Conférence du cardinal André Vingt-Trois lors du pèlerinage diocésain à Turin

Turin (Italie) – Jeudi 13 mai 2010

Le pèlerinage diocésain à Turin a été organisé à l’occasion de l’ostension du Linceul. Conférence donné le jour de la Fête de l’Ascension.

 Lire le compte-rendu du pèlerinage.

Dans l’évangile selon saint Jean, nous lisons qu’après la mort de Jésus, lorsque le soldat lui perça le côté, il en coula du sang et de l’eau. Et nous savons que toute la Tradition chrétienne y voit le don des sacrements de l’Église. Pour ce qui nous intéresse, l’image du Saint Suaire vient d’abord conforter et nourrir la conviction que Jésus de Nazareth a bien subi la passion et la mort, l’ensevelissement et la résurrection dans son corps. Tout cela est tout à fait décisif pour la foi chrétienne. Une hérésie a consisté à affirmer que Jésus n’avait pas vraiment souffert : il aurait fait les gestes, en apparence, mais n’aurait pas éprouvé dans sa chair la passion et la mort. D’autres ont parlé d’une substitution : quelqu’un aurait pris la place du Fils de Dieu sur la croix. Mais vous voyez bien que si celui qui est mort sur la croix n’est pas Jésus de Nazareth, fils de Marie et Fils de Dieu, vrai homme et vrai Dieu, alors nous ne sommes pas sauvés !

Certains peuvent se demander : « Au fond, qu’est-ce que cela change ? Après tout, tout le monde ne désire pas être sauvé. » Mais être sauvé cela veut dire : échapper à la mort, avoir la vie de Dieu en soi, la vie éternelle. C’est ce que Jésus nous promet : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » Jn 11, 26 ; « Celui qui voit le Fils et croit en lui a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 40). Mais moi qui suis homme, comment pourrais-je avoir la vie de Dieu en moi, si Dieu ne vient pas lui-même partager l’existence humaine ? Pour que la vie divine et la vie humaine se rencontrent et s’unissent, Dieu a voulu qu’à un moment de l’histoire, le Fils éternel prenne chair en Jésus de Nazareth, qu’il soit à la fois vrai Dieu et vrai homme, que Dieu vive vraiment notre existence humaine, jusqu’au bout, jusqu’à la mort.

Devant le Saint Suaire, se pose la question limite de la vérité de cette union de la vie de Dieu et de la vie de l’homme en Jésus : a-t-il vraiment souffert dans sa chair ou est-ce simplement une manière de parler ? Et surtout, qu’est-ce que cela change pour nous ? Car après tout, pour Jésus, tout est bien. Il est ressuscité, il est monté aux cieux et a été glorifié auprès du Père, il a envoyé son Esprit et toutes les prophéties se sont accomplies en Lui. Mais à quoi bon, si cela ne change rien réellement dans notre vie ! Précisément, si Jésus a vécu tout cela dans sa chair, je reçois la garantie de pouvoir moi aussi ressusciter dans ma chair ! Vous pourrez relire tel ou tel passage des épitres de Paul : « Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » 2 Co 5, 15. « Si le Christ n’est pas ressuscité, alors nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15, 19), parce que notre vie est vouée à la mort. Oui, le Christ est vivant auprès du Père dans la gloire de Dieu pour que nous ayons part à la vie éternelle !

Depuis l’Ascension et jusqu’à son retour, nous ne voyons plus la personne de Jésus de Nazareth (sauf une grâce tout à fait exceptionnelle sur laquelle nous ne pouvons pas compter). Aujourd’hui, nous n’avons rien à voir, mais sans le voir nous L’aimons et nous croyons en Lui, à la différence de Thomas, qui avait besoin de voir pour croire. Et le Christ nous déclare bienheureux : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jn 20, 29). Nous croyons sans avoir vu parce que ce qui emporte notre adhésion n’est pas ce que nous voyons, mais la Parole du Christ. Tous les évangiles que nous entendons au cours de la semaine de Pâques et durant le temps pascal disent la même chose : Marie-Madeleine, Jacques, Jean, deux disciples ou cinq cents frères sont témoins de quelque chose. Ils voient le Christ ressuscité, parlent ou même mangent avec lui. Ils peuvent le toucher et l’entendre et c’est très important, mais cela ne fait pas la foi. Il leur faut passer au-delà de l’expérience visible pour croire. La foi au Christ ressuscité, c’est de se rappeler ce qu’il a dit et de croire qu’il est le Fils éternel. C’est bien ce que nous vivons. Et nous sommes bienheureux parce que nous avons mis notre confiance dans la parole du Christ.

Cependant, même si nous n’avons rien à voir, nous ne sommes pas de purs esprits. La foi catholique n’est pas une adhésion à un catalogue de vérités. C’est une alliance qui s’exprime à 2 travers des réalités humaines et aussi à travers les sens. Ici-bas, nous ne voyons pas Jésus de Nazareth en chair et en os, mais nous voyons le corps du Christ ressuscité sacramentellement présent en son Église. Le Christ vivant se donne aujourd’hui à connaître et à rencontrer dans la vie et la foi de l’Église, dans les sacrements de l’Église et la parole du Christ qu’elle nous transmet, dans la pratique de l’amour du Christ à travers le peuple chrétien. Notre foi au Christ ressuscité repose premièrement sur la confiance que nous avons en sa parole, deuxièmement sur l’authenticité des sacrements qui nous sont proposés, troisièmement sur l’amour du prochain qui est le sacrement pratique et non liturgique. Ici, à travers la figure de Saint Jean Bosco, et au cours de la suite de votre pèlerinage, vous verrez comment la sainteté offre réellement le signe visible de la présence du Christ.

Voilà ce que je voulais évoquer à la suite de notre méditation de ce matin devant le Saint Suaire et de notre célébration de la fête de l’Ascension du Seigneur. Nous ne croyons pas au Christ parce que nous avons vu le Saint Suaire, mais celui-ci nous donne à réfléchir et à méditer parce que nous croyons au Christ. Et nous croyons en Lui, parce qu’il nous parle à travers les fruits de l’Esprit qu’il produit dans son Église. Il ne faut pas s’imaginer que l’on puisse contraindre la foi, c’est une illusion complète ! Vous pouvez emmener des millions de personnes à Lourdes, mais ce n’est pas parce qu’elles verront des miracles qu’elles croiront nécessairement. Et si elles croient, ce ne sera pas à cause des miracles, pas plus que pour ceux qui ont suivi le Christ sur les chemins de Galilée et l’ont vu accomplir des signes merveilleux. De même, vous pouvez trainer une masse de gens devant le Saint Suaire, cela ne construira rien du tout s’ils ne connaissent pas et n’aiment pas le Christ. Mais si nous avons le cœur tourné vers Lui, nous découvrons devant le Saint Suaire la profondeur de l’amour de Dieu, manifesté dans l’offrande que Jésus fait de sa vie. Ce Saint Suaire évoque cette offrande d’une manière très réaliste. Seule notre confiance en Dieu nous permet de déchiffrer ce message, mais c’est une expérience très belle et très forte de recevoir cette confirmation de notre foi par cette expérience sensible.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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