Ce qu’il faut retenir de 2019

Paris Notre-Dame du 19 décembre 2019

L’incendie de Notre-Dame, le synode sur l’Amazonie, la lutte contre les abus dans l’Église, le dialogue islamo-chrétien,… autant de grands thèmes qui ont traversé 2019. Événements heureux ou malheureux, crises ou élans missionnaires, ils ont fait de cette année, une année particulière. En nous obligeant à nous interroger, en nous bousculant, ils nous mettent en chemin. Pour le dernier numéro de l’année, Paris Notre-Dame donne la parole à des personnalités qui, parmi d’autres, les incarnent.

L’art, secousse salutaire

Maud de Beauchesne
Ancienne responsable du département Art sacré du Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle de la Conférence des évêques de France, nommée consulteur en novembre dernier au Conseil pontifical pour la culture.

© D.R.

« Nous avons fêté cette année les vingt ans de la Lettre aux artistes du pape Jean Paul II. À cette occasion, un colloque a été organisé par l’Institut supérieur de théologie et des arts de l’Institut catholique de Paris. Nous y avons remarqué l’étonnante actualité de cette lettre et le travail qu’il reste pour la mettre en œuvre. L’Église et la société ont encore beaucoup de chemin à parcourir notamment sur la manière d’apprécier et d’entrer en dialogue avec les œuvres d’aujourd’hui. Jean-Paul II a beaucoup axé sa réflexion sur la beauté comme élévateur d’âme. Mais il précisait également que l’art est à apprécier même lorsqu’il scrute les parties les plus obscures de l’être humain. C’est le rôle des artistes de traiter les questions existentielles dans les profondeurs lumineuses et obscures de l’homme. Ceci nous rappelle combien l’humanité est dans l’attente d’être sauvée. C’est un point très intéressant que Benoît XVI développera dix ans plus tard lors d’une rencontre avec des artistes au Vatican. Lui considérera qu’une “fonction essentielle de la véritable beauté […] consiste à donner à l’homme une ‘secousse’ salutaire qui le fait sortir de lui-même”. Aujourd’hui, cette beauté demande parfois une forme de volonté, de patience pour pouvoir être appréciée. Tout comme la vie de foi, finalement. Quand il est authentique, l’art, y compris l’art contemporain, a une profonde affinité avec le monde de la foi. »

Un siècle d’adoration perpétuelle à la Basilique de Montmartre, « un miracle permanent »

Sœur Cécile-Marie
Bénédictine du Sacré-Cœur de Montmartre.

© D.R.

« Dès que le projet de construction de la basilique est né, cet appel à instaurer l’adoration perpétuelle au sein de ce lieu unique s’est déployé, à la fois dans l’esprit des laïcs parisiens à l’origine du projet et dans celui de notre fondatrice, Adèle Garnier. Cette intuition que, dans ce lieu, le Saint-Sacrement puisse être exposé nuit et jour, comme source d’amour jaillissant de l’eucharistie. La France traversait alors une crise profonde avec la défaite de 1870. Pour ces pères de famille, cette crise n’avait pas que des causes matérielles, mais résultait aussi d’un manque de foi et de fidélité. Depuis plus d’un siècle cette prière d’adoration se perpétue à la basilique, sans interruption. Par cette prière, nous nous mettons en présence de Dieu, dans le silence, en toute humilité. Ce Dieu, à la fois transcendant et proche, que chacun de nous peut rencontrer. Cela fait quatre ans que je suis à Montmartre et je m’émerveille encore de voir tous ces gens venir parfois de si loin pour l’adoration, comme ces lycéens qui ont bravé la grève et fait deux heures de marche. Ou comme cette famille venue se préparer à Noël. Cette adoration perpétuelle, c’est une suite de petits miracles permanents. Et seul Dieu sait qui va venir prier le soir. »

« Voir dans l’autre un frère »

Hubert de Chergé
Frère du bienheureux Christian de Chergé, martyr d’Algérie.

© Guillaume Poli / CIRIC

« Lors de la béatification des 19 martyrs d’Algérie à Oran le 8 décembre 2018, j’ai eu le sentiment profond que la grâce du martyre chrétien allait de pair avec la rencontre de l’ami musulman des derniers instants. À cette célébration ont été associés Mohamed Bouchikhi, chauffeur musulman de Mgr Pierre Claverie, assassiné en même temps que lui en 1996, ainsi que cet autre Mohamed qui s’est sacrifié pour la vie de mon frère Christian, en 1959. Cités également, les imams et les 200 000 morts durant la décennie noire en Algérie. Cela introduit le sens fort donné au dialogue islamo-chrétien en 2019. Dans le Document sur la fraternité humaine signé le 4 février à Abou Dabi (Émirats arabes unis) entre le pape et le grand imam d’Al-Azhar, ces deux leaders incontestables affirment que le croyant est engagé par sa foi à “voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer”. Avec deux champs d’action commune : la sauvegarde de la Création et l’aide aux plus pauvres. C’est ce dont ont témoigné, en octobre 2019, les acteurs des célébrations des 800 ans de la rencontre de Damiette entre François d’Assise et le sultan d’Égypte. Les initiatives sont modestes mais de plus en plus nombreuses, dans un contexte de rupture sociale qui nous oblige. Quant à l’enjeu spirituel, notre foi chrétien ne grandit au contact d’autres croyants. »

Pour un dynamisme missionnaire

P. Antoine d’Eudeville
Curé de N.-D.-des-Champs (6e), paroisse qui a accueilli le Congrès Mission du 27 au 29 septembre 2019.

© Isabelle Demangeat

« Avec la paroisse, nous avons eu la joie d’apporter notre petite pierre à l’édifice grandissant du Congrès Mission, où l’on s’est émerveillé du dynamisme missionnaire de l’Église en France. On y a reçu des témoignages et encouragements pour notre foi. Mais aussi l’énergie de l’Esprit Saint pour poursuivre nos propres initiatives, comme notre mission paroissiale “Neuf jours pour…”, que nous souhaitons reconduire en juin 2020. En 2019, de nombreuses paroisses, fidèles et prêtres, ont continué à poser des choix missionnaires, capables, selon l’appel du pape François, “de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale deviennent un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel” (La joie de l’Évangile). Comme ce dîner d’Avent dans notre église, ouvert à tous, avec un temps de partage autour de l’Évangile. Comme ces formations à l’exercice des charismes pour la mission, à la prière des frères, à la prière de guérison et de délivrance, proposées par le diocèse. Formations et missions encouragées par l’archevêque de Paris, pour servir dans l’obéissance humble et audacieuse, l’appel du Christ : “Guérissez les malades […] expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement” (Mt 10, 8). »

Synode sur l’Amazonie

Elena Lasida
Chargée de mission écologie et société à la Conférence des évêques de France. Professeur d’Économie à l’Institut catholique de Paris.

© D.R.

« Vu d’Europe, le synode sur l’Amazonie peut sembler “exotique” mais en réalité, ce qui s’est déroulé à Rome nous concerne tous. D’abord parce que l’Amazonie représente un enjeu écologique planétaire : ses forêts sont le poumon de la planète et jouent un rôle capital dans l’équilibre de l’écosystème. Le pape le dit dans l’encyclique Laudato Si’, si pour nous, chrétiens, la question de la pauvreté humaine est essentielle, il ne faut pas oublier que la plus pauvre parmi les pauvres, c’est la Terre. Mais ce synode a aussi permis de rappeler que cette zone de la planète présente des réalités particulières, notamment en ce qui concerne les populations indigènes. La question de la diversité culturelle est ici frappante. C’est d’ailleurs un des aspects mis en avant dans Laudato Si’. Certes, l’Église est une et universelle, mais dans cette Église existent des cultures différentes. Il est normal que chaque communauté puisse s’emparer de cette foi commune de façon particulière. Dans l’exhortation La joie de l’Évangile, le pape utilise une belle image pour parler de l’unité. On peut la penser comme une sphère, sur laquelle tous les points sont indifférenciés, ou la penser comme un polyèdre, avec des facettes sur lesquelles chaque point est différent de l’autre. Chaque figure forme un ensemble, mais sur le polyèdre les différences ne sont pas gommées. Si la nature nous donne à voir cette symbiose entre tous les êtres vivants, la même chose doit être pensée pour les communautés humaines, différentes mais complémentaires. »

Notre-Dame de Paris

Laurent Prades
Régisseur général de la cathédrale Notre-Dame.

© Laurence Faure

« Le début de l’année 2019 a été marqué par une importante fréquentation liturgique et touristique à Notre-Dame. Une image de la concomitance qui
imprègne la cathédrale, entre le culturel et le spirituel. Parmi les millions de visiteurs annuels, étrangers, non-croyants ou d’autres religions, tout un chacun pouvait devenir pèlerin, touché par la beauté de l’édifice et le mystère de la foi qu’il incarne. L’incendie du 15 avril, ce Lundi saint 2019, restera un drame. Pour le monument lui-même, bien sûr, mais aussi pour le fonctionnement de la cathédrale et pour ses employés : tout s’est effondré brutalement. Quelques jours après, au matin de Pâques, très ému, je me suis à nouveau retrouvé dans la nef. Là où résonnaient depuis des siècles les alléluias pascals, régnait un silence effrayant, assourdissant. Mais, de la voûte de la croisée béante, un rayon de soleil frappait le sol : allégorie de la Résurrection, de l’espoir après l’effroi, à l’image de l’immense chantier actuel. Avec des perspectives encourageantes : un édifice rénové dans lequel se déploiera à nouveau cette spiritualité et cette vocation particulières, adaptées aux réalités du lieu et à notre temps, afin que Notre-Dame puisse, comme par les siècles passés, rester largement ouverte sur le monde. »

Pour les jeunes, « une année de refondation »

P. Thibaut de Rincquesen
Vicaire à St-Germain-des-Prés (6e), aumônier de la Sorbonne et des Chrétiens en Grandes Écoles du Centre de Paris. Coordinateur de l’École du Verbe nouveau et éternel (ÉVEN) national.

© Isabelle Demangeat

« L’année 2019 a été, pour les jeunes, une année de refondation. Il y a eu des choses très éprouvantes comme ces scandales qui ont éclaboussé l’Église. Cependant, ce contexte ne bloque par leur rapport à l’Église et ne les empêche pas de se dire qu’ils ont quelque chose à recevoir d’elle. J’ai en tête l’image du germe qui pousse, discrètement, mais dans la ténacité. Nous recevons toujours autant de demandes de baptêmes, de confirmations. Nos aumôneries débordent. Les JMJ au Panama et à Panam’, le pèlerinage de Chartres, Open Source, ont rassemblé des milliers de jeunes. Tout comme ces veillées de prière spontanées organisées la nuit de l’incendie de Notre-Dame. Ces moments montrent une vitalité de foi et une volonté de se recentrer sur les fondamentaux. Je pense notamment à ces étudiants en médecine qui se rassemblent pour prier, vivre la messe, recevoir l’Évangile. Ils ressentent le besoin de poser des bases solides dans leur foi et dans leur pratique de la prière pour affronter un monde non-chrétien où leur foi pourra être mise à l’épreuve. Je suis extrêmement confiant. Les jeunes connaissent mieux que nous les grandes questions de leurs contemporains. Comme le dit le pape François dans Christus vivit, l’exhortation apostolique post-synodale, “ils sont le présent”. Ils ont déjà vu ce que nous ne voyons pas. »

Abus dans l’Église

Jean-Marc Sauvé
Président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, mise en place en février 2019 à la demande de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France.

© Alain Guizard

« Quand on m’a proposé de prendre la tête de cette commission, j’ai d’abord
hésité, car j’ai mesuré l’ampleur de la charge de travail et son caractère éprouvant. Et j’ai finalement accepté. Pourquoi ? Parce que l’Église catholique s’engageait dans une démarche de transparence et de vérité et que j’estimais, en tant que citoyen et comme catholique, que je pouvais difficilement me dérober face à une telle sollicitation. Mais, même si mes collègues et moi-même pressentions l’ampleur de la tâche, nous avions largement sous-estimé sa difficulté. Il y a en particulier quelque chose qu’on ne soupçonne pas, c’est la profondeur des blessures laissées par les abus sexuels. Plusieurs décennies après, ce qui s’est passé non seulement n’a pas été oublié, mais continue de bouleverser les existences. À travers les témoignages qui nous parviennent, nous sommes confrontés à cette douleur à la fois retenue, cachée et souvent très profonde. Certaines victimes ont pu subir des abus caractérisés et les avoir profondément enfouis. Ces traumatismes ressurgissent, des dizaines d’années après, à l’occasion du décès d’un proche ou d’un parent, par exemple. C’est parce que beaucoup de ces faits sont prescrits et ne peuvent plus être jugés, que ce travail de recueil de la parole et de réparation, au moins morale, est nécessaire. Saint Paul dit : “Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?” (1 Co 3, 16). Ces paroles très fortes rappellent l’absolue incompatibilité entre les abus sexuels et le message évangélique : ces abus conduisent à profaner le sanctuaire de Dieu. Les démarches engagées par l’Église, le travail que nous effectuons sont un signe d’espérance. Mais plus fondamentalement, je crois qu’on ne peut garder l’espérance qu’au travers de l’écoute et de la mise en pratique de la parole de Dieu. »

Bioéthique

Blanche Streb
Docteur en pharmacie, directrice de la formation et de la recherche pour Alliance Vita, auteur d’Éclats de vie (éd. de l’Emmanuel, octobre 2019).

© Paul Augustin Frécon

« Ce qui s’est passé en 2019 n’est pas, selon moi, un tremblement de terre. Depuis la première loi bioéthique votée en 2004, les digues de protection s’effondrent de plus en plus. L’année 2019 a montré une accélération dans cet effondrement. La vocation initiale du projet de révision de loi – encadrer les progrès de la science – était bonne. Mais ce projet est devenu un guet-apens au profit de revendications sociétales et politiques plus qu’éthiques. Les grands principes de respect de l’être humain ont été très abîmés. Nous devons nous inquiéter de l’état de notre démocratie où s’est immiscé le règne du mensonge. Mais ne pas nous focaliser sur ce projet de loi. N’oublions pas que, nous chrétiens, nous inscrivons dans le temps long. Notre espérance ne doit pas se conserver à la force du poignet. L’espérance n’est pas derrière nous. L’espérance est là, devant nous. Dans toutes ces lampes allumées par ces personnes qui prennent soin les unes des autres, de leur parent ou enfant malade ; par ces professeurs qui continuent à transmettre leur savoir ; par ces congrégations qui prient pour notre pays, notre monde… L’espérance ne déçoit pas. À nous de ne pas la décevoir. Nous, chrétiens, qui la recevons, nous devons la faire vivre. Nous sommes appelés à aimer ce monde, notre monde, la vie. La bioéthique, plus qu’une loi, est une culture de vie. »

Une maison pour l’accueil des personnes migrantes

Zhila
Vivant à Paris, Zhila [1], originaire d’Afghanistan, a participé à la conception de la Maison Bakhita. Présentée en septembre dernier, cette maison ouvrira officiellement le 8 février 2021.

« Je suis partie d’Afghanistan en 2015. Avec mes trois enfants – je suis veuve – nous sommes passés par la Grèce. Là, je travaillais pour l’association Danish Refugee Council (DRC) qui aide les réfugiés. Il s’agissait d’écouter leurs attentes et d’essayer d’y répondre. En tant que réfugiés, nous avons besoin de trouver un lieu pour vivre mais surtout d’intégrer une nouvelle culture. C’est pour cela que je pense que la Maison Bakhita du diocèse de Paris est très importante. Pour donner une chance aux personnes migrantes de pouvoir mieux découvrir la société française. Nous, réfugiés, recommençons notre vie à zéro en arrivant dans un nouveau pays. Nous avons besoin de mieux comprendre les habitudes culturelles. Apprendre la langue est une première étape. Quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue du pays où il habite se sent exclu de la société et de sa propre vie. Il est également important de comprendre les règles sociales, le style de vie du pays. Les ateliers ou les moments partagés avec des Français sont une bonne manière de le faire. C’est ce que j’ai transmis aux responsables de la Maison Bakhita qui m’ont demandé mon avis. Je suis heureuse d’avoir été écoutée (la maison accueillera un atelier couture, une salle informatique, des cours de français, une micro-crèche ou encore des formations professionnelles, NDLR) ».

Propos recueillis par Priscillia de Selve, Isabelle Demangeat et Laurence Faure.

[1Le prénom a été modifié.

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