Rebelle & Enfants loups

Critiques du père Denis Dupont-Fauville.

Rebelle

Brave

(Mark Andrews, Brenda Chapman 2012)

Les Enfants loups, Ame & Yuki

Ôkami Kodomo no Ame to Yuki

(Mamoru Hosoda 2012)

Les hasards des sorties cinématographiques ont permis que, au début et à la fin du mois d’août 2012, sortent deux grands dessins animés, l’un américain [1] et l’autre japonais [2], qui tous deux entremêlent le thème du passage à l’âge adulte et celui de la part animale qui est en l’homme (ou de la métamorphose d’humains en animaux).

Superproduction au luxe de moyens impressionnant, Brave (le titre français, Rebelle, est terriblement réducteur : pourquoi ne pas avoir choisi Intrépide, par exemple ?) est le premier produit commun des studios Walt Disney et Pixar, conjuguant le goût des belles histoires des premiers et l’irrévérencieuse intelligence des seconds. Merida, jeune et téméraire princesse écossaise, se montre si rétive aux perspectives de mariage que sa mère s’efforce de lui inculquer qu’elle demande à une vieille sorcière de changer la reine. Las ! Voici la souveraine transformée en ours, animal que le roi chasse avec prédilection. En conséquence l’adolescente, prise au piège de ses propres velléités, se voit contrainte de se dresser entre ses parents pour sauver la mère qu’elle avait crue son ennemie. Outre une somptueuse reconstitution des paysages écossais et l’humour avec lequel sont croqués les différents personnages, c’est donc à une histoire de construction de soi et de traversée des apparences que nous sommes conviés.

Puisant dans un imaginaire bien différent, Les enfants-loups, Ame & Yuki conte l’histoire d’Hana, étudiante japonaise tombée amoureuse d’un bel étudiant se révélant rapidement homme-loup, qui se retrouve bientôt veuve et mère de deux bébés, une fille et un garçon « louveteaux ». Comment les élever ? Hana choisit de se retirer dans une campagne isolée où elle découvrira la solidarité paysanne, pour permettre au frère et à la sœur de grandir en paix, à l’abri des regards inquisiteurs. Nous suivons la famille sur douze ans, accompagnant la croissance de fantasques enfants capables de se changer en un clin d’œil en loups ou en humains, jusqu’à l’adolescence où chacun aura à faire un choix, inattendu dans les deux cas, pour trouver son identité la plus profonde. Là encore, la nature est à l’honneur et une succession de délicieuses saynètes provoque des cascades de rires, alternant avec des moments d’angoisse ou d’affrontements (y compris de soi-même), qui peuvent parfois se révéler déchirants.

Bien entendu, la concomitance entre les déchirements familiaux, l’appel ou le danger des forces de la nature et l’éclosion de personnalités adultes rapprochent les deux films de façon frappante. Il semblerait que dans un monde globalisé et fragilisé tout à la fois, les mêmes inquiétudes s’expriment sous des formes différentes, dans un registre héroïque chez les uns et dans une poésie plus sentimentale chez les autres. En creux, une réflexion sur l’écologie, sur le pouvoir de l’enfance, sur les liens de rivalité et de solidarité entre les personnes (dans la famille ou entre groupes sociaux), sur la nécessité du courage et aussi sur la beauté d’un monde sans technologies modernes taraude manifestement les divers réalisateurs -et leurs publics avec eux.

Cependant, une fois constaté ce « socle » commun, ce sont surtout les différences de traitement et de sensibilités qui sont frappantes. Là où l’Amérique propose un idéal individuel, où une jeune est responsable à elle seule du dérèglement et du rétablissement de l’ordre des choses (la fratrie n’étant qu’accessoire) face à une nature essentiellement violente, le Japon tisse des liens complexes où l’harmonie des rapports entre les hommes cherche à permettre un équilibre avec les forces naturelles, régies par une logique différente mais non hostile. Dans le premier cas, tout est vu du point de vue de l’enfant qui construit ou déconstruit son univers ; dans le second, même si le narrateur est l’un des enfants, il nous convie à un retour en arrière avec la lucidité de l’adulte qu’il est devenu, se remémorant en réalité la beauté, la difficulté et aussi les souffrances d’une maternité exemplaire. Ici, l’action prime et impose sa loi, de rebondissement en rebondissement, pour que la péripétie soit surmontée avec optimisme ; là, les élans se succèdent et proposent des choix, heureux et/ou douloureux, pour que le temps puisse faire son œuvre et nous mener là où va toute chair. Au terme, l’Occident exalte une affirmation de soi, sans qu’une vraie morale se dégage malgré le côté réaliste du traitement des personnages légendaires ; l’Orient, quant à lui, laisse entrevoir des réconciliations diverses entre les personnages, les pulsions et les éléments, l’aspect féerique de l’histoire nous rendant paradoxalement très proches des personnages imaginaires.

Là où Rebelle nous fournit un excellent divertissement, spectaculaire et astucieux, au succès garanti, Les enfants loups met donc sous nos yeux une œuvre d’art subtile et délicate, à savourer et à méditer. Disney capable de second degré, Miyazaki pourvu d’un héritier ? Au-delà des surprises et des qualités respectives (et même si, on l’aura compris, la qualité du travail japonais est pour nous d’un autre ordre), le visionnage de ces deux contes apporte beaucoup plus d’enseignements sur l’homme et sur nos sociétés que la plupart des films « pour adultes » qui occupent nos écrans ces temps-ci.

P. Denis DUPONT-FAUVILLE
2 septembre 2012

[1Le 1er août sur les écrans français.

[2Le 29 août, avec un décalage d’un mois sur le Japon.

Cinéma