Rencontre du cardinal André Vingt-Trois avec les néophytes “in albis”

Saint-Séverin – samedi 29 mars 2008

Mgr André Vingt-Trois rencontre les “néophytes” (nouveaux baptisés) à l’église Saint-Séverin. Ils sont revêtus du vêtement blanc (“in albis”) reçu à leur baptême au cours de la vigile pascale.

Chers amis,

je suis très heureux de vous retrouver aujourd’hui après les longues semaines du carême qui nous séparent de l’appel décisif que nous avions vécu ensemble à la cathédrale. Aujourd’hui, ce ne sera pas le même genre de rencontre : je n’aurai pas de contact personnel avec chacun et chacune d’entre vous. Mais c’est une rencontre ecclésiale importante. Par votre baptême, votre confirmation et votre communion vous êtes entrés, comme nous le disait à l’instant l’épître de saint Pierre, dans le peuple de Dieu qui est l’Église. Vous faites partie de cette Église, vous êtes une des pierres vivantes de cette Église. C’est en tant que vous êtes pierres vivantes de cette Église que je vous accueille, moi qui suis responsable de l’Église de Paris, pour vous donner pleinement votre place, non seulement dans la communauté particulière où vous avez été baptisés, la paroisse qui vous a accueillis et dont vous faites maintenant partie, mais dans l’Église du Christ dans toute sa dimension, sa dimension universelle. Cette dimension universelle, c’est déjà pour nous le grand diocèse de Paris dont vous êtes des membres nouveaux et très chers. C’est surtout l’Église entière en toute son étendue présente et toute son histoire.
Je voudrais vous dire beaucoup de choses en ces premiers jours de votre vie chrétienne, mais je vais essayer de me limiter dans le cadre du temps dont nous disposons.

La première chose que je veux vous dire, c’est que faire partie de l’Église, c’est entrer dans une famille. Comme dans toute famille, il y a des gens très différents par l’âge, par l’histoire, par les talents, par les défauts. Il y a des gens qui nous attirent, il y a des gens que nous craignons, il y a des gens dont nous nous sentons proches, d’autres dont nous nous sentons plus lointains. Être membre de l’Eglise, ce n’est pas être seulement un individu perdu dans une foule, dans une masse ; c’est entrer en relation avec les membres de cette famille. Beaucoup de nos paroisses parisiennes sont assez importantes en nombre, avec des communautés dominicales nombreuses ; il n’est pas toujours facile d’y identifier avec qui on est en contact. Bien sûr, vous connaissez très bien celles et ceux qui vous ont accompagnés pendant votre catéchuménat, vous connaissez celles et ceux qui ont été proches de vous pendant ces semaines du carême, celles et ceux qui vous ont entourés au moment de votre baptême. Mais vous n’allez pas rester les membres chéris du catéchuménat jusqu’à la fin de vos jours !

Comme toute période de préparation et de cheminement, le catéchuménat est appelé à avoir un terme, même si ce n’est pas un terme brutal ni une rupture. En tout cas, vous êtes appelés à devenir membres adultes de cette communauté et à nouer des relations avec certains de ses autres membres. C’est un souci pour beaucoup de nos curés et des chrétiens qui les entourent de trouver comment vous aider à entrer vraiment en relation avec quelqu’un dans la paroisse à laquelle vous appartenez. Peut-être faut-il ne pas attendre en pensant que le temps résout toujours les problèmes : le temps résout parfois les problèmes, il ne résout jamais les problèmes de relations. Quand une relation n’est pas constituée, le temps ne la constitue pas. Il vaut donc mieux commencer tout de suite, - même si c’est petitement -, à identifier des personnes que vous rencontrez, des personnes avec qui vous avez la possibilité de parler, des personnes qui vont être pour vous dans cette grande famille de l’Église ceux qui sont les plus proches. Être chrétien, ce n’est pas seulement entrer le dimanche dans l’église pour suivre plus ou moins, plus ou moins bien, la liturgie ; c’est aussi entrer dans une famille avec tous ses membres.

Je voulais aussi vous encourager et vous inviter à ne pas vous tromper. Sans doute au long de votre catéchuménat avez-vous lu et médité dans les évangiles le récit du baptême du Christ. Vous avez vu comment, lorsqu’il il est sorti de l’eau du Jourdain, les cieux se sont ouverts et l’Esprit Saint est descendu sur lui comme une colombe et une voix s’est fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Ce qui est arrivé à Jésus dans le baptême au Jourdain, vous l’avez vécu, vous, au cours de la vigile pascale : les cieux se sont ouverts, l’Esprit Saint est descendu non pas sous la forme d’une colombe mais sous la forme d’une onction du Saint Chrême et vous êtes vraiment devenus enfants de Dieu. J’espère que vous avez poursuivi la lecture de l’Évangile au-delà du récit du baptême du Christ : vous aurez découvert peut-être avec surprise, en tout cas certainement en vous posant quelques questions, ce que les évangiles nous disent aussitôt après le baptême : « Poussé par l’Esprit, il fut conduit au désert par l’Esprit pour y être tenté ». Cela demande quelques explications parce que dans notre mentalité nous identifions souvent la tentation avec une faiblesse ou une faute. Or, ce que l’Évangile ne nous dit pas que la tentation soit une faiblesse ou une faute mais qu’elle est une épreuve et qu’à cette épreuve, nous sommes confrontés, conduits par l’Esprit et assistés par l’Esprit. Ainsi, vous-mêmes, remplis de l’Esprit Saint, vous allez être conduits à travers votre vie chaque journée de votre vie, dans chacune de vos occupations. Vous allez être conduits par l’Esprit à rencontrer vous aussi l’épreuve. L’épreuve, c’est de se trouver confronté à des choix. Faut-il ou ne faut-il pas faire ceci ou cela ? Si nous n’étions pas des êtres humains libres et éduqués dans notre liberté, nous serions des êtres d’instinct comme les animaux. Nous ne serions pas confrontés à des choix mais à des appétits. Devant sa gamelle, le chien mange, il ne se pose pas de question pour savoir s’il est bon qu’il mange ou si c’est un mal. Face à une nourriture, l’homme ne se contente pas de manger, il doit savoir si manger est pour lui un bien ou un mal.

Notre gamelle, si je puis dire, c’est la société dans laquelle nous vivons, c’est la profusion de possibilités de toutes sortes qui se présentent à nous, c’est l’appel de quantité d’activités plus ou moins séduisantes, plus ou moins attrayantes, plus ou moins chères aussi. C’est le sentiment que l’on peut faire beaucoup de choses dès l’instant que l’on a des moyens financiers, et c’est le sentiment que l’on est vraiment malheureux si on n’a pas d’argent pour acquérir ce que l’on voit ou faire ce qui se présente à nous.

L’épreuve de l’homme, c’est de n’être pas soumis à ses appétits ni à sa consommation, mais d’être capable de choisir et de décider. L’Esprit Saint que vous avez reçu est un Esprit de lumière et de force pour éclairer votre intelligence, pour vous aider à comprendre les choix auxquels vous êtes confrontés et vous donner la force pour choisir ce qui est bien et rejeter ce qui est mal. Dans cet exercice de la liberté, nous avons des ratés. Il nous arrive justement parce que nous sommes libres de choisir ce qui est mauvais et de ne pas choisir ce qui est bon. Saint Paul nous dit dans l’épître aux Romains : « Il y a deux hommes en moi : le bien que je voudrais, je ne le fais pas ; le mal que je refuse, je le fais ». Cette expérience de la liberté telle que saint Paul la décrit dans cette formule très concise, nous en faisons chaque jour nous-mêmes l’expérience. Nous faisons des choses que nous ne voulons pas, que nous ne voudrions pas faire et nous ne faisons pas des choses que nous pensons devoir faire. Quand notre liberté a ainsi des ratés, on fait de erreurs, on peut faire du mal, on peut s’éloigner de Dieu. Le chemin par lequel on s’éloigne de Dieu à travers nos choix, cela s’appelle le péché. La grande nouvelle que nous avons reçue par l’annonce de la résurrection du Christ au cours de la vigile pascale, c’est que l’amour de Dieu est plus grand que notre péché. C’est que Dieu est plus grand que nos erreurs, c’est que Dieu est plus grand que nos faiblesses. Donc, s’il nous arrive de faire mal, de mal choisir, de mal engager notre liberté, nous ne devons pas nous décourager et penser que nous sommes devenus des apostats parce que nous n’avons pas été fidèles à notre baptême. Nous devons penser au contraire que l’épreuve que nous avons traversée en y succombant est une invitation, un signal, un avertissement pour que nous comprenions que nous demeurons à la fois des êtres libres et des êtres faibles.

D’être libres et faibles ne nous sépare pas de Dieu mais nous invite à revenir vers Dieu avec le regret de ce que nous avons fait, avec le désir d’être pardonnés, de recevoir son pardon et l’intention de mieux faire à l’avenir. Je vous le dis parce que cette expérience a été vécue par les premières générations de l’Église de manière douloureuse : les premiers chrétiens pensaient qu’une fois baptisés, ils étaient nés à la vie nouvelle et ne pourraient plus pécher. Ce qu’ils ont découvert par l’expérience, c’est qu’il y avait encore en eux du péché. La grande question à laquelle ils ont été confrontés a été : n’y a-t-il plus aucune chance après le péché ou y en-a-t-il une ? Peu à peu, à travers la réflexion et la pratique de l’Église, ils ont compris que la miséricorde de Dieu n’abandonnait pas ses enfants et que ceux-là mêmes qui s’étaient détournés de lui pouvaient revenir à lui et recevoir le pardon. C’est ce que nous appelons le sacrement de la réconciliation. Ainsi, en ce dimanche de la miséricorde, c’est une bonne nouvelle pour nous de découvrir que la miséricorde de Dieu est plus forte et plus puissante que notre faiblesse et que la tiédeur de notre amour.

Il est une troisième chose que je voudrais vous dire. Qu’allez-vous faire ? La vie, votre vie, la vie de chacun et de chacune d’entre vous, va-t-elle continuer comme avant ? Comme si de rien n’était, comme si le baptême n’avait rien changé ? Jeudi, vous êtes allés travailler, vendredi vous êtes allés travailler, - peut-être pas le samedi quand même -, le samedi soir vous avez été baptisés ; le lundi de Pâques, vous vous êtes reposés, et le mardi matin vous êtes retournés travailler. Vous étiez les mêmes et, pourtant, vous étiez des créatures nouvelles. Alors, qu’est-ce que cette vie nouvelle que vous avez reçue change pour vous ? Continuez-vous à vivre comme avant, ou bien, à travers le long chemin du catéchuménat, avez-vous avez découvert qu’il y avait une manière chrétienne de vivre ? Cette manière chrétienne de vivre se caractérise par trois dimensions que je vous rappelle brièvement. La première dimension, c’est la foi comme vous l’avez professée au moment de votre baptême quand on vous a invités à répondre aux questions sur la foi. Être chrétien, c’est croire en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit. Mais croire en Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, ce n’est pas simplement avoir des idées sur Dieu, avoir une opinion sur Dieu, avoir sa petite idée sur Dieu, c’est rencontrer Dieu. Croire, ce n’est pas seulement penser, c’est être en relation avec Dieu. Cette relation avec Dieu se réalise à travers la prière à laquelle vous êtes invités quotidiennement. Cela veut dire chaque jour et, si possible, plusieurs fois par jour. La prière, ce n’est pas une chose compliquée : c’est se mettre devant Dieu, lui ouvrir son cœur, lui dire qu’on l’aime. Cela peut se faire de toutes sortes de manières différentes, mais l’important c’est de le faire, de ne pas laisser passer une journée sans nous tourner vers Dieu et lui dire : « Je suis ton enfant, je veux être ton enfant et je veux t’aimer comme mon Père ». Ne pas laisser passer une journée sans lui dire : « Je crois en toi, j’ai confiance en toi, je m’appuie sur toi ». La foi s’exprime par cette relation quotidienne avec Dieu. Plusieurs fois par jour, à différents moments de notre journée, nous pouvons nous retrouver seuls dans le métro, dans l’autobus, dans un tram, en marchant. On n’a rien à faire, rien à penser ; alors, notre cœur peut s’ouvrir à Dieu qui nous aime. Si nous pensons à ceux qui nous sont proches et qui occupent notre cœur et nos pensées, nous pouvons les porter avec nous dans cette relation avec Dieu. Être chrétien, c’est croire en Dieu ; être chrétien, c’est vivre de l’amour de Dieu et aimer son prochain comme soi-même. Que va vouloir dire, que veut dire pour nous mettre en pratique ce commandement de l’amour ?

Aimer son prochain comme soi-même. Vous savez que, dans l’Évangile, le scribe qui avait posé cette question à Jésus, voulant se justifier, lui demande : « Mais qui est mon prochain ? ». Qui puis-je considérer comme mon prochain ? Des gens que je connais, qui me sont proches ou des gens que je ne connais pas, que la vie met sur mon chemin ? Jésus répond à cette question en racontant l’histoire de cet homme qui a été agressé sur la route de Jéricho à Jérusalem et qui est laissé pour mort au bord du chemin et dont seul un Samaritain s’est approché pour prendre soin de lui. A la fin de l’histoire, Jésus demande au scribe : « A ton avis, - non pas qui est le prochain - mais qui s’est fait le prochain de l’autre ? » Le prochain, c’est celui dont nous nous faisons proche. Aimer son prochain, c’est découvrir notre prochain à travers un geste, une attention, un service, une pensée d’amour. Comment aimons-nous ceux qui nous entourent et pas seulement ceux qui nous aiment ? Comment aimons-nous ceux que la vie met sur notre chemin ? Comment nous faisons-nous proches de ceux qui sont loin de nous ?

Être chrétien, c’est croire en Dieu ; être chrétien, c’est aimer son prochain ; être chrétien, c’est vivre dans l’espérance. L’espérance, c’est la confiance que nous exprimons à Dieu pour l’avenir. C’est la certitude que « celui qui nous a appelés, - comme saint Pierre le disait à l’instant -, des ténèbres à son admirable lumière », celui qui nous a appelés à la vie par la Création, celui qui a sauvé son peuple d’Égypte par la traversée de la Mer Rouge, celui qui l’a ramené de l’Exil en Israël, celui qui a envoyé son propre Fils, son Fils unique non pas pour condamner le monde mais pour sauver le monde, celui qui a répandu son Esprit pour que l’Église soit constituée et devienne témoin de son amour, celui-là n’abandonne jamais. Il est pour toujours fidèle à son Alliance, il ne reprend pas ce qu’Il a donné. Mon espérance se forge à travers tous les signes que Dieu a donnés au long des siècles et à travers les signes qu’Il a donnés au long de ma propre vie. Quand vous avez réfléchi sur votre vie en déchiffrant des circonstances, des situations, des rencontres, des personnes qui ont été des signes de Dieu pour vous, vous avez découvert ce que Dieu a fait pour vous et vous savez qu’Il ne reprendra pas ses dons, que ce qu’Il a fait pour vous, Il continuera de le faire, que l’amour qu’Il vous a manifesté depuis les origines continue jusqu’à la fin des temps. Mon espérance, c’est que les événements de cette vie ne peuvent pas effacer ou abolir cet amour de Dieu ; c’est que la vie qu’Il nous a donnée, Il la nourrit, il la protège et il la conduit. Si je crois vraiment que Dieu m’aime, que son amour est fidèle, qu’il ne me fera pas défaut, cela veut dire que je ne peux pas regarder l’avenir de ma vie et de la vie du monde comme une menace, comme un danger, comme quelque chose qui pourrait anéantir en moi ce don de Dieu. Il y a quelque chose entre Dieu et moi, entre Dieu et l’humanité qui s’appelle l’Alliance. Cette Alliance, rien ne peut la détruire. Cela veut dire que, même si je suis d’un tempérament inquiet, ce qui arrive quelquefois à certaines gens, si j’ai tendance à me faire du souci pour le lendemain, si j’ai tendance à me poser sans cesse des questions sur ce qui va arriver, si j’ai tendance à m’inquiéter pour ceux que j’aime, - ce qui est tout à fait naturel -, la certitude que Dieu est avec nous et qu’il nous accompagne tout au long du chemin doit me permettre de surmonter ce tempérament d’inquiétude, de surmonter mes craintes et d’avancer vers l’avenir avec confiance.

Quatrième chose que je voudrais vous dire, ce sera la dernière : vous êtes membres d’une Église qui a une mission dans le monde. La mission de l’Église dans le monde, c’est d’être témoin de l’amour de Dieu pour les hommes. Ce témoignage de l’amour de Dieu pour les hommes, nous le portons principalement en donnant le signe de la foi par nos assemblées, par notre prière, par notre écoute et notre méditation de la parole de Dieu, par notre amour du Christ et de l’Église. Ce témoignage de l’amour de Dieu pour les hommes, nous le donnons à travers les activités de l’Église. C’est-à-dire à travers les initiatives que prend l’Église pour venir en aide aux hommes. Dans chacune des communautés de notre diocèse, dans chacune de vos paroisses, des hommes et des femmes se mobilisent pour être signe de cet amour de Dieu pour les hommes. Ils le font de toutes sortes de façons, depuis la manière d’accueillir les gens dans l’Église, de repérer ceux qui sont abandonnés ou dans la misère, en passant par les équipes qui circulent dans la ville pour aller à la rencontre de ceux qui sont abandonnés, par les mouvements et les organismes qui sont mobilisés pour venir au secours des pauvres, jusqu’à celles et ceux qui s’engagent personnellement dans le soin des malades et des hommes et des femmes abandonnés, toutes sortes d’activités de notre Église contribuent à ce signe présent et agissant dans la société. Par votre baptême, vous êtes appelés à participer à ce signe, chacun selon ses moyens, selon ses capacités, selon ses contraintes aussi, mais chacun doit chercher comment il va apporter son soutien à ces activités.

Tout cela est un vaste programme. Je suis sûr que l’Esprit Saint que vous avez reçu vous rend capables d’entendre cet appel et d’y répondre comme il vous rend capables de trouver votre place dans votre communauté chrétienne. Là est maintenant votre famille spirituelle : la place qui vous est donnée dans cette famille, vous devez l’occuper par vous-mêmes. Je vous souhaite beaucoup de joie dans le chemin de la foi et je serai très heureux dans un instant de vous accueillir à la cathédrale et de prier avec vous pour rendre grâce à Dieu. Merci.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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