Calvin légitimait le prêt à intérêt (Martin Bernard)

« Ce n’est qu’au moment de la Réforme – dont on fêtera le 500e anniversaire en 2017 – que le prêt à intérêt trouvera une certaine légitimité théologique. Sous l’impulsion principale de Calvin, à Genève. » Cet article est apparu sur le site Protestinfo,

Au XVIe siècle, Jean Calvin a été le premier théologien à cautionner la pratique du prêt à intérêt en Europe. Dans le cadre des 500 ans de la Réforme, retour en deux volets sur cet aspect peu connu de l’œuvre du célèbre réformateur. Et sur la pertinence de cette pratique dans l’économie moderne. (1/2)
Par Martin Bernard dans protestinfo

Le prêt à intérêt est au cœur du fonctionnement de la finance contemporaine. Son impact est considérable, et affecte directement les ménages, les entreprises et les Etats. Parfois remis en question, il n’a pourtant pas toujours existé sous sa forme actuelle. Durant tout le Moyen-Age européen, la pratique est en effet prohibée par l’Église catholique. Ce n’est qu’au moment de la Réforme – dont on fêtera le 500e anniversaire en 2017 – que le prêt à intérêt trouvera une certaine légitimité théologique. Sous l’impulsion principale de Calvin, à Genève.

Qu’est-ce que l’intérêt aujourd’hui, et pourquoi était-il interdit au Moyen-Age ? « En finance, l’intérêt est la rémunération d’un prêt, sous forme, généralement, d’un versement périodique de l’emprunteur au prêteur », indique Bernard Bayot, directeur du réseau Financité, qui promeut en Belgique des initiatives de finance solidaire. C’est, en d’autres termes, le loyer de l’argent, le prix à payer pour pouvoir en disposer. Communément admise aujourd’hui, cette conception est cependant relativement moderne.

Aristote et les scolastiques
Dans l’antiquité, le philosophe grec Aristote s’oppose à l’idée que l’argent puisse produire de l’argent et s’accumuler. Pour lui, « il est donc par nature injuste que le prêt d’une somme d’argent engendre un surplus. La nature de la monnaie repose sur sa fonction d’intermédiaire des échanges et d’étalon monétaire. Comme intermédiaire, elle ne peut pas être considérée comme une marchandise, ce qui intervient lorsque le paiement d’un intérêt est envisagé », écrit Pascaline Houriez, consultante en entreprise et suivi de projet, dans le numéro 266 de la revue de théologie de la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence.

Cette définition se trouve être en accord avec des indications du Deutéronome et de l’Evangile de Luc. Elle influencera fortement les Pères de l’Église au Moyen-Age. De fait, le prêt à intérêt est condamné canoniquement en 325 lors du Concile de Nicée, puis également par Charlemagne au début du IXe siècle. Au XIIIe siècle, dans sa « Somme théologique », Thomas d’Aquin écrit que « recevoir un intérêt pour de l’argent prêté est en soi injuste, car c’est faire payer ce qui n’existe pas ». En ce qui concerne l’argent, il ajoute : « il a été principalement inventé pour faciliter les échanges ; donc son usage propre et principal est d’être consommé, c’est-à-dire dépensé, puisque tel est son emploi dans les achats et les ventes. En conséquence, il est injuste en soi de se faire payer pour l’usage de l’argent prêté ; c’est en quoi consiste l’usure… » Le droit canonique condamnera le prêt à intérêt jusqu’en 1830, et ne le rendra licite qu’en 1917. Cela dit, si l’intérêt était prohibé durant tout le Moyen-Age, des exceptions existaient, et de nombreux artifices commerciaux permettaient aux marchands de contourner l’interdit.

Le virage calviniste
En 1545, cependant, lorsque Jean Calvin, dans sa fameuse lettre à Claude de Sachins, apporte sa caution morale à la pratique de l’intérêt, il rompt de fait avec une tradition judéo-chrétienne vieille de près de trois millénaires. Il se démarque en cela de Luther et Zwingli. Contrairement à Aristote et aux scolastiques, Calvin considère que la monnaie est une marchandise comme une autre. « Pour lui, il n’y a pas besoin d’avoir une approche particulière de l’argent. L’argent est un bien qu’on prête contre un loyer, de la même manière qu’on loue un appartement. C’est simple, mais c’est une vraie révolution conceptuelle », explique François Dermange, spécialiste de l’éthique économique à l’Université de Genève.

Une fois cela posé, cependant, Calvin émet plusieurs restrictions morales à cette pratique. « La principale est que le prêt à intérêt ne vaut pas pour le pauvre », souligne Michel Grandjean, historien du christianisme à l’Université de Genève. « Pour Calvin, il faut donc distinguer entre celui qui emprunte pour investir et celui qui emprunte pour se nourrir. Dans le premier cas, l’intérêt est légitime, dans le second, il ne l’est pas ». Ainsi, selon Calvin, si la Bible condamne bien l’usure là où devrait se manifester la charité, rien n’est précisé concernant le prêt de production nécessaire, par exemple, à la mise en œuvre d’une nouvelle entreprise rémunératrice et créatrice de richesses. Cependant, le réformateur ne souhaite pas voir la fixation du taux d’intérêt laissée à la libre volonté des acteurs économiques. Il n’est ainsi pas question pour lui de faire du commerce d’argent un métier. C’est pourquoi il s’oppose en 1563 à la création d’une banque à Genève.

La réflexion de Calvin s’inscrit par ailleurs dans un contexte particulier. La Genève d’alors connaît une récession économique suite aux luttes politiques et religieuses de la Réforme, et au déclin des foires commerciales. Ce n’est qu’avec l’arrivée de nombreux réfugiés protestants que l’essor de la ville reprend. « Il était alors urgent de trouver de nouveaux moyens d’accroître l’activité économique », explique François Dermange. « La pratique de l’intérêt a permis un fort développement de celle-ci. Et indirectement, elle a aussi permis, plus tard, de développer l’activité financière ». S’il n’est pas directement à l’origine du capitalisme moderne, dont il pressentait les abus extrêmes, Calvin a donc favorisé le développement d’un terreau sur lequel il a pu ensuite s’épanouir.

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