagner, dans les communautés chrétiennes, l’accueil des personnes qui semblent loin de l’idéal chrétien ?

Notre accueil ne doit pas être défini d’abord par une volonté de conformité. L’ouverture suppose qu’on accepte que des gens soient dans des situations différentes, même si elles ne nous paraissent pas bonnes. Nous croyons que l’annonce de l’Évangile et le témoignage des chrétiens peut les aider à changer, leur donner une espérance.

Vous exprimez une préoccupation toute particulière pour l’avenir de la jeunesse. Pourquoi ?

Je crois malheureusement que nous sommes dans une société qui a peur de sa jeunesse ! Acceptons que les questions des jeunes interrogent notre propre manière de vivre et de concevoir notre vie sociale. Ces interpellations nous obligent à identifier, dans notre existence, le cœur de nos convictions. Or, pour beaucoup de gens, ce noyau dur n’est pas si facile à identifier.

Que proposez-vous pour tous ces jeunes ?

Aujourd’hui, la réussite sociale, financière, et la sécurité sont souvent présentées comme les seuls objectifs de l’existence. Seule solution alors pour les jeunes : rentrer dans le moule. Notre rôle est plutôt de leur permettre de découvrir toutes leurs capacités et leurs profondes aspirations.

Quel peut-être alors le rôle de l’Église ?

L’objectif n’est pas de bourrer le crâne des jeunes avec les vérités du catéchisme mais de les aider à découvrir comment la Parole de Dieu entre dans leur propre existence. Cela implique de proposer des activités, des réseaux, des lieux attractifs qui leur permettent vraiment de vivre quelque chose. Ces lieux d’Église existent déjà : scoutisme, réseaux de jeunes professionnels, etc. Il faut les développer.

Vous n’oubliez pas la place des aînés…

En effet, les plus âgés ont beaucoup à apporter. Ils ont une plus grande liberté de temps, de parole et d’action. Ils sont capables de partager une certaine sagesse. Dans les lettres de jeunes que je reçois, je constate d’ailleurs que la génération des grands-parents est beaucoup plus proche d’eux qu’on ne le pense.

Et que dire aux parents ? Comment se situer dans une société qui exige qu’ils fassent de leurs enfants des battants alors que le message évangélique les pousse vers d’autres valeurs ?

N’oublions pas que la question essentielle est celle du bonheur. Qu’est-ce qui va vraiment rendre heureux un jeune, une famille ? Dans une société, les chrétiens doivent d’abord être les témoins d’un bonheur et d’une espérance…

Par Anne Ponce et Vincent Cabanac.

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